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La puissance du mythe arthurien
Le Graal et sa quête

© Bibliothèque nationale de France
Apparition du Graal aux chevaliers de la Table ronde
Peint dans l’entourage d’Évrard d’Espinques, ce volume de la compilation arthurienne réalisée par Micheau Gonnot pour Jacques V d’Armagnac est richement illustré. Il s’ouvre par la Quête du Graal. Le début du récit, retraçant l’arrivée de Galaad à la cour d’Arthur, est résumé par les quatre panneaux du frontispice et trois peintures. Il se poursuit au folio 5 avec une grande composition consacrée à l’événement surnaturel qui survient à Camelot, le soir de la fête de la Pentecôte, et va être le point de départ de la Quête. Après les vêpres, au moment du dîner, le roi et ses chevaliers attablés sont surpris par le bruit du tonnerre et une lumière céleste qui envahit la salle en même temps qu’apparaît le Saint Graal, représenté ici sous la forme d’un ciboire porté par deux anges. La légende assure que le vase précieux, symbole eucharistique, passe devant chaque convive pour le servir d’une substantielle et abondante nourriture. L’artiste a désigné les convives par des inscriptions en lettres d’or. Confondant Galaad avec son père, Lancelot, il a écrit par erreur le nom de ce dernier sur le Siège périlleux surmonté d’un dais, où seul un chevalier parfait destiné à « mener à fin les aventures du Graal » pouvait s’asseoir sans danger : le matin même, l’ermite Nascien y avait placé Galaad, le désignant ainsi comme le héros de la Quête (f. 3 vo).
© Bibliothèque nationale de France
Qu’est-ce que le Graal ?
© BnF – Éditions Multimédias
L’histoire du Saint Graal
Aux origines du nom
Le mot graal est un nom commun, employé, semble-t-il, dans l’Est de la France pour désigner des ustensiles domestiques : vase, mortier ou écuelle. Plusieurs étymologies ont été proposées : le gallois griol doit être éliminé et, sans doute, faut-il préférer le latin cratalis, au sens de « plat ».
Au Moyen Âge, le graal semble être un plat large et creux, proche de l’écuelle où l’on mange à plusieurs. Des mots de la même famille sont attestés en Provence et dans les Alpes.

Joseph d’Arimathie et ses compagnons emportant le Graal de Palestine
Ce précieux ouvrage est considéré comme l’un des tout premiers manuscrits enluminés de l’histoire des textes arthuriens. Il rassemble trois des cinq romans du cycle Lancelot-Graal. Les scènes dépeintes sont soumises aux canons et aux codes de l’époque. Mais on reconnaît dans cette enluminure, en complément du texte, le Graal porté par Joseph. Il prend ici sa forme la plus ancienne, celle d’un plat creux.
© Bibliothèque de Rennes-Métropole
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De multiples formes
La première apparition du Graal se rencontre chez Chrétien de Troyes vers 1170-1180 : dans Perceval ou le Conte du Graal, une jeune fille porte un graal dans une procession à l’occasion du repas chez le Roi Pêcheur. Il s’agit alors d’un objet courant, un plat ou un récipient, dont la nature merveilleuse n’est pas explicitée. Resté inachevé, le roman a donné lieu à d’immenses développements.

Le châtiment de Brumant
« Comment Brumant l’Orgueilleux, neveu de Claudas, mourut au Siège Périlleux.
[…] Le feu tomba directement sur le chevalier qui s’était assis au Siège Périlleux et le consuma en un instant, si bien qu’on ne put trouver par la suite aucun reste d’os ou de chair. Pendant qu’il brûlait, il cria au roi Arthur : “Ah, noble roi, tu peux voir désormais que l’orgueil ne peut rapporter que honte et déshonneur, voilà ce que je constate. Car si je n’avais pas aspiré à atteindre ce qui était hors de ma portée, je ne serais pas mort si vilement, consumé et foudroyé. Je pourrais donc dire en vérité que jamais un chevalier ne fut victime d’une vengeance comme celle que j’ai subie, si je ne pensais pas l’avoirméritée ; ” Aussitôt que le chevalier eut prononcé ces paroles, tous les témoins ne purent plus rien distinguer que de la cendre, et de la fumée qui sortait du feu se dégageait une odeur si infâme que tous ceux qui se trouvaient là en eurent mal au cœur. »
© Bibliothèque nationale de France
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Parsifal
© Bibliothèque nationale de France
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Les chevaliers à la table du Graal
Dans presque tous les manuscrits, le Lancelot en prose constitue la partie centrale d’un vaste cycle appelé Lancelot-Graal qui comprend tout ou partie d’autres textes : l’Histoire du Saint-Graal et l’Histoire de Merlin, directement adaptées de Robert de Boron, la Suite du Merlin (du couronnement d’Arthur à la naissance de Lancelot), le Lancelot proprement dit, puis La Quête du Saint Graal et, enfin, La Mort du roi Arthur qui reprend les événements de l’Histoire des rois de Bretagne, en leur donnant une dimension tragique. Le Lancelot-Graal a connu un immense succès et servi de modèle aux autres grands cycles arthuriens.
Dans La Quête du Saint-Graal, c’est Galaad, le fils de Lancelot, et non Perceval, qui accomplit les aventures du Graal.
© Bibliothèque nationale de France
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Diverses versions donnent du Graal des descriptions radicalement différentes : chez Robert de Boron, c’est une coupe semblable au calice liturgique ; chez Wolfram von Eschenbach, auteur du Parzival que Wagner reprendra, c’est une sorte de pierre nommée lapsit exillis, liée à la chute des anges ; La Continuation Gauvain le présente comme une corne d’abondance, flottant au milieu de la salle. Elle sera de nouveau portée par une jeune fille dans la Troisième continuation de Manessier. Dans le Peredur gallois, c’est un plateau d’argent porté par deux jeunes filles, sur lequel la tête d’un homme baigne dans le sang.

Joseph d’Arimathie recueillant le sang du Christ
Joseph d’Arimathie, un homme bon qui demeurait à Jérusalem au temps de la Passion, s’empresse de retrouver les objets que le Christ a touchés. C’est ainsi qu’il retrouve l’écuelle dans laquelle Jésus a mangé son dernier repas lors de la Cène, et dans laquelle Joseph recueille un peu de sang qui s’écoule des plaies du Christ en Croix. Cette relique est le Graal, qui prend plusieurs formes au cours du récit : écuelle, plat, coupe, vase. Ici c’est un calice qu’a représenté l’enlumineur.
Cet énorme manuscrit, qui a appartenu au duc de Berry, puis à Jacques V d’Armagnac, est actuellement scindé en quatre tomes. La peinture placée au folio 520 rappelle l’origine légendaire du Graal, telle qu’elle fut fixée vers 1200 par Robert de Boron et reprise par le Lancelot-Graal et le Perlesvaus. Elle représente le Christ au Calvaire avec la Vierge et saint Jean. Agenouillé au pied de la Croix, Joseph d’Arimathie recueille dans le Saint Graal le sang salvateur qui s’épanche du côté transpercé du Christ, réitérant le geste symbolique que l’iconographie traditionnelle prête à la personnification de l’Église. La contemplation de ce vase sacré, signe de la présence divine et de la Rédemption, est le but de la Quête menée par les chevaliers de la Table ronde, dont les aventures périlleuses sont une allégorie du combat spirituel contre les forces du Mal. L’ensemble de la page porte l’empreinte de l’histoire du manuscrit. Si la composition d’origine, due au Maître des Cleres femmes, a été respectée, le modelé, les mains et les visages ont été modifiés vers 1460, sans doute par Évrard d’Espinques, un peintre d’origine allemande au service de Jacques d’Armagnac. L’initiale à rinceaux de vignettes qui jouxte la peinture est intacte ; en revanche, la baguette occupant l’entre-colonne et celle ornant la marge extérieure font partie des remaniements apportés au décor. Enfin, les marges supérieure et inférieure sont respectivement timbrées des écus armoriés des deux mécènes : Jean de Berry et Jacques d’Armagnac.
© Bibliothèque nationale de France
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Avec Robert de Boron, au début du 13e siècle, le Graal devient la coupe qui a servi à l’Eucharistie, et qui a recueilli le sang du Christ sur la Croix : ce sera la version la plus largement diffusée en France et en Angleterre, notamment à travers les grandes compilations du cycle du Graal.
Le Conte du Graal
C’est avec Chrétien de Troyes, dans son dernier roman Perceval ou le Conte du Graal écrit vers 1180 et resté inachevé, que se développent l’aventure littéraire du Graal et son résonnement imaginaire. À l’origine plat ou écuelle, le Graal devient chez Chrétien une splendide pièce d’orfèvrerie, faite pour le service d’une table royale, dont la nature merveilleuse demeure mystérieuse. Le cortège qui passe devant les yeux de Perceval doit être perçu tout d’abord comme un magnifique service de table : des jeunes gens amènent en procession une lance au bout de laquelle perlent des gouttes de sang, des candélabres d’or, un graal orné de pierres précieuses et un tailloir en argent puis une table d’ivoire, avant de servir un sublime festin. À cause de son péché, Perceval manque de demander la signification de la Lance et du Graal. Plus tard, l’ermite lui expliquera que le Graal est une « très sainte chose », dans laquelle est servie une hostie qui maintient en vie le Roi Pêcheur.

Procession du Saint Graal
Devant la table du Roi Pêcheur, couverte de plats et de mets, passe le cortège du Graal. En tête, une jeune fille élève de ses deux mains le vase sacré. Derrière elle, un jeune homme tient la « Lance qui saigne » : il s’agit de la lance qui perça le flanc du Christ sur la Croix. Suivent quatre jeunes gens portant une bière où repose le corps du roi, frappé par un « coup félon », et dont l’épée brisée est étendue sur l’étoffe rouge.
© Bibliothèque nationale de France
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Arrivée de Perceval au château du Graal et Cortège du Graal
Resté inachevé, le dernier roman de Chrétien combine les aventures de Perceval et de Gauvain. À la fois récit d’aventures merveilleuses et quête spirituelle, il introduit, avec le terme mystérieux de Graal – décrit comme un plat à poisson –, l’un des mythes les plus féconds de la littérature occidentale, qui inspirera les écrivains médiévaux (Robert de Boron ou la Queste del Saint Graal, le Parzival, de Wolfram von Eschenbach) comme les artistes modernes (Parsifal, de Richard Wagner ; le Roi Pêcheur, de Julien Gracq…).
Reçu au château du Roi Pêcheur, le naïf Perceval assiste au cortège du Graal mais n’ose pas demander qui l’on sert et ce qu’il contient – questions qui auraient permis de guérir le roi infirme et de rendre la prospérité à la Terre Gaste (« dévastée »).
© Bibliothèque nationale de France
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Le cortège du Graal
Mais voilà que devant lui, dans une vallée, il aperçoit le haut d’une tour qui apparaît. On n’aurait...Lire l'extrait
Chrétien de Troyes n’a pas inventé cet objet, ni la scène du cortège. Il faut vraisemblablement penser à l’un des récipients merveilleux qui apparaissent souvent dans les récits celtiques anciens : vases et plats y produisent en abondance une nourriture ou une boisson inépuisables, dans des festins de l’Autre Monde (coupe merveilleuse associée à l’idée de souveraineté, corbeille aux mets toujours renouvelés, corne à boire dont le breuvage donne jeunesse et joie ou enfin chaudron d’abondance, générateur de sagesse). Mais le romancier champenois introduit une première christianisation de ces thèmes en suggérant que le Graal pouvait contenir une hostie ; celui-ci devient alors un saint vase, orné de pierres précieuses. C’est une sorte de viatique, tenu par une jeune fille, qui passe plusieurs fois.
Ainsi, en combinant des données païennes, issues essentiellement de la mythologie celtique, à des éléments chrétiens, Chrétien de Troyes a donné au Graal un caractère magique, merveilleux et mystique.

Chaudron de Gundestrup
Le chaudron de Gundestrup est un bassin cultuel d’abondance richement décoré de scènes mythologiques. On y voit notamment l’une des principales divinités celtes : Cernunnos, le dieu aux bois de cerf. Ce type de récipient et sa fonction ont peut-être contribué à former l’image du Graal.
© Bibracte-Antoine Maillier
© Bibracte-Antoine Maillier

Calice d’Ardagh
Le calice d’Ardagh, dont voici une copie historique réalisée en Angleterre pendant la période victorienne, est l’un des chefs-d’œuvre de l’orfèvrerie irlandaise. Il est un jalon artistique important témoignant de la christianisation de l’Irlande.
© V&A Images/Victoria and Albert Museum, London
© V&A Images/Victoria and Albert Museum, London

Anges emportant le Graal, la lance et le tailloir dans le Ciel
Manessier, un clerc écrivant pour la comtesse Jeanne de France, petite-nièce de Philippe de Flandres sous la protection duquel Chrétien de Troyes avait commencé Le Conte du Graal, donne un dénouement au roman resté inachevé. L’œuvre, qui compte onze mille vers et qui prend la suite des trois Continuations précédentes, confirme la dimension chrétienne du Graal. Après avoir tué l’auteur du Coup Douloureux avec l’épée enfin ressoudée, Perceval est couronné roi du Graal puis se fait prêtre. À sa mort, le Graal monte au ciel, emporté par les anges. Le roman baigne dans une symbolisme religieux : c’est Manessier qui, le premier, identifie la lance avec celle de Longien qui perça le flanc du Christ sur la Croix.
© Bibliothèque nationale de France
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Les Continuations du Conte du Graal
Chrétien de Troyes a laissé les aventures du Conte du Graal inachevées. Quatre Continuations, rédigées par Wauchier de Denain, Manessier et Gerbert de Montreuil entre la fin du 12e siècle et les années 1230, ont donc essayé de les mener à leur terme. Elles essayent d’élucider les mystères laissés en suspens par Chrétien (la lance qui saigne, l’épée brisée, le roi blessé), en développant le caractère chrétien et miraculeux du Graal, et en transformant les aventures chevaleresques en quête mystique. Ces romans qui succèdent à l’œuvre du maître, mettant en scène les personnages de Perceval et de Gauvain, semblent témoigner d’un effort sans cesse renouvelé pour clore le roman tout en suggérant l’impossibilité de l’achever.

Cycle du Lancelot-Graal
Joseph recueille le sang du Christ lors de la mise au tombeau
Après sa vision, l’auteur chargé de faire le récit des enseignements du livre saint que lui a confié le Christ entreprend un voyage à la suite d’une bête merveilleuse qui le conduit en un endroit propice à l’écriture. Commence alors l’histoire de Joseph d’Arimathie : celui-ci demeurait à Jérusalem avec sa femme et son fils Joséphé. Il croyait en Jésus-Christ mais dissimulait sa foi au regard des juifs. Malgré la Crucifixion, Joseph espérait en la Résurrection du Christ et décida de recueillir tous les objets que la Christ avait touchés au cours de sa vie. Il entra ainsi en possession de l’écuelle dans laquelle Jésus mangea lors de la Cènen puis demanda à Pilate, en récompense de ses bons et loyaux services de chevalier, de disposer du corps du Christ. Il descendit alors Jésus de la Croix, recueillit son sang dans l’écuelle, et mit son corps dans un sépulcre creusé dans une roche qu’il ferma par une grosse pierre.
Dans cette miniature, le Christ portant la croix d’épines et les plaies de la Passion, est déposé dans un cerceuil en pierre. Joseph d’Arimathie est au premier plan, à droite de l’image, portant les pieds du Christ au-dessus du Graal où il va conserver le sang qui s’écoule de ses plaies. Son costume soigné indique une certaine opulence : une broche dorée serre son bliaut à la taille et il porte une coiffe élaborée avec un revers de couleur différente. À côté de lui se trouvent sans doute Nicodème et en face, soutenant les épaules du Christ, peut-être Simon de Cyrène, représenté comme un homme assez âgé, que les Romains ont pris dans la foule pour aider Jésus à porter sa Croix. On voit aussi quatre personnages portant une auréole, comme le Christ : le jeune évangéliste Jean, qui soutient la vierge Marie, vêtue de bleu, puis Marie Salomé, mère de Jean et de Jacques, cousins de Jésus, et Marie-Madeleine, la seule à ne pas être voilée, qui porte un pot de parfums destinés à embaumer le corps. La tête du personnage intercalée entre Marie-Madeleine et Nicodème semble se surajouter à la composition et pourrait constituer un portrait de l’artiste.
© Bibliothèque nationale de France
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Le Roman de l’Histoire du Graal
Au tournant du 12e et du 13e siècle, le Roman de l’Estoire dou Graal en vers puis le Joseph d’Arimathie et l’Estoire del Saint Graal en prose vont plus loin dans la christianisation du graal. Robert de Boron identifie pour la première fois avec le calice dans lequel Joseph d’Arimathie aurait recueilli le sang du Christ sur la Croix. Plusieurs éléments sont alors assimilés dans le Graal : l’écuelle où Jésus mangea avec les Apôtres lors de la Cène, le récipient où fut recueilli son sang sur la croix par Joseph d’Arimathie, le calice de la messe ainsi que le ciboire qui sert à porter l’hostie.
D’autres œuvres en prose proposent leur version de la quête du Graal : dans le Perceval en prose qui clôt la trilogie attribuée à Robert de Boron, le héros éponyme est l’élu du Graal, tandis que dans le Haut Livre du Graal, c’est Perlesvaus qui occupe cette fonction.
Chez Robert de Boron, le Graal émet un rayonnement divin, une lumière due à la présence mystique du Christ. Avec le mythe du Graal apparaît donc l’espoir de la rédemption et la croyance que le monde pourra être libéré du mal. La quête du Graal devient la quête de la vérité ultime, de la Connaissance, pour un monde qui va vers son achèvement.
Le cycle du Graal
Composé en prose française dans les années 1220-1230, un immense cycle du Graal – appelé « Lancelot-Graal », « Lancelot en prose », ou « Grand Saint-Graal » – compile toutes les légendes arthuriennes dans une perspective chrétienne. Cette Vulgate constitue la forme la plus répandue de la légende arthurienne, comme l’atteste sa riche transmission manuscrite. Elle est constituée de cinq romans : l’Histoire du Saint Graal, le Merlin en prose, le Lancelot en prose, La Quête du Saint Graal et La Mort du roi Arthur, qui jouent un rôle décisif dans la diffusion de la légende du Graal et sa mise en forme. L’ensemble donne ainsi un tableau extensif et chronologique de l’histoire du Graal et de sa translation d’Orient en Occident, depuis les temps christiques jusqu’à la fin du royaume arthurien, en particulier dans l’Histoire, qui raconte les origines du Graal, et dans la Quête qui raconte les aventures des chevaliers arthuriens partis à la recherche de cet objet saint.

Le Livre de messire Lancelot du Lac (La Quête du Saint Graal)
L’heureuse carrière politique d’Yvon du Fou († 1488) lui offrit les moyens de satisfaire ses goûts bibliophiliques. Sénéchal de Poitou, il confia à des libraires et enlumineurs locaux la confection de plusieurs ouvrages, dont le présent manuscrit. La Quête du Graal s’ouvre par une grande peinture encastrée dans la moitié inférieure de la page, juste au-dessus des armoiries du destinataire. L’artiste poitevin est reconnaissable à ses personnages courtauds et expressifs. Vêtus à la mode du règne de Louis XI, engoncés dans leurs jaquettes fourrées et leurs chaperons, les héros arthuriens ont gagné en bonhomie ce qu’ils ont perdu en élégance. La composition suit le fil du récit. À gauche, dans son château de Camelot, Arthur a réuni les chevaliers de la Table ronde la veille de la Pentecôte. Survient une messagère du roi Pellés (le roi du château du Graal, à Corbenic) qui enjoint à Lancelot de la suivre. Ils partent aussitôt et se rendent dans une abbaye, figurée à droite, où Galaad – le fils de Lancelot et de la fille de Pellès – a passé son enfance. Dans la chapelle, en présence des moniales et de ses cousins Bohort et Lyonnel, Lancelot adoube l’adolescent, qui sera conduit le lendemain à la cour d’Arthur par l’ermite Nascien. En attendant, Lancelot et ses compagnons regagnent Camelot. Au premier plan à droite, se déroule la première aventure merveilleuse de la Quête. Sur la rivière longeant le palais est apparu un rocher vermeil dans lequel est fichée une épée orfévrée, promise au meilleur chevalier du monde. Tandis que Lancelot refuse d’y mettre la main, Gauvain, obéissant à l’ordre d’Arthur, tente vainement l’épreuve, que seul Galaad réussira – reproduisant ainsi le geste par lequel Arthur avait été désigné comme roi légitime, à la fin du Merlin.
© Bibliothèque nationale de France
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L’Histoire du Saint-Graal
Le prologue de l’Histoire s’efforce de sacraliser sa matière et se sert du Graal pour détourner à son profit l’autorité du texte biblique. L’Histoire transforme le Graal en relique christique sacrée et vénérée mise sur le même plan que les instruments de la passion qui sont l’objet d’une dévotion particulière au Moyen Âge. La définition du Graal et sa caractérisation se font de manière progressive au cours du roman. Le « graal » n’est d’abord mentionné que comme la sainte « écuelle » jusqu’à la conversion des premiers Sarrasins. Il est alors désigné comme un « vase » (vaissel), avant de prendre définitivement le nom de « graal ». Petit à petit, on ne représente plus le Graal comme une écuelle ou un plat, mais comme une coupe ou un ciboire. Le Graal est une relique dotée d’un double caractère sacré puisque le Christ y a pris son dernier repas et que Joseph d’Arimathie l’utilise comme réceptacle du Précieux Sang. Il est en outre conservé dans une arche sainte dotée de propriétés merveilleuses et interdite d’accès au commun des mortels, qui n’est pas sans rappeler l’arche d’alliance conservant les Tables de la Loi données à Moise et au peuple d’Israël dans le désert. Derrière le service sacré du Graal se lit le rituel eucharistique avec une insistance sur la distinction entre les hommes justes, purs, élus par Dieu, dignes d’y accéder, et les pécheurs qui en sont écartés.

Cycle du Lancelot-Graal
Les anges célèbrent l’Eucharistie et communient avec Joseph et ses compagnons
Après le sacre de Josephé, le fils de Joseph, Dieu explique au jeune homme devenu évêque la symbolique de tous les attributs dont il est revêtu. Josephé s’occupera des âmes de ses compagnons tandis que Joseph se chargera des affaires matérielles. Josephé célèbre alors dans l’arche la consécration du corps du Christ à travers un rituel eucharistique où le pain et le vin sont littéralement transformés en chair et en sang d’un petit enfant que l’officiant doit à grand peine se résoudre à démembrer avant de les absorber. Trois anges tenant la patène, le calice et l’écuelle sainte vont alors servir la communion hors de l’arche sainte à Joseph et à ses compagnons.
L’image présente un ange en train servir la communion à Joseph et à ses compagnons agenouillés devant lui, tandis que deux de ses acolytes tendent un linge blanc qui supporte la patène contenant les hosties. La blancheur des anges et des objets de la communion souligne leur caractère pur et sacré face à l’assemblée terrestre des compagnons de Joseph qui portent des vêtements colorés. La scène se passe hors de l’arche, dans un cadre naturel, bien qu’on distingue un château à l’horizon.
La miniature simplifie les éléments de la scène eucharistique, puisque n’apparaissent pas les anges portant le calice contenant le sang du Christ et l’écuelle sainte. La présence des anges souligne le caractère merveilleux de l’épisode qui se focalise alors sur la communion à l’hostie.
© Bibliothèque nationale de France
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Cycle du Lancelot-Graal
Joseph d’Arimathie aperçoit dans l’arche le Saint Graal et les instruments de la Passion
Vespasien, le fils de l’empereur romain Titus, est guéri par la Sainte Face, le voile de Véronique sur lequel s’est imprimé le visage du Christ. Il décide de libérer de prison Joseph d’Arimathie, qui miraculeusement ne porte aucune trace de quarante-deux ans passés en captivité. Joseph et ses parents sont alors envoyés par Dieu évangéliser la ville de Sarras gouvernée par le roi païen Évalac. Au cours d’une prière où Joseph demande la conversion Évalac, la voix de Dieu lui annonce la consécration de son fils Josephé, destiné à devenir prêtre et gardien de la chair et du sang du Christ. Au matin, Josephé est appelé par une voix qui lui ordonne d’ouvrir la porte de l’arche où est consacré le Graal : il voit Jésus sur la Croix ainsi que des anges tenant les instruments de la Passion, mais il ne peut pénétrer dans l’arche. Joseph, intrigué par les merveilles que contemple son fils, regarde à son tour dans l’arche malgré l’interdiction qui lui en a été faite.
Dans le texte, Joseph aperçoit à travers la porte de l’arche, qui a pris des proportions extraordinaires, un autel couvert d’un tissu vermeil sur lequel sont placés les instruments de la Passion et un vase d’or couvert d’un linge blanc, tandis que des mains sans corps tiennent une croix et des cierges. Des anges précédant le Christ lui-même arrivent alors en procession. Joseph est agenouillé en prière au milieu de la scène. La disposition des objets est sensiblement différente dans la miniature. Le vase d’or n’est pas placé au centre de l’autel, occupé par trois clous et par le fer de lance ayant ouvert le côté du Christ, mais, symétriquement au Graal, il se situe à l’extrême droite, donc au premier plan. L’arrivée des anges, dont les premiers tiennent un aspersoir et une croix, se fait par une ouverture à gauche de l’image.
© Bibliothèque nationale de France
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La Quête du Saint Graal
Dans La Quête du Saint Graal, récit allégorique et mystique où se font sentir l’influence cléricale et l’esprit cistercien, les aventures « célestielles » s’opposent aux entreprises terriennes et la figure de Galaad prend le pas sur celle de Lancelot. C’est à partir de la mise en série des différentes tables du Graal que se développent les aventures arthuriennes. À la Cène où le Christ a pris son dernier repas en compagnie de ses apôtres, préfiguration de son sacrifice eucharistique, a succédé du temps de Joseph d’Arimathie le service du Graal. Dans la Quête, c’est l’assemblée des chevaliers de la Table ronde qui est honorée du passage du Graal à travers une célébration merveilleuse. Cette épiphanie suscite le départ des chevaliers arthuriens en quête du Graal, conservé au château de Corbénic par la lignée des rois du Graal. Toutes les aventures inachevées mises en place dans l’Histoire du Saint Graal vont alors connaître leur résolution grâce à la venue du chevalier élu, Galaad le pur, le fils de Lancelot et de la fille du roi Pellès. La perte du Graal et son retour en Orient dans la ville de Sarras résultent de la corruption des habitants de Grande-Bretagne et correspondent à la fin des aventures merveilleuses associées à cet objet. Après la mort de Galaad, le dernier roman du cycle s’achemine ainsi inéluctablement vers la mort du roi Arthur, la disparition de ses chevaliers, et la destruction de son royaume.

The Quest of the Holy Grail (La Quête du Saint Graal)
© Photo Laurent Sully Jaulmes, tous droits réservés
© Photo Laurent Sully Jaulmes, tous droits réservés

Galaad sur le Siège Périlleux
« Comment messire galaat vint le jour de pentecoste à camelot et s’assit au siege perilleux où nul ne s’estoit encore assis pour les grans dangiers qui y estoient que nul depuis que la table ronde fut levee nul ne s’i assit qu’il n’en fut mort ou durement navre de son corps comme il advint à mains chevaliers. »
© Bibliothèque nationale de France
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Apparition du Saint Graal aux chevaliers de la Table ronde
Après le combat organisé par Arthur pour éprouver la valeur de Galaad, les chevaliers se réunissent dans la grande salle et prennent place à la Table ronde. Ils assistent alors au merveilleux service du Graal :
« Les compagnons de chevalerie allèrent s’asseoir chacun à la place qu’il avait occupée le matin. Quand ils y furent tous assis en silence, ils entendirent un coup de tonnerre si grand et si merveilleux qu’ils crurent que le palais était sur le point de s’écrouler. Soudain entra dans la salle un rayon de soleil qui produisit cent fois plus de clarté qu’il n’y en avait auparavant. Et tous ceux qui se trouvaient là furent comme illuminés de la grâce du Saint Esprit, et ils commencèrent à se regarder les uns les autres, car ils ne savaient pas d’où pouvait venir cette clarté. Et personne ne put prononcer une parole : petits et grands furent frappés de mutisme. Et quand ils furent restés ainsi un long moment sans pouvoir dire aucun mot, à se regarder comme des bêtes muettes, alors entra dans la pièce le saint Graal, couvert d’un samit blanc, mais personne ne put voir qui le portait. Il arriva par la grande porte du palais.
Aussitôt qu’il fut entré, la salle s’emplit de bonnes odeurs comme si toutes les épices du monde y avaient pénétré et s’y étaient répandues. Le Graal parcourut toute la pièce, de part et d’autre, et au moment où il passait devant les tables, celles-ci se remplissaient immédiatement devant chaque place de de la nourriture que chacun désirait. Tous furent servis et le saint Graal disparut si rapidement qu’ils ne surent ce qu’il en advint. Les chevaliers qui ne pouvaient dire un mot auparavant purent alors parler et ils bénirent Notre Seigneur de leur avoir accordé une telle faveur et un tel honneur en les comblant de la grâce du saint Graal. Mais le roi Arthur fut le plus joyeux et le plus heureux de tous car Dieu lui avait accordé plus de grâces qu’à aucun autre avant lui.
Le Graal, entouré d’un arc-en-ciel et soutenu en l’air par deux angelots peints de façon symétrique avec la même peinture dorée diaphane presque transparente, diffuse sa clarté au centre de la Table ronde. Celle-ci comprend seize chevaliers : elle est présidée par Galaad, priant debout les mains jointes sous un dais d’honneur et entouré de Perceval, Arthur, Hélias, Tristan, Keu, Baudemagu, Ydier, Caradoc, Rion, Etor, Lionel, Gauvain, Bohort et Lancelot, dont les noms sont inscrit en lettres d’or au revers de leur siège ou au-dessus de leur tête. »
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