Le Roman de la Rose
Fol. 27v : Vénus plaide la cause de l'Amant à Bel-Accueil qu'elle enflamme de son brandon
— Bel-Accueil octroie à l'Amant la faveur d'embrasser la Rose
Guillaume de Lorris et jean Meun, 1230-1280.
Parchemin. - 200 ff. - 350 x 250 x 35 mm
BNF, Manuscrits (Fr. 12595 fol. 027v)
© Bibliothèque nationale de France
Vénus va droit à Bel-Accueil
Et céans commence à lui dire :
[ Enluminure ]
Pourquoi vous montrez-vous, beau Sire,
Vers cet amant si dédaigneux,
Et de ce baiser savoureux
Pourquoi si longtemps vous défendre ?
Car vous devez voir et comprendre
Qu'il aime en toute loyauté,
Et suffisante est sa beauté
Pour vaincre votre indifférence.
Quelle grâce, quelle élégance !
Comme il est beau, comme il est gent,
A tout le monde doux et franc !
Puis il est à la fleur de l'âge,
Ce n'est pas son moindre avantage.
Si, dédaignant de l'apaiser,
Lui refuser ce doux baiser
Je voyais dame ou châtelaine,
Je la tiendrais pour moult vilaine.
Accordez-lui cette douceur,
Mieux n'emploirez votre faveur.
Car il a, je crois, douce haleine,
Et sa bouche n'est pas vilaine,
Il semble fait pour les désirs,
Pour les soulas et les plaisirs ;
Il a les lèvres vermeillettes
Et les dents si blanches et nettes
Qu'ordure ou tache l'on n'y voit ;
A mon avis, c'est à bon droit
Qu'un baiser au moins on lui donne ;
Faites-le donc, je vous l'ordonne,
Car plus vous aurez attendu,
Plus vous aurez de temps perdu.
[ Enluminure ]
Bel-Accueil, quand il sentit prendre
En lui le feu, sans plus attendre,
D’un baiser m'octroya le don.
Tant fit Vénus et son brandon
Qu'il n'osa faire résistance.
Lors vers la Rose je m'élance
Cueillir le savoureux baiser.
Quel bonheur, vous devez penser !
Soudain un doux parfum m'inonde
Dissipant ma douleur profonde,
Et adoucit le mal d'aimer
Qui tant me soulait être amer.
Onques tant ne me sentis d'aise,
Moult guérit qui telle fleur baise
Si suave et qui si bon sent.
Je ne serai plus si dolent,
Il suffira qu'il m'en souvienne
———
Et de joie aurai l'âme pleine !
Et pourtant j'ai bien des ennuis
Soufferts et de bien tristes nuits
Depuis que j'ai baisé la Rose !
Jamais tant la mer ne repose
Que ne la trouble un peu de vent.
Amour aussi change souvent ;
Il blesse et guérit eu une heure,
En un point guère ne demeure.
 
 

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