Abraham Bosse | ||||
Les Cinq Sens, v. 1638 : Le Goût | ||||
Eau-forte. 210 x 295 image seule ; 255 x 323 au filet ext. | ||||
Tours, MBA, 1894-6-22 | ||||
Une atmosphère raffinée se dégage de cette scène où un couple partage un repas en tête à tête, semblant ne rien omettre des nouveaux usages alors en vogue. Depuis le milieu du XVIe siècle en France les habitudes avaient certes changé profondément et elles ne feront qu'aller vers plus de préciosité dans les années 1630. Diffusées et traduites dans toute l'Europe les "civilités" d'Erasme (De civilitate morum puerilium, Rotterdam, 1530), en bouleversant l'ordre des valeurs à table, ont probablement contribué à modifier l'organisation même du repas à une très grande échelle. Les "civilités" d'Erasme furent traduites en français en 1560, suivies de nombreux ouvrages à la lecture desquels il est intéressant de suivre l'évolution évidente des usages, des bienséances mais aussi des interdits au cours des repas. "C'est au XVIIe siècle que l'usage de l'assiette et de la fourchette entre dans les mours. À ces modifications fondamentales du service de table succèdent d'autres apports tels que : le couteau de table à bout rond [...] et la définition d'un couvert individuel" (ibid.). Tout semble alors parfaitement codé, comme nous le montre cette estampe. Sur une nappe aux plis impeccablement marqués sont disposés deux couteaux de table et deux assiettes, encore assez proches, par leur forme, des anciens tranchoirs. Au centre de la table est présenté un artichaut, posé sur un plat et gardé à bonne température grâce à un petit réchaud. Disposition particulièrement soignée pour un mets de choix : l'artichaut est un légume très en vogue depuis le XVIe siècle, la tradition voulant qu'il ait été apporté d'Italie par Catherine de Médicis. Repas cependant bien frugal, comme le souligne avec ironie le quatrain qui commente la gravure. La jeune femme effeuille le légume avec délicatesse, elle tient dans sa main gauche une serviette. L'homme boit du vin dans un verre à jambe tandis qu'un valet lui apporte un pichet qu'il a rempli à une bouteille protégée à clins et posée dans un rafraîchissoir. Deux autres serviteurs aident au bon déroulement de ce repas servi dans une salle à manger largement ouverte vers l'extérieur, la balustrade nous permettant d'apercevoir le jardin. Une tapisserie illustrée d'une turquerie, bordée d'une frise de mascarons et de divers motifs empruntés au répertoire antique, décore la pièce et confirme le raffinement des habitants de cette demeure. La série Les Cinq Sens compte véritablement parmi les plus célèbres gravées par Bosse. Dès le XVIIe siècle, elle fut manifestement très populaire, si l'on en croit le nombre important d'ouvres gravées ou peintes, dès le milieu du siècle, d'après ces estampes. Les Cinq Sens sont un thème iconographique courant depuis l'Antiquité, mais, si les artistes ont généralement représenté ce sujet dans des compositions allégoriques ou mythologiques, Bosse ne suit pas cette tradition. Dans des scènes de la vie quotidienne, il semble nous offrir une sorte de palette des plaisirs terrestres que l'on sait inévitablement fugitifs. Leur savoureuse représentation appelle de façon criante à se laisser aller sans remords au carpe diem. Le sujet de chacune des cinq estampes est annoncé dans un cartel anthropomorphe. | ||||
Dans des espaces réservés au bas de l'estampe, à gauche 4 vers latins : Jn terris quicquid sudat, quod defluit astris / Quicquid in æquoreis velificatur aquis ; / Jrrequieta mihi sine fine hæc cuncta laborant / Jure igitur sensum Rex, hominumque vocor ; et à droite 4 vers français : Que le Goust sans l'Excez a d'honnestes appas ! / Que Nature se plaist aux choses raisonnables ! / Et qu'elle monstre bien que le luxe des tables / Nous fait mourir de fain au milieu du repas ! ; au-dessous : A Paris, Chez Mel. or Tauernier, demeurant en l'Isle du Palais, à la Sphere, Auec Priuilege du Roy. Au centre, sur un socle : GVSTVS. / LE GOVST. Dans une bordure de rinceaux, feuille de chêne aux angles | ||||