L'amorce

Procédé narratif des plus communs de l'art médiéval, l'amorce consiste à ne dessiner qu'une partie d'un personnage, animal ou sujet, en bordure de la case. Utilisé dès le XIe siècle, il est passé dans le langage graphique courant au XVe siècle. L'amorce permet d’exprimer à la fois l'effort et le début d'une séquence, mais aussi et surtout l'accélération de l'action ou la présence d'une menace exercée sur les acteurs de l'image, voire les deux à la fois. L'accélération de l'action, ou plus souvent le simple mouvement, est bien mis en valeur par ce procédé devenu aujourd'hui cinématographique et largement utilisé dans la bande dessinée. En général, l’artiste médiéval dessine un personnage coupé à mi corps verticalement, avançant la jambe ou tendant le bras dans l'image, soit vu de dos, prenant la fuite, comme dans la Conversion de saint Paul (atelier de Ghirlandaio, vers 1500) conservée dans la cathédrale de Lucques. Dans ce cas, on ne voit plus du sujet, en bordure de la case, qu'une jambe saisie au vol dans le mouvement de la course.

L'impression de menace est particulièrement bien rendue par l'amorce. Pour la traduire, l'artiste positionne en rebord de l'image, parfois combinée avec une perspective fuyante, vers l'arrière ou vers l'avant, un animal féroce ou une arme qui semblent surgir de l'extérieur de l'image. On trouve ce procédé dans un Bestiaire anglais du 2e quart du XIIIe siècle, avec un lion saisi à mi corps bondissant sur des hommes prosternés. Gotlieb a illustré ce thème à l’identique…
Les Italiens ont particulièrement apprécié et perfectionné ce système de représentation : à Florence, dans les fresques de la chapelle Baroncelli de Santa Croce, peintes par Taddeo Gaddi, on voit successivement un homme, saisi en plan américain, coursé par un chien enragé dont seule la gueule ouverte et les pattes de devant surgissent du bord d'un médaillon circulaire, et un saint apeuré, buste peint en plan rapproché, se courbant devant un arc bandé qui semble aussi surgir de l'extérieur de l’image : seule l'arme, un bras et une main sont visibles. L'efficacité du procédé est totalement maîtrisé en Italie dès le XIVe siècle.



L’expression de la vitesse entraîne également l'utilisation de l'amorce. Tant les Cantigas, au XIIIe siècle, que la peinture italienne au XIVe siècle, traduisent ainsi la rapidité de mouvement d'une barque entraînée par de puissants rameurs. À droite de l'image, surgit de la bordure de la case, en amorce, la moitié d'une barque, ses rameurs penchés sous l'effort contribuant à donner l'impression de vitesse.