Le Roman de la Rose
Fol. 156v : Conclusion du Roman, l'Amant à son plaisir de cueillir la Rose…
Guillaume de Lorris et jean Meun, 1230-1280.
Parchemin. - 200 ff. - 350 x 250 x 35 mm
BNF, Manuscrits (Fr. 12595 fol. 156v)
© Bibliothèque nationale de France
Un nouvel érotisme
Après avoir exalté le plaisir physique et la liberté la liberté sexuelle au nom des droits de la Nature, Jean de Meun détourne la symbolique de la Rose. Le poème, qui prenait son vol dans l'amour courtois, finit par des réflexions lestes et désabusées qui annoncent un nouvel érotisme : l'amour paillard.


Oyez la leçon présente :
Lorsque dans cette étroite sente
J'eus un petitet chevauché,
Tant du rosier je m'approchai
Qu'à mon vouloir pus la main tendre
Aux rameaux, pour le bouton prendre.
———
Bel-Accueil pour Dieu me priait
Que nul outrage n'y fût fait.
Je me rendis à sa prière
Et lui promis lors, pour lui plaire,
Que jamais je ne ferais rien
Hormis son vouloir et le mien.
Lors j'embrassai le beau rosier
Qui est plus franc que nul osier,
Et quand mes deux mains je pus joindre,
Tout doux, sans la piqûre moindre,
Le bouton me pris à férir,
Sans quoi ne l'eusse pu cueillir,
Et j'imprimai par la secousse
Aux branches émotion douce,
Mais sans aucune dépecer,
Car rien je ne voulais blesser :
Mais il me fallut bien à force
Entamer un peu de l'écorce,
Puisqu'autrement je ne pouvais
Avoir ce que tant désirais.
En la fin, pour tout vous apprendre,
Un peu de graine dus épandre
Quand j'eus le bouton agité ;
Ce fut quand dedans l'eus touché
Au travers des feuillettes closes,
Car voulais chercher toutes choses
Jusques au fond du boutonnet,
Car il me semble que bon est.
Je fis lors tant mêler la graine
Qu'on l'eût démêlée à grand' peine,
Et que le tendre boutonnet
Fis élargir un petitet ;
C'est tout ce qu'il m'advint forfaire.
Mais j'allais d'une ardeur si fière,
Que nul mauvais gré ne m'en sut
Le doux qui nul mal n'y conçut,
Et moult joyeux me laisse faire
Tout ce qu'il sait devoir me plaire.
Il m'appelle bien, il est vrai,
D'un ton sérieux et doucet,
Inconvenant et sans usage :
Vous me faites trop grand outrage
Vraiment, dit-il ; mais, ceci dit,
Il ne met plus nul contredit
Que je ne prenne, entr'ouvre et cueille
Rosier et rose, fleur et feuille.
Quand me vis en si haut degré,
Quand j'eus si noblement ouvré
Que mon procès n'est plus doutable,
Alors pour fin et agréable
Etre envers tous mes bienfaiteurs,
Comme doivent bons débiteurs
Car à haute voix je l'affiche,
Plus que Richesse j'étais riche,
Et partant moult vers eux tenu
Moi par eux riche devenu,
Au Dieu d'Amours et à sa mère,
Qui plus que tous m'aida naguère,
Ainsi qu'aux barons valeureux
Dieu les laisse au fin amoureux
Venir, à l'appel de ses plaintes !
En mes amoureuses étreintes
Rendis grâces dix fois ou vingt.
Mais de Raison ne me souvint
Qui tant jadis me fit de peine,
Ni de Richesse la vilaine
Qui de nulle pitié n'usa
Lorsque l'accès me refusa
Du joli sentier qu'elle garde.
Mais elle n'avait pas pris garde,
La chétive, au sentier menu,
Par où pourtant je suis venu
A bon port, en grand' recelée.
Or par là j'ai pris ma volée
Malgré mes mortels ennemis
Qui tant m'avaient arrière mis,
 
 

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