Le Roman de la Rose
Fol. 26 : Franchise et Pitié prennent le parti de l'Amant contre Danger
Guillaume de Lorris et jean Meun, 1230-1280.
Parchemin. - 200 ff. - 350 x 250 x 35 mm
BNF, Manuscrits (Fr. 12595 fol. 026)
© Bibliothèque nationale de France

Comme j'étais en cette peine,
Voilà que Dieu soudain amène
Franchise et Pitié pour m'aider.
Toutes deux alors sans tarder
A Danger tout droit se dirigent,
Car mes maux l'une et l'autre affligent ;
Elles viennent secours m'offrir
En me voyant ainsi souffrir.
[ Enluminure ]
Ici prennent Franchise et Pitié
le parti de l'Amant contre Danger

En premier la parole est prise
Par la compatissante Franchise
Danger, dit-elle, Dieu m'entend.
Vous avez tort envers l'Amant
Que votre rage tant malmène,
Et c'est chose par trop vilaine,
Car je n'ai mie encore appris
Qu'il se soit envers nous mépris.
Or si d'aimer le veut contraindre
Amour, pourquoi donc vous en plaindre ?
Las ! il est encore plus cruel
Que vous au tendre damoisel.
Amour sans cesse le tourmente
Et ne veut pas qu'il se repente ;
Aussi tout vif dût-il brûler
Il ne peut son joug secouer.
Mais, beau sire, que vous avance
De tant lui faire violence ?
De vous aimer puisqu'il promet
En bon et fidèle sujet,
Pourquoi lui déclarer la guerre ?
En ses lacs si l'a pris naguère
Amour, et le fait vous servir,
Pour ce le devez-vous hair ?
Il faut l'épargner au contraire,
Et mieux qu'un libertin vulgaire ;
Toute âme généreuse doit
Secourir plus petit que soi.
Moult a dur coeur qui ne se plie
Quand un malheureux le supplie.
Pitié parle
Pitié répond : C'est vérité ;
Malice vainc humilité,
Mais quant la malice est trop dure
Elle devient cruauté pure.
Pour ce, je vous requiers, Danger,
De votre guerre ménager
Envers l'innocente victime
Qu'Amour pour sa droiture estime.
Avis m'est que vous l'éprouvez
———
Beaucoup plus que vous ne devez.
C'est déjà male pénitence
Que le priver de l'accointance
De Bel-Accueil son confident,
Car il ne convoite rien tant.
Sa peine était déjà bien dure,
Vous avez doublé sa torture ;
Or, est-il mort, anéanti,
Que Bel-Accueil lui soit ravi.
Amour assez le persécute,
Faut-il encor qu'il soit en butte
A de plus grands malheurs ? Hélas !
Les grandir vous ne sauriez pas ;
C'est cruauté bien inutile,
Laissez-le donc aimer tranquille.
Franchise et ses voeux exaucez,
Bel-Accueil désormais laissez
Qu'aucune grâce il lui accorde,
A tout pécheur miséricorde.
Moult est trop cruel et félon
Qui refuse à nous un pardon ;
Qu'au moins pour nous Danger le fasse.
Nous vous le demandons en grâce.
Danger ne peut plus refuser ;
Lors il consent à s'apaiser.
 
 

> partager
 
 

 
 

 
> copier l'aperçu