Le Roman de la Rose
Guillaume de Lorris et jean Meun, 1230-1280.
Parchemin. - 200 ff. - 350 x 250 x 35 mm
BNF, Manuscrits (Fr. 12595 fol. 001v)
© Bibliothèque nationale de France

J'avais vingt ans ; c'est à cet âge
Qu'Amour prend son droit de péage
Sur les jeunes coeurs. Sur mon lit
Étendu j'étais une nuit,
Et dormais d'un sommeil paisible.
Lors je vis un songe indicible,
En mon sommeil, qui moult me plut ;
Mais nulle chose n'apparut
Qui ne m'advint tout dans la suite,
Comme en ce songe fut prédite.
Or veux ce songe rimailler
Pour vos coeurs plus faire égayer ;
Amour m'en prie et me commande ;
Et si nul ou nulle demande
Sous quel nom je veux annoncer
Ce Roman qui va commencer :
C'est le roman de Rose
Où l'art d'Amour est toute enclose.
La matière de ce Roman
Est bonne et neuve assurément ;
Mon Dieu ! que d'un bon oeil le voie
Et que le reçoive avec joie
Celle pour qui je l'entrepris ;
C'est celle qui tant a de prix
Et tant est digne d'être aimée,
Qu'elle doit Rose être nommée.
Il est bien de cela cinq ans ;
C'était en mai, amoureux temps
Où tout sur la terre s'égaie ;
Car on ne voit buisson ni haie
Qui ne se veuille en mai fleurir
Et de jeune feuille couvrir.
Les bois secs tant que l'hiver dure
En mai recouvrent leur verdure ;
Lors oubliant la pauvreté
Où elle a tout l'hiver été,
La terre s'éveille arrosée
Par la bienfaisante rosée.
La vaniteuse, il faut la voir,
Elle veut robe neuve avoir ;
De mille nuances, pour plaire,
Robe superbe sait se faire,
Avec l'herbe verte, des fleurs
Mariant les belles couleurs.
C'est cette robe que la terre
A mon avis, toujours préfère.
Les oiselets silencieux
Par le temps sombre et pluvieux,
Et tant que sévit la froidure
Sont en mai, quant rit la nature,
Si gais, qu'ils montrent en chantant
Que leur coeur a d'ivresse tant
Qu'il leur convient chanter par force.
Le rossignol alors s'efforce
De faire noise et de chanter,
Lors de jouer, de caqueter
Le perroquet et la calandre ;
Lors des jouvenceaux le coeur tendre
S'égaie et devient amoureux
Pour le temps bel et doucereux.
Quand il entend sous la ramée
La tendre et gazouillante armée
Qui n'aime, il a le coeur trop dur !
En ce temps enivrant et pur
Qui l'amour fait partout éclore,
Une nuit, m'en souvient encore,
Je songeai qu'il était matin ;
De mon lit je sautai soudain
Je me chaussai, puis d'une eau pure
Lavai mes mains et ma figure ;
Je pris une aiguille d'argent
———
Que je garnis de fine laine,
Puis je partis parmi la plaine
Ecouter les douces chansons
Des oiselets dans les buissons
Qui fêtaient la saison nouvelle.
...
 
 

> partager
 
 

 
 

 
> copier l'aperçu