Abraham Bosse
Les Cinq Sens, v. 1638 : Le Toucher

Eau-forte. 212 x 300 image seule ; 261 x 330 au filet ext.
Tours, MBA, 1894-6-23

Cette iconographie est ici particulièrement éloquente. "Le sens de la scène est clair et la disposition des lieux vaut récit de l'histoire entière dont nous ne voyons figuré qu'un épisode". Un feu brûle dans la cheminée tandis qu'un jeune couple s'embrase également. Les flammes de l'âtre offrant à la scène un contrepoint métaphorique sont assez fréquentes dans ce type de sujet. La jambe droite de la jeune femme, dont le bas a glissé, est tendue vers ces flammes, semblant rechercher leur chaleur. L'homme n'est pas le maître des lieux : son chapeau posé sur le dos de la chaise au premier plan peut laisser supposer qu'il est de passage. Pour insister de manière encore plus forte sur ce qui semble se dérouler de manière pourtant évidente, Bosse a représenté sur le mur une peinture illustrant le mythe de Vénus et Cupidon, référence certes discrète, mais liée directement aux deux amants. Ce tableau s'inspirerait d'une ouvre réalisée par Niccolo Boldrini en 1566 d'après un dessin que lui aurait offert Titien.
La femme est assise sur les genoux de son galant, dans une attitude que l'on retrouve dans de nombreux tableaux, dont le plus célèbre reste sans conteste celui de Véronèse, Vénus et Adonis (Kunsthistorisches Museum, Vienne). Certains auteurs ont avancé que Bosse s'était probablement inspiré de cette ouvre, mais l'hypothèse reste bien difficile à confirmer. L'homme caresse le décolleté de la jeune femme dont la main effleure sa barbe. La servante, tout en préparant le lit des amants, semble apprécier le contact de la douceur du velours. Bosse nous offre ainsi une déclinaison des plaisirs liés au toucher.
La série Les Cinq Sens compte véritablement parmi les plus célèbres gravées par Bosse. Dès le XVIIe siècle, elle fut manifestement très populaire, si l'on en croit le nombre important d'ouvres gravées ou peintes, dès le milieu du siècle, d'après ces estampes.
Les Cinq Sens sont un thème iconographique courant depuis l'Antiquité, mais, si les artistes ont généralement représenté ce sujet dans des compositions allégoriques ou mythologiques, Bosse ne suit pas cette tradition. Dans des scènes de la vie quotidienne, il semble nous offrir une sorte de palette des plaisirs terrestres que l'on sait inévitablement fugitifs. Leur savoureuse représentation appelle de façon criante à se laisser aller sans remords au carpe diem.
Le sujet de chacune des cinq estampes est annoncé dans un cartel anthropomorphe.

Dans des espaces réservés au bas de l'estampe, à gauche 4 vers latins : Solus ego fratrum complector dona meorum / Summa voluptatum maxima solus ego. / Me sine Diua potens terris Cytherea periret, / Et Natura foret quæ fuit ante nihil. ; au-dessous : ABosse jn et fe. ; et à droite 4 vers français : Bien que d'vn bel objet l'amour prenne naissance, / L'oil ne peut toutefois contanter vn Amant ; / Car de celle qu'il sert cherchant la iouïssance, / Il n'y peut arriuer que par l'Attouchement. ; au-dessous : A Paris, Chez Mel. or Tauernier demeurant en l'Isle du Palais, à la Sphere. Au centre, dans un cartouche formé par deux avant-bras : TACTVS. / LE TOVCHÉ.
Dans une bordure de rinceaux et de cornes d'abondance, feuille de chêne aux angles, un cour transpercé de flèches au centre de la bordure supérieure.