Abraham Bosse
Le Capitaine Fracasse, v. 1635

Eau-forte. 238 x 199 image seule ; 307 x 243 au dernier filet
BNF Est., Ed 30, rés., 1er état, épr. avec au milieu un pli d'impression horizontal

Un Espagnol caricatural marche fièrement vers la gauche. Son visage est orné d'une énorme moustache à crocs ; son nez en pied de marmite s'enrichit d'une verrue poilue ; de sa bouche aux lèvres épaisses s'échappe une vapeur symbolisant les âcres nourritures dont les Espagnols étaient censés faire leur ordinaire. Coiffé d'un haut chapeau étroit, engoncé dans une gigantesque fraise, il est vêtu du traditionnel habit rayé de galons ; il porte avantageusement une grande écharpe nouée sur l'épaule et, sur la poitrine, un cordon agrémenté d'une médaille où l'on discerne l'apparence d'un buste. La main gauche sur la poignée de son épée, il tient dans sa paume droite quelques raves ou piments. Il passe devant un parapet, au-delà duquel on aperçoit à gauche un village et à droite une armée en campagne. L'image est entourée d'une bordure faite d'un entrelacement de raves, de navets et d'oignons.
L'estampe de Bosse n'est pas signée. Il n'est peut-être pas l'auteur de la composition. En effet, il existe une autre estampe du même sujet, exécutée assez librement à l'eau-forte par un anonyme peut-être allemand, en tout cas réalisée pour un éditeur allemand (BNF Est., coll. Hennin, 1949). Elle comporte plusieurs différences avec la gravure de Bosse, la plus évidente étant celle de l'arrière-plan, où l'on voit une vue de Paris supposée, avec Notre-Dame à droite. Le costume du capitan est presque identique, mais la fraise et les manchettes sont à la fois plus étroites et plus larges ; le ruban du chapeau est orné d'une aigrette au lieu d'une rose. Sur la médaille qu'il porte au col, on distingue assez nettement le portrait du pape Urbain VIII, et ce détail nous incite à penser que Bosse aurait copié l'image allemande (à moins que, comme le suggère José Lothe, les deux estampes aient un modèle commun). L'Espagnol, en outre, tient dans sa main des raves et des aulx. La pièce n'a pas de bordure. En revanche, elle a beaucoup plus de texte, en allemand, que l'estampe de Bosse. On lit notamment, en haut à gauche, cette indication : Diese Contrafactur ist zu / Paris in des Marquis de / Sancta Croce kütsche(n)wage(n) / geworffen worden ; als er / daselbst durch gereiset. Enfin, les proportions des images ne sont pas les mêmes, l'allemande mesurant 215 x 210 m. "Santa Croce" est sans doute une allusion au marquis de Santa Cruz (v. 1510-1588), général des galères de Charles Quint, amiral d'Espagne en 1565. Il avait gagné une triste réputation en faisant tuer de sang-froid, le 26 juillet 1582, lors d'un combat naval près des Açores, Philippe Strozzi, qui commandait l'armée navale française vaincue à cette occasion. Mais il y a aussi un marquis de Sainte-Croix dans l'armée espagnole de Leganes écartée de Casal en 1630.
On notera que le visage et l'attitude du "capitaine Fracasse" se retrouvent presque identiques dans une autre estampe satirique, Le Bek de l'Espagnol pris par le François en la bataille de Lens, composée par Louis Richer, un des spécialistes de la caricature anti-espagnole, et gravée par Jean Boulanger (IFF, 91) ; la bataille de Lens, gagnée par Condé sur les Espagnols, qui avaient un nommé Beck parmi leurs généraux, eut lieu le 20 août 1648.

En haut dans l'image : LE CAPITAINE FRACASSE. Dans un encart au bas de l'image, 8 vers sur 2 colonnes : Je suis vn vray foudre de guerre, / Jnuincible dans les dangers, / Et mon haleine est vn tonnerre, / Contre les efforts estrangers. // Aussy ie viens pour desfier / La Faim, qui dompte les plus Braues, / Ayant pour me fortifier : / Des aulx des oignons, et des raues.
Non signé.