Les querelles théologiques
À l’époque carolingienne, nombreuses
sont les controverses au sujet de plusieurs doctrines fondatrices du christianisme,
liées à l’interprétation des textes sacrés.
Les livres sont alors le moyen, pour les savants et les théologiens,
d’exposer leurs conceptions et de les diffuser ; l’ornementation
des ouvrages, par les choix esthétiques qu’elle manifeste,
se fait aussi l’expression de ces conceptions contradictoires, sources
d’exclusions et d’affrontements parfois très virulents.

La question des images
La production artistique à l’époque carolingienne
doit être analysée à la lumière des polémiques
qui entourent alors le statut des images, en Orient et en Occident.
La question est celle des représentations du divin, dans les
icônes en particulier : ceux qui s’opposent à ces
représentations figurées (les iconoclastes) redoutent
que les Chrétiens adorent les images elles-mêmes, au détriment
du principe sacré qu’elles illustrent. Au VIIIe siècle,
la situation avait ainsi pris une tournure dramatique en Orient, où l’iconoclasme était
devenu la doctrine officielle à la suite du concile de Hiéreia,
convoqué par l’empereur byzantin Constantin V en 754.
En 787,
désireux de mettre un terme à la fureur destructrice des Byzantins,
le pape Hadrien Ier réunit donc le second concile de Nicée, qui
rétablit le culte des images à Byzance. Parvenus à la
Cour de Charlemagne dans une très mauvaise traduction qui donnait à croire
que les Grecs adoraient les images, les actes de ce concile suscitèrent
des réactions de rejet très vives de la part des théologiens
francs, qui attirent l’attention sur les dangers de l’idolâtrie.

En 789,
une première prise de position fut adoptée à la Cour franque
avec le Capitulare adversum synodum (Capitulaire contre le synode),
dans lequel Charlemagne prit ses distances par rapport à la doctrine
de Nicée
II. Pour préciser
ses vues, le roi franc commanda ensuite à Théodulfe, futur évêque
d’Orléans, un traité sur les images, dont la rédaction
s’étendit de 791 à 794. Connu sous le nom de Libri
carolini, ce manifeste consacre la position médiane de l’Église
franque, entre l’iconoclasme byzantin et l’iconophilie papale.
Reprenant la doctrine sur l’image que Grégoire le Grand avait
exposée vers 600 dans sa lettre à l’évêque
Serenus de Marseille, qui avait procédé de son propre chef à la
destruction d’images auxquelles ses ouailles vouaient un culte idolâtre,
Théodulfe y affirme le rôle pédagogique des images. Celles-ci
sont investies d’une triple fonction : instruire les illettrés,
fixer la mémoire de l’histoire sainte et susciter un sentiment
de componction chez les fidèles. Cependant, elles ne sauraient être
adorées : "À l’ endroit des images,
nous ne blâmons rien, si ce n’est leur adoration ; aussi permettons-nous
qu’il y ait des images dans les basiliques des saints, non dans un but
d’adoration, mais pour rappeler leur action et embellir les murs".
Ces théories furent officiellement adoptées en 794, lors du synode
de Francfort, et communiquées au pape par le théologien Angilbert.
Une période de stabilité s’ensuivit, au cours de laquelle
un grand nombre de réalisations artistiques virent le jour.
Au début du IXe siècle, cependant,
la polémique autour
des images, relancée par l’évêque Claude de Turin, rebondit
dans l’Occident franc : nommé sur le siège de
Turin en 816, Claude s’en prit très violemment aux images
qui ornaient les basiliques de sa ville, la croix y compris, considérant
qu’elles ne sauraient transmettre une quelconque vérité,
car elles échappent à la ressemblance divine propre à l’homme.
En 825, il résuma ses vues iconoclastes dans un volumineux ouvrage
intitulé Apologeticum atque rescriptum adversus Theutmirum abbatem (Apologie
et réponse contre l'abbé Theutmir). Louis le Pieux chargea
alors Dungal le Reclus et Jonas d’Orléans
de réfuter ces thèses hérétiques. Les deux
théologiens publièrent chacun un traité sur les images,
le premier en 827 et le second vers 840, tandis que l’évêque
de Lyon Agobard s’engageait avec son Liber de imaginibus (Livre
sur les images) dans la voie ouverte par Claude de Turin, sans cependant
aller jusqu’à préconiser la destruction des images.
Parallèlement, un nouveau synode réuni à Paris en
825 réaffirma la doctrine des Libri carolini (Livres carolins) , à la
suite de la venue d’une ambassade que l’empereur byzantin Michel
II le Bègue avait envoyée à Rouen pour tenter un rapprochement
avec l’Église franque autour de la question des images.
Ces
prises de position successives reflètent la volonté des Carolingiens
de s’en tenir à une via media : entre le refus
des images et leur adoration, à mi-chemin de l’iconoclasme
byzantin et de l’iconophilie prônée par la papauté.
Pour eux, l’image a une portée purement instrumentale :
s’adressant avant tout aux fidèles, elle a pour fonction de
rappeler les hauts faits de l’histoire sainte. Nullement décriée,
sa valeur esthétique est, quant à elle, destinée à susciter
une réaction affective de la part de ceux qui la contemplent.
De fait,
les œuvres qui n’ont pas recours à la représentation
figurée sont rares : dans ce registre, on peut mentionner les deux
somptueux exemplaires sur parchemin pourpré de la Bible révisée
par Théodulfe, qui se distinguent par la qualité de leur calligraphie
et de leur décor ornemental inspiré de l’Antiquité.
L’absence de représentation figurée dans ces manuscrits
est conforme aux prises de position aniconiques de l’évêque.
On peut considérer également le décor de l’oratoire
qu’il fit exécuter à Germigny-des-Prés (dont les
mosaïques ne forment que des motifs décoratifs, à l’exception
du thème hautement symbolique de l’Arche d’alliance placée
dans l’abside), comme le manifeste de son programme aniconique. Mais
ces réalisations constituent une exception dans le paysage artistique,
et les œuvres de cette époque traduisent au contraire un net penchant
pour l’art figuratif.

La querelle de l’adoptianisme
L’adoptianisme est une doctrine religieuse apparue au IIe siècle,
selon laquelle Jésus ne serait devenu le fils de Dieu que par
adoption, à la suite de son baptême dans le Jourdain par
Jean-Baptiste. Paul de Samosate, évêque d’Antioche,
la reprend en 268 puis, au VIIe siècle en Espagne, l’évêque
Félix d’Urgel.
Diverses
réactions contradictoires apparaissent à cette époque
au nom de l’orthodoxie : le pape Adrien Ier la condamne, tandis
que Charlemagne, conseillé par Alcuin, Benoît d’Aniane et
Leidrat de Lyon, convoque le concile de Francfort en 794 et obtient également
sa condamnation. Enfin, le synode de Rome la condamne en 799. Ce n’est
cependant qu’au XIIe siècle que le pape Alexandre III viendra à bout
de l’adoptianisme, considéré définitivement comme
hérésie.
Plusieurs
manuscrits carolingiens portent la trace de cette querelle : au début
du IXe siècle, Benoît d’Aniane et l’évêque
de Lyon Agobard sont auteurs de plusieurs traités contre l’adoptianisme.
Le Pentateuque d’Ashburnham, réalisé au début
du VIIe siècle, contient une représentation de la scène
de la Création, dont les symboles de la Trinité – le second
Créateur assistant Dieu le Père et l’ange du Saint-Esprit –,
ont été jugés peu orthodoxes à l’époque
de cette controverse. Ces symboles furent probablement effacés à Tours à l’époque
de l’abbé Alcuin, auteur, lui aussi, de deux traités réfutant
les thèses de Félix d’Urgel, et recouverts d’une
couche de peinture rose-violet.

La question de la prédestination
La théorie de la prédestination, qui veut que Dieu ait choisi
de toute éternité ses élus, et qui pose donc la question
de la liberté humaine, est rejetée par l’Église
depuis les origines ; cette théorie est pourtant reprise à des époques
différentes, suscitant chaque fois des débats passionnés.
Au Ve siècle,
saint Augustin s’oppose ainsi au moine Pélage, défenseur
du libre arbitre. La querelle sur la grâce et la prédestination
est de nouveau ouverte, après 830, par Gottschalk d’Orbais, qui
prône la double prédestination au bien et au mal. Des théologiens
de renom comme Florus de Lyon, Hincmar de Reims ou Ratramne de Corbie participent
activement à la controverse. L’usage d’un recueil de saint
Augustin, les Rétractations et les Commentaires sur les
lettres aux Galates et aux Romains, témoigne de l’intérêt
qu’éveille alors cette question théologique. Le manuscrit,
réalisé à Reichenau pendant le deuxième quart du
IXe siècle, est un recueil soigné destiné à l'étude ;
il contient deux œuvres de jeunesse de saint Augustin, écrites
vers 394 alors qu'il vient de devenir prêtre, ainsi que les Rétractations,
modifications ou précisions qu'il leur a apportées en 427, sur
la fin de sa vie. Outre des corrections et des additions qui sont sans doute
de la main du copiste, les feuillets consacrés aux Rétractations portent
des indications de variantes extraites d’un autre exemplaire, qui traduisent
un effort éditorial dû à l’importance du traité.
Cette œuvre de saint Augustin tient en effet une place fondamentale dans
la querelle qui agite les lettrés du temps, et toute bibliothèque
monastique conséquente se doit alors d’en posséder un exemplaire.

La question de la Trinité
Le dogme de la Trinité occupe une place centrale dans la pensée
religieuse occidentale. Cette conception distingue le monothéisme chrétien
des autres monothéismes ; elle affirme que Dieu consiste en une
seule substance divine à travers trois personnes distinctes, le Père,
le Fils et le Saint-Esprit. Reconnue définitivement au concile de Nicée
en 325, elle reste longtemps l'objet de polémiques au sein même
de l'Eglise. Saint Hilaire, évêque de Poitiers vers 350, s’oppose
aux anti-trinitaires et à l'empereur Constantin II qui les soutient.
En 356, il est exilé en Phrygie et y termine son De Trinitate (De
la Trinité), dans lequel il défend sa position avec fermeté.
Plusieurs exemplaires du Ve ou du VIe siècle témoignent de l'intérêt
porté à ce texte.
L’exemplaire
des écrits de Saint Hilaire de Poitiers, contenant les textes De
la Trinité et Des Synodes, réalisé à Reims
au milieu du IXe siècle, est une commande personnelle de l’archevêque
de Reims Hincmar. De nombreuses annotations autographes signalées par
le mot "Nota" prouvent que l’archevêque
de Reims a soigneusement lu le texte pour l'utiliser dans ses propres écrits,
et en particulier dans sa réponse au moine d'Orbais Gottschalk, De
una et non trina deitate (De la divinité une et non triple), écrite
en 860.
