Le
monde animal, satire de la société humaine
Diverses œuvres du Moyen Âge utilisent les animaux dans
un but satirique. La plus célèbre est ce qu’on
appelle aujourd’hui "Le Roman de Renart",
un ensemble de textes disparates, ou branches, composés
principalement entre 1170 et 1250, et dont la source remonte
aux fables antiques, à des récits folkloriques
et à des textes en latin comme l’Ysengrimus
du moine Nivard (1148).

Les plus anciennes branches du Roman de Renart sont
le récit du long conflit, de type épique, qui
oppose le goupil et les autres animaux de la forêt
et de la basse-cour – Chantecler le coq, Tibert le
chat, Tiécelin le corbeau, Brun l’ours et surtout
son pire ennemi, le loup Ysengrin : Renart parvient
par ruse à violer la femme d’Ysengrin, Hersent,
sous ses yeux, puis il le tonsure en lui versant de l’eau
bouillante sur la tête, avant de l’emmener pêcher
dans un étang où il perdra la queue, prise
dans la glace, et enfin de l’abandonner au fond d’un
puits... Malgré plusieurs condamnations, et un long
siège de son château de Maupertuis par le roi
Noble, le lion, Renart poursuit ses méfaits, et ressuscite
même, après avoir été enterré !
Ces textes, drôles et légers, sont une parodie
des chansons de geste. Ils connaissent très vite un
immense succès et sont adaptés dans plusieurs
langues européennes. Le nom de "goupil"
disparaît alors, remplacé par celui de "Renart".

Déjà considéré comme un animal
fourbe et malfaisant par Aristote, par les fables antiques
et par l’Évangile (qui donne son nom au cruel
roi Hérode), le renard est au Moyen Âge le symbole
de la ruse, de la perfidie et de l’hypocrisie :
"Tous ceux qui s’adonnent à la ruse et
à la fourberie sont appelés Renart".
"Mon Dieu, s’émerveille Renart, comme
votre voix devient claire !
Comme elle devient pure !
Si vous renonciez à manger des noix,
vous chanteriez le mieux du monde.
Chantez donc une troisième fois !"
[Le corbeau] s’époumone
et, tout à son effort, il ne s’aperçoit
pas
que sa patte droite se desserre.
Et le fromage de tomber à terre
tout juste aux pieds de Renart.
Roman de Renart, branche II, traduite par Jean Dufournet
et Andrée Méline.

Après 1200, le ton change : Renart devient le symbole
du mensonge et de la trahison, et une incarnation du diable.
Les textes dénoncent avec âpreté la corruption
et l’hypocrisie de la société, comme
Renart le Bestourné de Rutebeuf, violente satire contre
les ordres religieux, ou Renart le Contrefait, œuvre
d’un clerc de Troyes qui prend le masque de Renart
pour dénoncer les vices de son temps (1319-1342).
A la même époque (1310-1314), Gervais du Bus
écrit le roman de Fauvel, qui raconte l’histoire
d’un cheval roux devenu roi. Véritable pamphlet
contre l’ordre établi et contre le roi Philippe
le Bel, il décrit un "monde à l’envers"
où les hommes se conduisent comme des bêtes,
où le pape se soumet au roi, où les prêtres
et les moines sont riches et corrompus, et où toutes
les couches de la société viennent "torcher
Fauvel".
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