Coupeau, malade, a dévasté la chambre
La porte s'ouvrit, mais le porche était noir, et quand elle frappa à la vitre de la loge pour demander sa clef, la concierge ensommeillée lui cria une histoire à laquelle elle n'entendit rien d'abord. Enfin, elle comprit que le sergent de ville Poisson avait ramené Coupeau dans un drôle d'état, et que la clef devait être sur la serrure.
"Fichtre! murmura Lantier, quand ils furent entrés, qu'est-ce qu'il a donc fait ici ? C'est une vraie infection." En effet, ça puait ferme. Gervaise, qui cherchait des allumettes, marchait dans du mouillé. Lorsqu'elle fut parvenue à allumer une bougie, ils eurent devant eux un joli spectacle. Coupeau avait rendu tripes et boyaux ; il y en avait plein la chambre ; le lit en était emplâtré, le tapis également, et jusqu'à la commode qui se trouvait éclaboussée. Avec ça, Coupeau, tombé du lit ou Poisson devait l'avoir jeté, ronflait là-dedans, au milieu de son ordure. Il s'y étalait, vautré comme un porc, une jouebarbouillée, soufflant son haleine empestée par sa bouche ouverte, balayant de ses cheveux déjà gris la mare élargie autour de sa tête.
"Oh! le cochon ! le cochon ! répétait Gervaise indignée, exaspérée. Il a tout sali... Non, un chien n'aurait pas fait ça, un chien crevé est plus propre."
Tous deux n'osaient bouger, ne savaient où poser le pied. Jamais le zingueur n'était revenu avec une telle culotte et n'avait mis la chambre dans une ignominie pareille. Aussi, cette vue-là portait un rude coup au sentiment que sa femme pouvait encore éprouver pour lui. Autrefois, quand il rentrait éméché ou poivré, elle se montrait complaisante et pas dégoûtée. Mais, à cette heure, c'était trop, son cœur se soulevait. Elle ne l'aurait pas pris avec des pincettes. L'idée seule que la peau de ce goujat chercherait sa peau, lui causait une répugnance, comme si on lui avait demandé de s'allonger à côté d'un mort, abîmé par une vilaine maladie.
"Il faut pourtant que je me couche, murmura-t-elle. Je ne puis pas retourner coucher dans la rue... Oh ! je lui passerai plutôt sur le corps."
Elle tâcha d'enjamber l'ivrogne et dut se retenir à un coin de la commode, pour ne pas glisser dans la saleté. Coupeau barrait complètement le lit. Alors, Lantier, qui avait un petit rire en voyant bien qu'elle ne ferait pas dodo sur son oreiller cette nuit-là, lui prit une main, en disant d'une voix basse et ardente :
"Gervaise... écoute, Gervaise..."
Mais elle avait compris, elle se dégagea, éperdue, le tutoyant à son tour comme jadis.
"Non, laisse-moi... Je t'en supplie, Auguste, rentre dans ta chambre... Je vais m'arranger, je monterai dans le lit par les pieds...
– Gervaise, voyons, ne fais pas la bête, répétait-il. Ça sent trop mauvais, tu ne peux pas rester... Viens. Qu'est-ce que tu crains ? Il ne nous entend pas, va !"
Elle luttait, elle disait non de la tête, énergiquement. Dans son trouble, comme pour montrer qu'elle resterait là, elle se déshabillait, jetait sa robe de soie sur une chaise, se mettait violemment en chemise et en jupon, toute blanche, le cou et les bras nus. Son lit était à elle, n'est-ce pas ? elle voulait coucher dans son lit. À deux reprises, elle tenta encore de trouver un coin propre et de passer. Mais Lantier ne se lassait pas, la prenait à la taille, en disant des choses pour lui mettre le feu dans le sang. Ah ! elle était bien plantée avec un loupiat de mari par-devant, qui l'empêchait de se fourrer honnêtement sous sa couverture, avec un sacré salaud d'homme par-derrière, qui songeait uniquement à profiter de son malheur pour la ravoir ! Comme le chapelier haussait la voix, elle le supplia de se taire. Et elle écouta, l'oreille tendue vers le cabinet ou couchaient Nana et maman Coupeau. La petite et la vieille devaient dormir, on entendait une respiration forte.


Émile Zola, L'Assommoir,
chapitre VIII.