Le Roman de la Rose
Fol. 3v : Figure allégorique de la Tristesse
Guillaume de Lorris et jean Meun, 1230-1280.
Parchemin. - 200 ff. - 350 x 250 x 35 mm
BNF, Manuscrits (Fr. 12595 fol. 003v)
© Bibliothèque nationale de France

Tristesse [ Enluminure ]
Près d'Envie et tout à côté,
Sur le mur l'image se dresse
De la langoureuse Tristesse.
Il paraît bien à sa couleur
Qu'au coeur elle a grande douleur,
Elle semble avoir la jaunisse.
Rien n'est auprès d'elle Avarice
Pour sont teint pâle et sa maigreur ;
Car les soucis et le malheur,
Et les chagrins, et la détresse
Dont le jour et la nuit sans cesse
Elle souffre, l'ont fait jaunir
Et maigre et pâle devenir.
Oncques nul en un tel martyre
Ne fut, ni n'eut aussi grande ire
Comme à la voir il me parut,
Et je pense que nul ne sut
Faire chose qui pût lui plaire
Ni calmer sa douleur amère,
Tant son coeur était courroucé
Et profond son deuil enfoncé.
Aussi sur son propre visage
Elle dut assouvir sa rage
Ainsi que sur ses vêtements.
De sillons nombreux et sanglants
Sa face est toute lacérée,
Et cette robe déchirée
———
Est la preuve de ses dégoûts,
De sa haine et de son courroux.
S'épand sur son col, sa figure
De tous côtés sa chevelure
Qu'elle a rompue en son tourment,
Ses pleurs coulent abondamment.
L'âme la plus dure, à sa vue,
De grande pitié se fût émue,
Car son sein tout elle battait
Et ses poings ensemble heurtait.
Toujours à deuil faire attentive,
La douloureuse, la chétive
Jamais ne cherche à s'amuser
Ni sa bouche le doux baiser.
Car celui dont l'âme dolente
Languit, de rien ne se contente,
Ne veut danser ni chanter ;
Il ne sait que se désoler
Sans nulle distraction prendre,
Joie et deuil ne sauraient s'entendre.
 
 

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