Le Roman de la Rose
Fol. 4 : Figure allégorique de la Vieillesse
Guillaume de Lorris et jean Meun, 1230-1280.
Parchemin. - 200 ff. - 350 x 250 x 35 mm
BNF, Manuscrits (Fr. 12595 fol. 004)
© Bibliothèque nationale de France

Vieillesse [ Enluminure ]
Puis je vis Vieillesse en regard
A peu près un pied à l'écart,
Comme ont coutume les vieux d'être.
A peine elle pouvait repaître
Son estomac débilité ;
Rien ne restait de sa beauté,
Moult était laide devenue ;
Toute sa tête était chenue
Et blanche comme fleur de lis,
Et si ce corps, à mon avis,
Desséché, déjà tout inerte,
Fût mort, mince eût été la perte.
Son front jadis plein et rosé
Tout de rides était creusé.
Ses oreilles étaient moussues
Et de toutes ses dents perdues,
Pas une seule ne restait.
De si grande vieillesse elle était
Qu'elle n'eût franchi la distance
De quatre toises sans potence.
Le temps qui s'en va nuit et jour
Sans repos prendre et sans séjour,
Et dont la course est si rapide,
Qu'il semble à notre esprit stupide
Demeurer toujours en un point,
Mais qui ne s'y arrête point,
Et qui si promptement expire
Que nul homme ne saurait dire
Tout au juste le temps présent ;
S'il le demande au clerc lisant,
Avant d'avoir dit sa pensée
Grande part en est déjà passée :
Le temps qui ne peut séjourner,
Mais va toujours sans retourner
Comme l'eau qui s'écoule toute
Sans qu'il en retourne une goutte,
Le temps vers qui rien ne saurait durer,
Si dur fût-il, même le fer,
———
Qui ronge tout et décompose,
Le temps qui change toute chose,
Qui tout fait croître et tout nourrit
Et qui tout use et tout pourrit,
Le temps qui vieillit notre père,
Les rois et les grands de la terre,
Comme tous il nous vieillira,
Ou la mort nous devancera :
Le temps qui, lui, jamais n'oublie
De tout vieillir, l'avait vieillie
Si durement, il me semblait,
Que s'aider elle ne pouvait,
Mais bien retournait en enfance ;
Car certes elle n'avait puissance,
A mon avis, force ni sens,
Non plus qu'un enfant de deux ans.
Et cependant en son bel âge
Damoiselle gentille et sage
Elle fut à mon escient ;
Elle est bien changée à présent,
Car elle est toute hébétée.
D'une grande chape fourrée
Elle avait, je la vois encor,
Avec soin abrité son corps ;
Les vieilles gens ont tôt froidure,
Bien savez que c'est leur nature ;
Or s'était-elle chaudement
Vêtue, elle eût froid autrement.
 
 

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