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L’Europe carolingienne

De la naissance à la disslocation
Couronnement impérial de Charlemagne
Couronnement impérial de Charlemagne

Bibliothèque nationale de France

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C’est à l'est du royaume mérovingien, en Austrasie, qu’apparaît la dynastie pippinide. Servie par des alliances familiales choisies, elle prend peu à peu en main le destin d’une grande partie de l’Europe. Pendant près de deux siècles, ses membres, qui ont pour nom Pépin le Bref, Charlemagne ou Louis le Pieux préparent, développent et maintiennent leur domination sur un vaste territoire : l’Empire carolingien.

Les Carolingiens ont tenté de restaurer l’empire romain d’Occident grâce à une politique d’expansion ambitieuse, la mise en place de méthodes d’administration et de gouvernement plus rigoureuses, et un resserrement des liens avec l’église chrétienne. Les lettres et les arts sont atteints à leur tour par un renouveau d’une telle ampleur que l’on parle de « renaissance carolingienne », par analogie avec la Renaissance des 15e et 16e siècles.

Carte de l'empire de Charlemagne après le partage de 806
Carte de l'empire de Charlemagne après le partage de 806 |

Bibliothèque nationale de France

L’époque des maires du palais

Baptême de Clovis et Dagobert Ier chassant
Baptême de Clovis |

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Au 7e siècle, à la fin de la dynastie mérovingienne, le royaume franc n’est guère plus qu’un conglomérat de principautés religieuses ou familiales, partagé en deux et affaibli par les rivalités entre rois de Neustrie et d’Austrasie. La notion d’État subit une véritable éclipse : les comtes, représentants locaux du roi, voient leur pouvoir personnel croître au détriment de l’unité du royaume ; les maires du palais, qui gouvernent et contrôlent le trésor royal, prennent également du pouvoir, en tentant notamment de rendre leur charge héréditaire. Le ciment essentiel du royaume franc, où la culture latine n’existe plus qu’à l’état de vestiges, reste la religion chrétienne.

Les princes mérovingiens ne sont pourtant pas tous les incapables décriés par les historiens carolingiens : le mythe des rois fainéants, destiné à tuer définitivement la monarchie héréditaire et de droit divin créée par Clovis et à légitimer la prise du pouvoir par les Pippinides, apparaît bien plus tard, dans la biographie de Charlemagne, la Vita Karoli magni, composée en 828 par Éginhard.

Les fondations de la dynastie carolingienne

Désigné comme maire du palais d’Austrasie par le roi Clotaire II, Pépin Ier (585-640) arrive le premier sur la scène politique. Mais le véritable fondateur de la dynastie carolingienne est Pépin II (635-714), petit-fils de Pépin Ier et d’Arnoul de Metz. Après des règlements de compte sanglants entre coteries mérovingiennes et une courte éclipse du pouvoir pippinide au milieu du 7e siècle, Pépin II devient maire du palais d’Austrasie, puis il fait la conquête de la Neustrie et devient maire des deux palais en 687. Il règne au nom des rois Thierry III, puis Clovis II.

Clovis II exempte l’abbaye de Saint-Denis des privilèges épiscopaux
Clovis II exempte l’abbaye de Saint-Denis des privilèges épiscopaux |

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Quand ce dernier meurt en 691, Pépin II désigne Dagobert III comme héritier du royaume. Pépin ménage l’aristocratie franque afin d’éviter les querelles ; il lui faut unifier les territoires disparates sur lesquels il a mis la main, et les défendre des agressions extérieures. Mais en même temps, il place les membres de sa famille aux postes-clés du pouvoir. Parallèlement, il noue des liens étroits avec la Papauté qui cautionne sa politique religieuse, et s’appuie sur les missionnaires anglo-saxons dont le rôle évangélisateur accompagne l’extension de son autorité en Germanie. Pépin II meurt le 16 décembre 714, laissant prêtes pour les générations suivantes les bases sur lesquelles elles vont construire et étendre leur pouvoir.

Charles Martel

Charles Martel, gouverneur des Français
Charles Martel, gouverneur des Français |

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Le seul héritier désigné de Pépin II est son petit fils, trop jeune pour gouverner ; c’est donc le fils d’une de ses concubines, Charles, dit Martel (688-741), qui prend le pouvoir. Celui-ci va regagner les territoires autrefois contrôlés par les Mérovingiens. Héros de la Chrétienté contre l’Islam, bien connu pour ses talents guerriers et sa victoire sur les Arabes près de Poitiers en 732, Charles Martel a cependant une image négative dans la littérature ecclésiastique contemporaine : en effet, il utilise les biens de l’Église et confie, comme l’avait déjà fait son père, les charges abbatiales et épiscopales à des parents ou à des hommes de confiance. Ce réseau sans précédent, construit sans relâche pendant la première moitié du 8e siècle, servira par la suite à appliquer la politique culturelle de Charlemagne et de ses héritiers.

Profitant de l’affaiblissement du pouvoir royal, Charles Martel se proclame dès 719 duc et prince des Francs. En 737, il ne désigne pas de successeur au roi mérovingien Thierry IV, et le pape Grégoire III, qui l’appelle à son secours en 739 pour le défendre contre les Lombards, lui donne le titre de vice-roi. Quand il meurt en 741, ses trois fils Pépin, Carloman et Griffon sont donc en situation de force par rapport à la dynastie mérovingienne. Les trois frères se partagent les territoires, selon le scénario habituel à l’époque ; mais Griffon est rapidement neutralisé, et Carloman se retire dans un monastère en 747.

Du royaume à l’empire

Seul au pouvoir à partir de 747, Pépin III (715-768), surnommé le Bref en raison de sa petite taille, gouverne d’abord au nom du roi Childéric III, qu’il dépose en 751. Ses ambassadeurs auprès du pape obtiennent pour lui le soutien pontifical. Élu roi, il est sacré le jour de Noël 751 par plusieurs évêques de Neustrie et d’Austrasie réunis à Soissons. Enfin le pape Étienne II lui-même, réfugié en France en 754 à la suite des conflits avec les Lombards, le couronne à Saint-Denis.

Pépin III s’engage dans la conquête de l’Aquitaine et des territoires à l’Est de la Gaule, et consolide son alliance avec la papauté. Il meurt en 768, laissant son royaume à ses fils Charles et Carloman. La mésentente règne entre les deux frères, ce qui compromet l’unité du royaume ; mais Carloman meurt en 771, et Charles, l’aîné, s’empare de tout le pouvoir.

Bataille de Laon et couronnement de Pépin le Bref
Bataille de Laon et couronnement de Pépin le Bref |

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Charlemagne ou l’apogée du pouvoir carolingien

Charles est né le 2 avril 747. Bon stratège, soldat courageux, il dispose d’une armée expérimentée avec laquelle il tient le pays et entreprend d’élargir son pouvoir avec plus ou moins de succès vers la Lombardie, l’Espagne musulmane, la Bavière, la Saxe, contre les Avars et les Danois. Il veille aussi au développement intérieur de territoires de plus en plus étendus par la constitution des « comtés », avec le soutien d’hommes de valeur, clercs ou laïques, qu’il sait se rallier, et par des décisions administratives judicieuses dont les capitulaires se font l’écho. En 771, il épouse Hildegarde, fille du comte franc Gérold l’Ancien, et descendante du duc de Souabe Godefroi, ancien adversaire de Pépin II. Ce mariage est un geste politique que fait le futur empereur vers l’aristocratie alémanique.

Charlemagne à la bataille
Charlemagne à la bataille |

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Couronnement impérial de Charlemagne
Couronnement impérial de Charlemagne |

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Roi des Francs depuis 768, il devient roi des Lombards en 774. Ses pèlerinages à Rome en 774, puis en 781, témoignent de son intérêt religieux et politique pour la papauté, qui culmine avec son couronnement impérial à Rome le jour de Noël 800. Charlemagne est alors présenté comme un nouveau David, et son royaume comme une renaissance de l’Empire d’Occident. Ce triomphe est l’aboutissement de trente ans de domination sur un pays toujours plus étendu, dont les populations disparates, aux coutumes, aux langues différentes, ont pour point commun leur souverain, à la fois chef militaire, politique et spirituel.

Avec ce nouvel atout, l’empereur peut établir des relations apaisées avec l’Orient, et tendre la main à son rival byzantin. Les signes d’alliance et de reconnaissance entre les deux empires se multiplient : entre 810 et 842, de nombreuses ambassades viennent de Constantinople en Gaule ; le calife Haroun-al-Rachid envoie un éléphant en cadeau à l’empereur ; en septembre 827, les envoyés de l’empereur byzantin Michel le Bègue remettent à Louis le Pieux, l’un des fils de Charlemagne, un exemplaire en grec des œuvres de saint Denys Aréopagite, personnage essentiel dans la mythologie royale franque.

Le règne de Louis le Pieux

Couronnement de Louis Ier le Pieux et mort de Charlemagne
Couronnement de Louis Ier le Pieux et mort de Charlemagne |

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Quand Charlemagne meurt le 28 janvier 814, son empire s’étend des Pyrénées à la Saxe, de la pointe de la Bretagne au duché de Spolète. Il n’est pourtant pas inaliénable : en 806, et suivant la tradition franque, Charlemagne a prévu son partage entre ses trois fils. Mais deux de ses fils meurent prématurément, et l’unique survivant, Louis le Pieux, commence son règne par un coup de force sur Aix-la-Chapelle, siège de l’empire. Il se débarrasse des proches de son père, dont il continue cependant la politique, et organise avec l’aide de Benoît d’Aniane une vaste réforme des ordres monastiques. Il se fait couronner empereur à Reims en 816 par le pape Étienne IV. L’année suivante, il se débarrasse de l’un de ses principaux opposants, son neveu Bernard, qui avait été nommé roi d’Italie par Charlemagne en 811.

Louis le Pieux tente une nouvelle réforme administrative, consignée dans le capitulaire de 823-825 ; son souci principal n’est plus la conquête et l’organisation de nouvelles terres, mais le maintien des frontières existantes. En effet, les Normands menacent l’Ouest de l’Empire, des côtes de la mer du Nord à l’Atlantique. Apparus sur les côtes vers 800, ils gagnent Noirmoutier en 821, puis s’attaquent au Nord de l’Empire, et arrivent dans la vallée de la Seine en 840. En outre, à partir de 833, le souverain est confronté à la montée des ambitions et aux coteries des grandes familles, qui provoquent une situation anarchique. Il est finalement déposé par ses trois fils Louis, Lothaire et Charles en octobre 833. Rétabli par Louis et Charles en mars 834, il meurt au début de 840 sans avoir réglé le problème de sa succession.

Le déclin de l’empire carolingien

La période qui s’ouvre après la mort de Louis le Pieux est particulièrement critique pour la dynastie carolingienne. L ’empereur avait préparé le partage de l’Empire entre ses fils selon la tradition franque. Mais en 840, son fils aîné, Lothaire Ier, revendique l’application de l’Ordinatio imperii (Ordonnancement de l’Empire) de 817, qui l’associait au pouvoir et lui donnait la priorité pour la succession, mais avait suscité l’hostilité de nombreux sujets. Le conflit est inévitable avec ses deux frères, Louis le Germanique, solidement installé dans la partie orientale, et Charles le Chauve, confiné dans le Sud, politiquement fragile mais très ambitieux.

Lothaire Ier trônant
Lothaire Ier trônant |

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La Genèse : Création d’Adam et Ève Dieu ; Péché originel ; Adam et Ève chassés du Paradis
La Genèse : Création d’Adam et Ève Dieu ; Péché originel ; Adam et Ève chassés du Paradis |

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Une suite ininterrompue de conflits sanglants et de négociations trouve son épilogue dans l’épisode des serments de Strasbourg en 842, qui scellent un partage des terres en trois parties à peu près équivalentes, en ménageant aussi les intérêts de la noblesse franque. La partition est entérinée par le traité de Verdun, signé en août 843, au grand dam de ceux qui croyaient encore à la survie de l’empire : le clerc Florus de Lyon, par exemple, exprime son chagrin et son amertume dans un long poème intitulé De divisione imperii (De la division de l’empire).

La mort de Lothaire Ier à Prüm le 29 septembre 855 entraîne un regain de tensions. Son propre héritage est partagé entre ses trois fils, mais quand l’un d’eux, Lothaire II, meurt en 869, Charles le Chauve profite du soutien des évêques pour annexer son domaine, la Lotharingie. Sur les conseils de l’archevêque de Reims Hincmar, il se fait couronner roi de Lotharingie à Metz en 869. Pourtant, dès l’année suivante, il est forcé d’abandonner Aix-la-Chapelle et Metz à son autre frère, Louis le Germanique. Pendant ces années de faiblesse intérieure, les Normands s’enhardissent : ils pillent en 858 l’abbaye Saint-Martin de Tours, qui ne se relèvera pas avant l’époque romane, et assiègent Saint-Denis en 869.

Charles le Chauve et la fin de l’empire carolingien

Le pape Jean VIII entend désigner seul un nouvel empereur et choisit Charles le Chauve, qu’il couronne à Rome le 25 décembre 875. Soixante-quinze ans après son grand-père, Charles le Chauve rêve de reconstituer l’Empire, surtout après la mort de Louis le Germanique en 876, mais il échoue et un nouveau partage est entériné le 14 juin 877. Les derniers mois du règne de l’empereur sont marqués par des révoltes permanentes, et le 6 octobre 877, sa mort amorce le déclin d’une dynastie dont les successions trop rapprochées et le manque d’énergie vont avoir raison.

Charles le Chauve trônant
Charles le Chauve trônant |

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En 881, le sacre de Charles III le Gros comme empereur d’Occident est une dernière tentative de survie dans un monde miné par trois facteurs de désunion : les ambitions de l’aristocratie d’abord, l’abandon du pape ensuite, qui recentre la dignité impériale sur l’Italie, et enfin les assauts des Normands, qui assiègent Paris en 885. À la mort de Charles le Gros, le 13 janvier 888, l’Europe carolingienne a fini d’exister, même s’il faut attendre 987 pour que les descendants de Charlemagne soient définitivement remplacés par Hugues Capet sur le trône de France occidentale.

Provenance

Cet article provient du site Trésors carolingiens (2007).

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