Les vignettes ne font pas la bande dessinée

Par ailleurs, la division d'une page en vignettes n'en fait pas pour autant un antécédent de la bande dessinée : cloisonner une page en vignettes rondes ou carrées était une pratique habituelle du scribe, du peintre ou du lettré. En réalité, bien des pages cloisonnées ne sont pas des récits, mais des tiroirs à casiers, où l'on classe chaque fait dans une case. On y range les douze prophètes , les animaux de la Création, les quatre cavaliers de l’apocalypse, les sept péchés capitaux ou leur châtiment, les huit œuvres de miséricorde, voire les dix commandements.
  

Les bibles moralisées

Ainsi les Bibles moralisées, toujours données en exemple, ne sont-elles en rien des récits séquentiels, mais une collection d'images qui, au nombre de huit par page, ne constituent jamais une histoire : elles se lisent par couples de deux ; chaque image du couple constitue une unité, la première extraite de l'Ancien Testament, la seconde du Nouveau Testament. Seul un rapport symbolique, qu'on saisit parfois difficilement aujourd'hui, les relie. Le lecteur médiéval avait à comparer des images deux à deux, extraites de surcroît de deux œuvres distinctes, et ce pour inciter à la méditation pieuse. Il passait ensuite à la rangée suivante, etc..
Les bibles des pauvres
Les " Bibles des pauvres " imprimées ne sont pas non plus des récits en séquences. Elles fonctionnent sur le même principe que les Bibles moralisées. Ce sont des images analogiques, comparatives, juxtaposées, de l'Ancien et du Nouveau Testament.

Dans un exemple frappant, trois images sont accolées, la première figurant Joseph jeté dans une citerne par ses frères (Ancien Testament), la deuxième le Christ mis au tombeau (Nouveau Testament), la troisième Jonas sur le point d'être avalé par une baleine (Ancien Testament). Le seul point commun entre ces trois images est le sort des trois hommes : le premier sur le point d'être enfoui dans un puits, le second au tombeau, le dernier dans le ventre de la baleine. Il s'agit uniquement de faire réfléchir le chrétien sur le désespoir et l'idée d'abandon en un premier temps, auquel succède la notion d'espérance. Sans doute doit-on comprendre que le fidèle sera sauvé tout comme Joseph a été retrouvé, le Christ ressuscité et Jonas recraché sain et sauf. Les " Bibles des pauvres " ne sont pas non plus destinées aux " pauvres ", d'esprit ou de fortune : conçues par des théologiens, écrites en latin, il fallait être grand clerc pour les comprendre seul, et riche pour les acquérir, le prix des incunables était très élevé, voire supérieur à celui des manuscrits enluminés...

Les danses macabres
Bien que les " danses macabres " soient représentées sous forme d'une " bande " au dessin apparemment continu, elles ne sont en rien des antécédents de la bande dessinée. Elles constituent une collection de personnages différents alignés sur un même plan, chacun d'entre eux entraîné par la mort : au pape succèdent l'évêque, le moine, le médecin, le paysan, etc.. Chacun tient un discours dont le seul point commun est leur réaction à l'idée de la mort.
Il est donc essentiel de ne pas confondre les genres. Ce n’est pas parce qu’une œuvre ressemble formellement à ce que nous nommons bande dessinée qu’elle en relève effectivement.
Ne peuvent être retenues comme œuvres pertinentes que celles qui constituent une narration, un récit, dont les épisodes se succèdent de manière intelligible et dans l’ordre chronologique, où l’image est prépondérante sur le texte et où ce dernier, lorsqu’il existe, contribue à l’économie du récit.
L’association de plusieurs images ne suffit pas à comprendre une histoire.