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Jusqu'au milieu du XVIIIe
siècle, une impressionnante masse de textes n’était pas destinée à la
publication : journaux intimes, mémoires, récits de voyage, gazettes
et nouvelles à la main – souvent composés, comme les innombrables
cahiers de cours des étudiants, dans des ateliers de copistes dûment rétribués –,
littérature dévote, œuvres subversives et bien sûr œuvres inachevées.
De ces manuscrits, certains sont le jardin secret de leurs auteurs, même
s’ils comptent, comme Saint-Simon, sur la postérité pour les divulguer,
et ceux-là, souvent autographes, bénéficient longtemps d’un huis clos
percé au gré des circonstances : saisie officielle, succession, obstination
d’un éditeur ou d’un chercheur. Pour beaucoup d’autres, la communication
manuscrite constitue encore un réseau naturel, différent de celui de l’imprimé,
qui reste très vivace jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, tant
pour des raisons de censure que pour les facilités qu’elle procure. Gazettes
et nouvelles à la main, revues manuscrites permettent la divulgation de
courts textes, bulletins politiques, poèmes, essais ou critiques. Certaines
sont du reste soumises à l’autorisation du lieutenant de Police. Phénomène
de sociabilité, les pièces de théâtre, tant celles jouées sur les scènes
privées et inlassablement recopiées pour les acteurs d’un jour que celles
du répertoire du Théâtre-Français, dont les copies portent souvent des
annotations des auteurs et la griffe des censeurs, sont conservées en
très grand nombre, ont attiré l’attention des collectionneurs dès le XVIIIe
siècle (collections du duc de La Vallière et de Pont-de-Vesle) et au XIXe
siècle (collection Soleinne). Épigrammes et chansons continuent de susciter
un engouement passionné dans tous les milieux, simples feuillets ou recueils
de pièces collectées par des amateurs. Certains de ces chansonniers sont
de véritables corpus de l’esprit du temps, tels le chansonnier dit "de
Clairambault" et la superbe copie calligraphiée en quarante-quatre
volumes qu’en fit exécuter un noble frondeur, le comte de Maurepas. À
la lisière incertaine du permis, la circulation des textes considérés
comme subversifs nécessite une organisation clandestine, partant une prolifération
de copies, dont l’une ou l’autre passe parfois dans les circuits de l’impression
présumée ou non hors frontières.
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