Homophonies: littérature / lis tes ratures

Un jour de séminaire, au square Rapp, Barthes, l’éveilleur d’esprit, avait lancé cette formule à la fois énigmatique et d’une clarté déconcertante : "La littérature, c’est la rature." Barthes faisait confiance au symbolisme fortuit des mots. Or, c’est un fait : la rature est littéralement rivée à la chose littéraire ("litté-rature") et la langue française ne permet à aucun moment d’oublier qu’en matière de littérature, le grand art ne consiste pas pour l’écrivain à brûler les étapes de la rédaction, à avancer tête baissée vers un achèvement prématuré du texte, mais au contraire à retarder l’irréversible, à saisir chemin faisant toutes les opportunités d’un retour sur soi de l’écriture. L’œuvre à l’état naissant ne prend vraiment connaissance de ce qu’elle cherche à devenir que dans l’espace du doute et de la re-formulation, à travers ses propres repentirs. Replacée dans le champ des curiosités homophoniques, cette relation native entre rature et littérature peut d’ailleurs se lire comme une sorte d’injonction – "Lis tes ratures" – qui constitue en effet l’un des impératifs catégoriques majeurs du métier d’écrivain : une vigilance comptable des métamorphoses infligées aux formes et aux significations par laquelle l’écrivain élucide le sens de son projet pour pouvoir le mener à bien, avant que d’autres – les généticiens du texte – n’aillent y rechercher, après coup, les indices significatifs de son itinéraire créatif.