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Extrait

Arthur conquérant

Geoffroy de Monmouth, Histoire des rois de Bretagne

Après avoir rétabli tout le pays dans sa dignité première, Arthur prit pour épouse une jeune fille de noble origine romaine, nommée Guenièvre. Celle-ci avait été élevée à la cour du duc Cador et elle surpassait en beauté toutes les femmes de l’île.
Au retour de l’été, Arthur prépara sa flotte et fit voile vers l’île d’Irlande qu’il désirait conquérir. Lorsqu’il aborda, le roi Gillamurius vint à sa rencontre avec un nombre incalculable d’hommes pour lui livrer bataille. Le combat fut engagé et aussitôt les troupes de Gillamurius, sans protection ni armes, furent lamentablement mises en pièces et se réfugièrent en lieu sûr. Sans tarder, Gillamurius fut lui aussi capturé et contraint à la reddition. Stupéfiés, les autres princes du pays capitulèrent à l’exemple du roi. Ayant ainsi soumis toute l’Irlande, Arthur dirigea sa flotte vers l’Islande qu’il assujettit après avoir triomphé du peuple. Le bruit courait alors dans toutes les autres îles qu’aucune province ne pouvait lui résister ; Doldavius, roi du Gothland, et Gunvasius, roi des Orcades, vinrent donc d’eux-mêmes se placer sous sa dépendance en lui promettant de verser un tribut. L’hiver passa et Arthur revint en Bretagne ; il rétablit dans son royaume une paix durable et resta là pendant douze ans.
Arthur invita alors les plus nobles personnalités de royaumes lointains ; il entreprit d’augmenter sa suite et sa cour fut le lieu d’une telle courtoisie qu’elle devint un modèle à suivre pour les peuples éloignés. Par conséquent, les hommes de très haut rang, stimulés par cet exemple, n’avaient d’autres préoccupations que de se vêtir ou de porter les armes à la manière des chevaliers d’Arthur. La renommée de la largesse et de la bravoure du roi se répandait aux confins de la terre et les rois des pays d’outre-mer redoutaient de subir ses attaques et de perdre les nations qu’ils contrôlaient. Tourmentés et rongés d’inquiétude, ils restauraient les villes et leurs tours, construisaient des places fortes à des endroits adaptés pour avoir, en cas de besoin, un refuge s’ils devaient combattre Arthur. Lorsque ce dernier en fut informé, il s’enorgueillit de cette peur qu’il inspirait à tous, et entreprit de soumettre toute l’Europe. Il prépara alors ses navires et gagna d’abord la Norvège pour offrir la couronne de ce pays à son beau-frère Loth. Loth était, en effet, le neveu du défunt roi de Norvège Sichelm, qui lui avait destiné son royaume. Toutefois les Norvégiens jugeaient révoltant de devoir l’accueillir et ils avaient confié le pouvoir royal à un certain Riculf ; ils pensaient pouvoir résister à Arthur avec leurs villes fortifiées. Loth avait alors un fils de douze ans nommé Gauvain : celui-ci avait été placé par son oncle au service du pape Sulpice qui lui remit ses armes. Mais revenons à Arthur, abordant les côtes de Norvège. Le roi Riculf vint à sa rencontre avec tout le peuple du pays et engagea le combat. Le sang coula beaucoup de part et d’autre, pourtant, les Bretons l’emportèrent ; ils donnèrent l’assaut et tuèrent Riculf avec beaucoup d’autres. Victorieux, ils envahirent les cités qu’ils livrèrent aux flammes, dispersèrent les habitants des campagnes et ne mirent pas terme à leur cruauté avant d’avoir soumis à la domination d’Arthur toute la Norvège et le Danemark.
Après avoir assujetti ces nations et placé Loth sur le trône de Norvège, Arthur fit voile vers la Gaule et, ayant constitué des bataillons, se mit à dévaster le pays tout entier.

Geoffroy de Monmouth, Histoire des rois de Bretagne, vers 1135, traduction par Laurence Mathey-Maille, Paris, Les Belles Lettres, 1992
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