|
|
Signes
graphiques, pictogrammes et onomatopées
|
|
|
Dès les temps carolingiens, des signes
abstraits transcrivent déjà graphiquement le son. C'est la musique qui donne lieu aux
toutes premières représentations du son, qui s'échappe dans l'image sans
" ballon ".
Lignes
droites et ondulées
Depuis le IXe
siècle, la convention graphique des tirets parallèles est systématiquement utilisée
pour le chant et le son des trompettes.
Ces tirets, tracés dans laxe de linstrument, sortent de son pavillon, soit en
lignes parallèles, soit en faisceaux légèrement ondulés, soulignés parfois de rouge
pour signifier la puissance sonore, celle des trompettes de Jéricho dans le Psautier
de saint Louis par exemple.
|
|
|
Signes
et pictogrammes
|
|
|
Ainsi, contrairement à la
parole humaine, l'expression du bruit, d'un son mélodieux ou même dune odeur
puissante, se manifeste précocement par signes voire par pictogrammes. Mais il faut
attendre le XVe siècle pour que soient figurées des notes de musique sortant
dune trompe de chasse dans un manuscrit cynégétique à fonction didactique. A
l'origine, ce procédé servait certainement à reconnaître les notes de musique des
sonneries et à les apprendre. Cette technique de matérialisation du son sera reprise par
Töpffer en 1831 et par la série américaine des Katzenjammers Kids (Pim, Pam, Poum).
|
|
|
Onomatopées
|
|
|
L'ultime procédé choisi pour
traduire la musique est l'onomatopée. Bien que l'usage de l'onomatopée soit, dans les
textes littéraires, un phénomène classique au Moyen Âge, qui ne l'a d'ailleurs pas
inventé, ce n'est que tardivement qu'un artiste songe à l'utiliser dans une image, à la
fin du XVe siècle, dans le Calendrier des Bergers : debout, lance à la
main, pointe en bas, le Maure annonce l'heure de notre mort en sonnant de la trompe ;
du pavillon jaillit le son, un " to to to " si puissant qu'il
s'échappe de l'encadrement de l'image en écartant ses bordures dans l'angle supérieur.
Etrangement, un dessinateur de bandes dessinées des années 1980 a retrouvé cette
onomatopée pour le même instrument et dans des circonstances identiques : un
chasseur sonnant l'hallali... (Hermann, Les tours de Bois-Maury, " Alda ",
éd. Glénat).
|
|
|
Conventions
|
|
|
Si les sons puissants
s'expriment le plus souvent, au Moyen Âge, par des lignes continues, les bruits ténus
sont logiquement transcrits par des lignes discontinues. A l'exacte jonction entre
l'expression du son et celle du mouvement d'air, le souffle est figuré soit par un
faisceau de lignes, soit par des tiretés. Cette convention est employée également pour
la représentation de la pluie, comme on peut l'observer dans les livres de médecine dès
le XIVe siècle, en Italie (Vienne), et même du crachat. Le fauconnier qui
crache de l'eau sur la poitrine de son faucon, scène représentée dans les Livres de
la chasse aux oiseaux du XIIIe siècle, en France comme en Italie, émet
ainsi une série de trois lignes parallèles de tiretés. La convention, une fois fixée,
perdure : au XVIIe siècle, dans un livre d'éducation destiné aux
enfants, l'Orbis Pictus, de Comenius, un alphabet sonore présente le
" Ha " comme un visage d'homme qui souffle en émettant aussi des
tiretés. En revanche le plus puissant des souffles - le souffle divin qui anime Adam -
est figuré en lignes continues pour bien traduire sa force surnaturelle. Les souffles
odorants sont eux aussi figurés par des lignes continues, comme il est de règle dans les
Bestiaires à l'article de la panthère. Les savants pensaient alors qu'elle exhalait
un parfum paradisiaque susceptible, par sa force, de ressusciter un mort. La puissance de
son souffle était telle que les enlumineurs du XIIIe siècle ont aussi
éprouvé le besoin de le faire jaillir hors des cadres de l'image pour pénétrer dans
l'espace du texte.
|
|
|
Le cri des animaux, comme la
sonorité de la trompe, est occasionnellement transcris par une onomatopée demeurée
identique jusqu'à nos jours : au XIVe siècle, le canard fait
" queck " (couac en anglais !). Dans les images symbolisant la
mort, les corbeaux croassent déjà, au XVe siècle, des " cras
cras " inquiétants qui constituent autant une onomatopée quune menace
(" cras " signifie demain en latin : " demain
tu
mourras ").
|
|
|
Ainsi, le langage pictographique
sonore qui deviendra l'une des caractéristiques de la bande dessinée est-il déjà, à
la fin du XVe siècle, largement établi. Même si les occurrences demeurent
exceptionnelles, compte tenu de l'immensité de la production des images médiévales, la
plupart des conventions sont en place et le besoin de sonoriser les images silencieuses
est indéniable. La parole et l'oral prennent le pas sur l'écrit.
Et l'image devient, selon l'expression qu'Emile Mâle appliquait aux phylactères, une
" bouche sonore " qui éveille l'attention et force à écouter.
|
|