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L’amour dans les romans arthuriens

Lancelot quittant Guenièvre pour la Quête du Graal
Lancelot quittant Guenièvre pour la Quête du Graal

© Bibliothèque nationale de France

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Si l’aventure est le thème principal des romans de chevalerie, celle-ci est conditionnée par des motivations fortes. L’amour est la principale. Mais c’est un amour courtois, dont les codes littéraires font écho aux valeurs artistocratiques et chevaleresques.

L’amour courtois

La cour

C’est au 12e siècle, époque d’essor économique et commercial, que la noblesse découvre, à côté des émotions fortes de la guerre, les plaisirs du confort, du luxe, des étoffes rares et des bijoux précieux. Elle se plaît à un raffinement de manières et de sentiments, dont les dames sont les inspiratrices. Ainsi s’élabore un nouvel art de vivre qui s’épanouit dans les cours royales et princières, et qui tient son nom de la vie de cour : la courtoisie. Aliénor d’Aquitaine, mariée d’abord au roi de France puis au roi d’Angleterre, protège les troubadours et favorise l’essor des romans. Sa fille, Marie de Champagne, anime elle aussi une cour où rayonne l’idéal de la courtoisie.

Le Chevalier de la Charrette
Le Chevalier de la Charrette |

© Bibliothèque nationale de France

La poésie lyrique des troubadours

Poètes et musiciens, petits chevaliers ou princes puissants ont allié le raffinement artistique au raffinement amoureux. La fine amour qu’ils chantent – amour est féminin à l’époque et l’adjectif fine, au sens de « raffiné », en appelle à une savante alchimie – transcende la pulsion sexuelle et se fixe dans l’exaltation d’un désir qui s’alimente de la douleur de la séparation : la dame est hors d’atteinte, elle est mariée et d’un haut rang. Le poète mêle adoration respectueuse et rêves d’une sensualité audacieuse. Cet amour qui ne cesse d’espérer la joie qui viendra le combler dans un embrasement de tout l’être s’apparente à une ascèse mystique.

Les romans en vers

Dans la France du Nord, la fine amor des troubadours séduit aussi les écrivains. Le Chevalier de la charrette, de Chrétien de Troyes, en exalte la situation caractéristique : Lancelot est amoureux de la femme du roi et entreprend pour elle les plus folles aventures. Fasciné par la beauté de Guenièvre, il est capable d’extase lorsqu’un objet vient raviver en lui le souvenir de celle qu’il aime. Dans l’action, il peut accepter la honte et le déshonneur simplement pour prouver sa totale soumission au bon vouloir de sa dame. Sa parfaite dévotion lui vaudra, mais après bien des épreuves, d’accéder à la suprême récompense d’une nuit d’amour. Dans ce roman l’amour est folie, mais il assure valeur et gloire au chevalier d’élite qui prend le risque de s’y engager.

Le mariage d'Arthur et Guenièvre

Thomas Malory, vers 1470
In the beginning of Arthur, after he was chosen king by adventure and by grace, for the most part of...
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Cependant, dans ses autres romans, Chrétien repousse l’idéologie de l’amour adultère et s’efforce de concilier l’éthique courtoise et le mariage. Il oppose ainsi ses héros à Tristan et Iseut et exalte la force vivifiante de l’amour dans le mariage, voie qui n’est pas sans danger, mais ascèse qui donne accès pour l’homme comme pour la femme à un dépassement de soi. L’égalité des époux remplace la souveraineté de la dame et l’amour exalte la prouesse ; il éveille chacun des amants au souci des autres et doit mener toute la société à la joie, qui est accord, paix et justice. L’amour des héros rétablit l’harmonie du monde.

Le Val des Faux Amants

Lancelot du Lac
La demoiselle revint alors voir Lancelot et lui dit : « Eh bien, noble chevalier, vous allez découvrir...
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Amour et chevalerie

Les premiers textes bretons où apparaissent les personnages de la cour arthurienne ne s’attardent pas sur les sentiments des chevaliers. Les unions comme celle d’Arthur et de Guenièvre, les naissances comme celle d ’Arthur, sont évoquées dans une perspective historique et dynastique. Les héros agissent, combattent, construisent un monde chevaleresque dans lequel l’amour et les sentiments n’ont pas de place. Seule la passion du roi Uterpendragon pour la femme de son vassal, Ygerne, est décrite en quelques lignes : son coup de foudre, ses tourments amoureux et la ruse que lui propose Merlin pour passer une nuit avec Ygerne sont racontés par Geoffroy de Monmouth, puis par Wace. La conception d’Arthur, événement de premier plan dans la légende arthurienne, est ainsi mise en avant. C’est seulement avec l’apparition des romans au 12e siècle et d’une écriture tournée vers la psychologie et l’analyse des comportements et des motivations des héros que les personnages arthuriens sont dotés d’une vie sentimentale.

Histoire de Merlin
Histoire de Merlin |

© Bibliothèque nationale de France

L’amour chez Chrétien de Troyes

Chrétien de Troyes (vers 1135-vers 1185) le premier décrit dans ses romans une chevalerie arthurienne qui, bien que définie d’abord par la prouesse guerrière et les exploits, possède une dimension humaine et affective. Le chevalier, attentif aux valeurs morales et spirituelles, fidèle et loyal, généreux envers ses adversaires, tourné vers ceux qui peuvent avoir besoin de lui, n’est pas insensible à l’amour. Au contraire il ne peut se réaliser pleinement que s’il met sa valeur et ses qualités au service d’une dame et de l’amour. La chevalerie arthurienne n’est pas seulement un ordre militaire, mais traduit un idéal de vie hors du commun où le cœur a sa place. Les personnages féminins sont nombreux dans ces romans arthuriens et jouent un rôle essentiel dans la carrière des chevaliers et dans leur réussite ; l’amour pour une dame et les exigences que cela suppose forment un contrepoint au monde guerrier habituel aux chevaliers. De Chrétien de Troyes qui démontre dans ses œuvres que les plus brillants héros ne peuvent échapper à l’irruption de l’amour jusqu’aux romanciers du XIIIe siècle qui, le plus souvent inspirés par une réflexion religieuse, condamnent les excès causés par l’amour, la littérature médiévale romanesque offre une superbe réflexion sur la façon dont amour et chevalerie peuvent se rencontrer.

Arrivée du chevalier Margonde à la cour
Arrivée du chevalier Margonde à la cour |

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Yvain ou Le Chevalier au Lion
Yvain ou Le Chevalier au Lion |

© Bibliothèque nationale de France

Chacun des romans de Chrétien de Troyes – sauf le Conte du Graal –, tout en étant situé dans un cadre arthurien, repose sur une structure construite autour d’une intrigue amoureuse. Chacun des héros est amené à suivre un parcours où prouesse et amour sont parfois difficiles à concilier : Erec oublie les devoirs de la chevalerie et préfère les joies de l’amour, Yvain privilégie la recherche de la gloire à sa fidélité à sa dame, Cligès ne peut connaître la réussite avant pouvoir aimer son amie Fénice, Lancelot ne peut trouver le bonheur sans l’amour de la reine Guenièvre. Peintre subtil des émotions et des sentiments, Chrétien de Troyes donne à ses personnages une densité et une personnalité qui va désormais les accompagner dans tous les textes où ils vont apparaître et en faire des types littéraires qui traverseront les siècles.

Le « péché du monde »

Au 13e siècle le roman arthurien, désormais constitué en genre littéraire connaît un vif succès. Chrétien de Troyes est imité et donne naissance à des œuvres multiples qui en vers ou en prose reprennent et complètent les aventures des héros arthuriens. Certains personnages connaissent une fortune littéraire plus importante que d’autres. C’est le cas de Gauvain et de Lancelot qui tous deux incarnent deux conceptions de l’amour. Modèle courtois chez Chrétien de Troyes, Gauvain devient un séducteur patenté tandis que l’amour de Lancelot et Guenièvre est condamné, les amants devant se repentir.

Plus les textes sont nourris par une inspiration religieuse et plus la vision de l’amour est négative. La Quête du Saint Graal, roman écrit vers 1225-1230 dont l’auteur est peut-être un moine cistercien, dénonce avec force le « péché du monde », l’amour humain devenant synonyme de luxure et interdisant aux hommes d’être comblés par la grâce divine. C’est ainsi que la quête du Graal ne peut être achevée par les chevaliers arthuriens trop mondains et englués dans leur péché de chair : Hector et Gauvain sont rapidement disqualifiés ; Lancelot le sera ensuite malgré sa prouesse et malgré ses efforts pour renoncer à la reine car il reste à tout jamais marqué par cet amour ; Bohort réussira à s’approcher du Graal car il n’a commis le péché de chair qu’une seule fois et sous l’emprise d’un sortilège et s’est gardé depuis de toute luxure ; Perceval qui a gardé sa virginité et n’a connu aucune aventure amoureuse sort vainqueur de toutes les tentations et peut s’asseoir à la droite de Galaad à la Table ronde. Galaad seul est capable non seulement de chasteté, mais de renoncer à tout ce qui est mondain, et seul il parviendra à voir le Graal et à rejoindre le Christ au Ciel. La chevalerie terrienne est remplacée par la chevalerie célestielle, l’amour humain est condamné au profit de l’amour divin.

Vision de Galaad, Perceval et Bohort
Vision de Galaad, Perceval et Bohort |

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