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Lettrage
en liberté
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Dans d'autres cas, la parole
s'échappe dans le fond de l'image, le cadre du phylactère étant éliminé. Les plus
anciennes représentations de paroles émises n'emploient dailleurs pas le principe
du phylactère : au XIIe siècle, dans un Commentaire sur la Genèse
de saint Jérôme, une lettrine A historiée présente un jongleur déguisé en maître
d'école enseignant un ourson comme on le ferait d'un enfant en lui apprenant l'alphabet.
Le jongleur, bouche ouverte, lui fait répéter : " ABC " ;
en réponse, l'ours ouvre la gueule et dit : " A " (Cambridge,
Trinity College Library, Ms O. 4. 7 f° 75). Les lettres s'envolent simplement dans
l'image. A l'aube du XIIIe siècle, c'est également ce procédé qu'adoptent
les enlumineurs du Psautier de la reine Ingeborge, femme de Philippe-Auguste
(Chantilly, Musée Condé), et que l'on retrouve jusque dans les Très Riches Heures du
duc de Berry, au mois de janvier : le duc se tourne vers un familier et lui
dit : " Approche, approche ".
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L'ordre
des discours
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Le contexte peut parfois suffire
à élucider lordre du discours, lors dune question-réponse simple par
exemple : " Nous voulons amour " demandent des puceaux.
" Deux pour le prix dune " répond la mère maquerelle. Mais il
est quasi impossible de reproduire et de reconstituer lordre lorsque plusieurs
acteurs s'expriment.
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Dans le cas du dialogue, divers
procédés ont été expérimentés. Certains artistes ont ainsi songé matérialiser le
déroulement de la conversation en renversant le sens de lecture d'un des deux
protagonistes, soit dessus-dessous, soit en inversant le sens des lettres de la phrase
énoncée. La salutation angélique, exemple idéal de dialogue, fut l'exercice favori des
enlumineurs et des peintres du XVe siècle. Dans le premier cas, Ave Maria se
lit la tête en bas ; dans le second, il se lit comme si on le regardait dans un
miroir : cela donne EVA AIRAM.
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Un autre procédé consiste à
incliner l'angle des phrases, notamment lorsque deux personnages dialoguent en se faisant
face comme dans le Psautier de la reine Ingeborge dès l'an 1200. Cest encore
le cas dans les très techniques livres de médecine italiens du XIVe siècle,
où des médecins dialoguent face à face, le premier s'exprimant en ligne droite, et le
second de biais. Ce procédé permet enfin de " viser " l'auditeur
auquel le texte s'adresse : ici, Dieu sadresse au médecin ; là, le
diable poursuit du haut d'un pont de ses imprécations l'auteur terrorisé, ses
paroles descendent droit vers lui. Le système fonctionne aussi en sens contraire :
une phrase peut monter vers le ciel. Comme dans le cas du phylactère, le lettrage en
liberté ne peut se développer en ligne droite, horizontalement ou de biais, lorsque les
personnages sont trop près l'un de l'autre. L'artiste du XVe siècle choisit
souvent de le faire onduler au-dessus ou autour de la tête des acteurs, sortant de leur
bouche ou non. Ce procédé ne convient pas non plus à un texte trop long. Il est courant
de ne voir inscrit dans l'image qu'un très bref énoncé, parfois même un seul
mot : dans tel manuscrit anglais du XIVe siècle, le diable argumente avec
un peintre ; comptant les arguments sur ses doigts, il énonce, entre deux
pointillés destinés à bien le distinguer du texte courant qui surplombe l'image, le mot
" ergo " (donc). Cela suffisait à comprendre dans quel type de
situation et de dialogue les deux protagonistes se trouvaient engagés : celui du
démon tentant de convaincre un humain.
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Paroles
simultanées
Les artistes semblent ne s'être que
rarement posé la question de la parole simultanée. C'est pourtant un cas observable dans
un Roman de la Rose (Lyon, BM, ms) français du XVe siècle. Liesse
danse main dans la main avec deux caroleurs qui l'encadrent, les paroles d'une chanson
populaire courent en haut de l'image : " Pierre, Pierre, coigne le luy,
coigne ". Les deux danseurs reprennent le refrain en chur :
" O gay ". Le " O " est placé devant la bouche du
danseur de gauche, le " gay " devant le visage de celui de droite. On
comprend, à ce partage du refrain, que tous deux doivent le chanter ensemble...
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