Abraham Bosse
Le Noble Peintre, v. 1642

Eau-forte. 254 x 326 (coup de planche) ; 252 x 321 (dernier filet).
BNF Est., Kc 164, t. IV*, épr. du 1er état, avant la suppression du nom de Leblond

La scène représente l'atelier d'un peintre à succès. Vêtu avec élégance, assis négligemment devant son chevalet, sur lequel est posé un portrait de Louis XIII qu'il est en train de peindre, il est interrompu dans son travail par son laquais. Celui-ci lui présente une estampe que, à en croire le geste du garçon, on vient d'apporter, le visiteur importun étant peut-être encore dans l'antichambre : on peut imaginer un confrère malheureux venu solliciter l'artiste en vogue. L'estampe en question est une des nombreuses versions gravées d'après une composition du peintre néerlandais Andries Both représentant un peintre misérable dans un intérieur qui ne l'est pas moins, injurié par sa femme qui broie ses couleurs, tandis que ses deux enfants, en guenilles, se lamentent. De passage en France au début des années 1630, Both aurait séjourné à Rouen en 1633, ce qui mérite d'être noté. Et c'est à peu près vers cette date que l'on peut placer l'activité, mal connue, du graveur parisien Nicolas Viennot, auteur d'une très bonne copie d'après le Loth et ses filles de Claude Mellan (dont l'original date de 1629), d'un portrait de Richelieu publié chez Jean Vallet (mort à la fin de 1636) et de quelques pièces d'après Rubens. Il n'est pas impossible que Bosse ait joué sur la relative homophonie entre son nom et celui de Both, et sur l'identité de leurs initiales, dans cet exercice subtil d'opposition entre deux extrêmes de la peinture ; il n'est d'ailleurs pas sûr qu'il se moque du pauvre plus que du "noble" peintre.
Derrière le peintre, un visiteur élégant, tourné vers le spectateur, semble déclamer à l'intention du public d'un théâtre les vers gravés au bas de la planche. Sur le mur du fond de l'atelier sont accrochés des tableaux de tout genre : paysages, marines, portraits, allégories. On distingue un tableau représentant peut-être Apelle peignant Campaspe sous les yeux d'Alexandre, si l'on admet qu'Alexandre soit un vieillard chenu et que Campaspe porte un sceptre, qui paraît dans la manière de Vignon (mais il n'y a aucun sujet semblable dans le catalogue de ce dernier) ou dans celle de Frans II Francken, deux peintres figurant à plusieurs reprises dans la collection de l'éditeur de Bosse, Jean Leblond. Sur un autre tableau, qui fait encore penser à Vignon, figure une allégorie : pape, empereur, princes et prélats rendent hommage à Minerve, qui trône au-dessus d'un trophée d'instruments des arts, une épée à la main droite, tenant de l'autre son bouclier à tête de Méduse. Au pied du mur, on peut reconnaître dans deux autres tableaux le cardinal de Richelieu et une Anne d'Autriche quelque peu flattée. Tout à fait à droite, sur le rebord d'une fenêtre, un buste de femme en ronde-bosse, exposée au soleil sur son piédouche, rappelle l'expérience de la raquette dont on parle ailleurs.
Dans l'image, en bas, vers la gauche : le Noble Peintre, vers le centre : ABosse in et fe, et vers la droite : le Blond excud auec Priuilege du Roy. Au bas, sur une draperie feinte, 30 vers sur 5 colonnes : Que le Graueur jngenieux / Faict bien icy voir à nos yeux / L'excellence de la peinture ! / Et que c'et Art me semble beau, / Quand il jmite la Nature, / Par les merueilles du pinceau ! // Celuy dont la noble maniere / Joint les ombres à la lumiere / En mille tableaux differans ; / N'est pas de ces Peintres vulgaires, / Qui passent pour des ignorans / Dans leurs Ouurages ordinaires // Jl execute, & met au jour / Tout ce que la Guerre et l'Amour / Ont de memorable et d'estrange ; / Et semble à qui voit ses dessains, / Que c'est Apelle ou Michel l'Ange / Qui guide son Art et ses mains. // Soit qu'il represente Bellone, / Ou Pallas aue [sic] sa Gorgonne, / Ou Cupidon armé de traits ; / Jl se met si fort en estime / Par ses admirables portraits, / Que châcun dit qu'il les anime. // Mais quand il nous peint les lauriers / De Louys, honneur des guerriers, / Et vray portrait de la Victoire / Jl fait vn chef-doeuure sans prix / Pour ce grand Roy, qui dans l'histoire / Est l'objet des meilleurs Esprits.

Dans une bordure, sur trois côtés, ornée de fleurs de lis répondant à l'écusson, au centre de la bordure supérieure, aux armes de l'Académie de Saint-Luc (trois écus d'argent sur fond d'azur, avec fleur de lis d'or en abîme), qui sont d'ailleurs les mêmes que celles de l'Académie royale de peinture et sculpture.