Abraham Bosse
Lettre amoureuse du capitaine extravagant à sa maîtresse, v. 1636

Eau-forte. 178 x 192 au coup de planche, imprimée sur un placard typographié, 468 x 298 (feuille)
BNF Est., coll. Hennin, 2948,
2e état sur 2 (Langlois, outre qu'il a mis son nom au bas de l'eau-forte, a fait recomposer le texte).

Dans une chambre ornée d'un portrait de femme, un homme vêtu avec toutes les fanfreluches de la mode du temps donne à un saute-ruisseau une lettre qu'il vient de cacheter. Voici le texte de cette lettre : LETTRE AMOVREVSE DU CAPITAINE / Extrauagant à sa maistresse. / MADAMOISELLE, / Il faut bien auoir le cour plus dur que la fressure d'vne balle d'artillerie, pour regarder sans pitié les douleurs inexcogitables & impenetrables d'vn pauure Amant, à qui tous les les [sic] chiens courants des passions amoureuses ont presque tantost rongé toute la ratte, sans compter les grenades & lances à feu que Cupidon luy mesme luy iette continuellement dans l'ame. Je considere bien, que pouuoir seulement baiser la reuerberation de vos diuins regards, ce sont des contentemens qui n'appartiennent qu'aux plus grands Roys de la Terre, et que n'achepter que mille vies les faueurs emperlées de vos imparangonables beautez, c'est les auoir pour rien : mais de faire sortir tous les canons de l'arsenal de vos rigueurs, pour battre en ruine ma fidelité, ie ne croy pas que la Damoiselle la plus confite au vinaigre, qui soit en tout l'vnivers de la France, me voulust auoir traicté de la sorte. Ie me promettois d'arborer les estendars de mes fideles affections sur les rauelins de vos bonnes graces : mais voila le desespoir qui commence à donner l'escalade aux bastions de la citadelle de mon pauure cour, voyant les bataillons de ma constance presque déconfits par les escadrons de vostre cruauté. Encore si i'en estois quitte, pour aller abatre la Couronne de dessus la teste du grand Turc, pour la mettre sur la vostre, & pouuoir entrer apres par quelque casematte au precieux cabinet de vos bonnes graces, ce seroit-là que ie me plairois de faire voir l'enormité de mes proüesses à tous les inhumains de la terre, & pour vous faire paroistre l'Empire que vous auez sur les impetueuses & foudroyantes valeurs de mon courage : Commandez moy d'aller faire à coups d'espée contre des moulins // à vent, ou d'aller courre la bague sur le toict de la maison, & vous verrez si de tous les esclaues que vous tenez enchaisnez dans les galleres de vos rigueurs, il y en a vn plus propre à des-accomplir vos commandemens que moy. Et s'il ne tient qu'à vous adorer, vous ne tarderez gueres à me voir à vos pieds, l'encensoir à la main, auec autant d'humilité & de respect, que si vous estiez la plus belle Idole de la ville. Les Armées de cinqua(n)te mil hommes m'ont redouté, & voilà l'Amour qui frotte ses sauates avec les lauriers dont mon chef est enuironné, qui me rendent plus brillant d'honneur & de gloire, que ne feroit tout le clinquant qui est sur le Pont nostre-Dame. Ah ! Amour enuieux des trophées de mes valeurs, les Chats & les Asnes courent apres toy sur les goutieres, & par les prez, & tu leur es fauorable, & à moy, cruel Apothicaire que tu es, tu me vends de la rheubarbe pour du succre.
Et quoy, ma Reyne ! quel contentement prenez-vous à faire coucher mes fideles affections au galetas sur des fagots d'espines : Mes esperances n'ont plus que les os & la peau : & c'est à ce coup qu'il faut enuoyer querir le Tailleur pour leur faire des habits de dueil : car me voila resolu de me ietter dans le premier nauire que la mort mettra à la voile, pour aller aux champs Elisées trouver les Escoüades des fideles Amans qui ont esté indignement recompensez de leur Amour en ce monde. Octroyez-moy au moins cette faveur, belle inhumaine ! de faire chamarrer mon tombeau de quelque bel Épitaphe, qui fasse cognoistre aux siecles à venir, comme vous avez esté aymée d'vn des fils de Mars, qui pour ses inimitables vaillances a merité sur tous les enfans de la maison, d'estre honoré & chery de son pere.

En bas à g., sur le cadre : F. L. D. Ciartres excu(dit) Cum Priuilegio Regis.
En bas : A Paris, Chez François l'Anglois, dit Chartres, ruë sainct Iacques, aux Colonnes d'Hercules, pres le Lion d'Argent. M. DC. XXXX.