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Les foyers de la Renaissance carolingienne

Initiale B du Beatus vir
Initiale B du Beatus vir

Bibliothèque d'Amiens Métropole

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À la période carolingienne, la culture est intimement liée au livre. Les grandes abbayes de Corbie, de Tours, de Soissons ou de Saint-Denis, qui sont dotés de vastes scriptoria, deviennnent donc de véritables foyers de création d'où rayonnent la science et les arts.

C’est autour des écoles palatines, où sont produits les manuscrits impériaux, que gravitent les principaux foyers de création liés à la dynastie carolingienne :
L’abbaye de Corbie participe à la révolution qu’incarne la naissance de l’écriture caroline et à la transmission des auteurs de l’Antiquité classique et des Pères de l’Église.
• Réceptacle de la générosité impériale et centre de culture, Saint-Denis se situe au cœur des échanges à travers l’Europe.
L’abbaye Saint-Martin de Tours, où Alcuin établit vers 800 une nouvelle version de la Bible, produit les Évangiles de Lothaire avant 851. Les scriptoria de Reims symbolisent le renouveau de l’art classique.
• À Metz, lieu névralgique de la réforme liturgique, l’évêque Drogon commande vers 850 des manuscrits somptueux aux reliures d’ivoire.
Saint-Amand, enfin, est le foyer du style franco-saxon, illustré vers 871-877 par la célèbre Bible de Charles le Chauve.

Tout en développant une culture et un style propres, chacun de ces centres donne à voir la profondeur et la beauté de l’héritage carolingien, et laisse deviner l’influence qu’il exerça sur les siècles futurs.

De Corbie à Soissons : quelques abbayes franques du nord de la France

Fondée entre 657 et 661 par la reine Bathilde, veuve de Clovis II, avec des moines venus de Luxeuil, l’abbaye royale de Corbie devient le plus important centre monastique du nord de la Gaule. Des relations étroites se nouent très tôt entre les abbés et la dynastie carolingienne, de Grimo, ambassadeur de Charles Martel auprès du pape Grégoire III, à Paschase Radbert, en passant par Adalhard, cousin de Charlemagne.

Initiale D ornée
Initiale D ornée
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Initiale V du Vere Dignum
Initiale V du Vere Dignum |

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Foyer d’étude exemplaire dès le milieu du 8e siècle, l’abbaye dispose d’une riche bibliothèque et d’un scriptorium, qui joue un rôle important dans la naissance de l’écriture caroline. Sa production, plutôt austère, est éclairée de quelques manuscrits illustrés témoignant d’une virtuosité et d’une recherche inhabituelles. Corbie participe à l’application des nouveaux standards de pureté des textes et à la sauvegarde des auteurs classiques. Certains moines sont des intellectuels, tels Maurdramne, Paschase Radbert ou Ratramne, qui utilisent pour leurs travaux les ressources de la bibliothèque.

Saint-Riquier, restaurée par Angilbert, cousin de Charlemagne, est aussi un foyer de vie monastique vivant. Fondée dès le 6e siècle par Clotaire Ier, Saint-Médard de Soissons accueille en 752 le couronnement de Pépin le Bref. Louis le Pieux lui fait des dons exceptionnels en 827 et Charles le Chauve y réside.

Au cœur de l’Île de France, culture et pouvoir à Saint-Denis

Selon la légende, l’abbaye royale de Saint-Denis aurait été fondée vers 480 par sainte Geneviève à l’emplacement de la sépulture de Denis, premier évêque de Paris, martyrisé vers 250 et que l’abbé Hilduin (814-840) tentera d’identifier avec l’évêque d’Athènes Denys l’Aréopagite converti par saint Paul. Déjà favorisée par Dagobert, l’abbaye de Saint-Denis noue très tôt des liens étroits avec la nouvelle dynastie carolingienne : le pape Étienne II y sacre Pépin le Bref en 754, et certains souverains carolingiens y seront inhumés à la suite de Dagobert.

Début du livre II
Rétractations de saint Augustin |

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Croix monumentale
Croix monumentale |

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Dès la fin du 8e siècle, Saint-Denis se dote d’une riche bibliothèque, alimentée par un scriptorium très actif. Elle prend ainsi une part active au renouveau intellectuel, en assurant la sauvegarde et la diffusion de textes antiques ou patristiques et en échangeant des manuscrits avec d’autres monastères.

Le fabuleux trésor de Saint-Denis s’est constitué au fil des dons émanant des souverains. Abbé laïc du monastère, Charles le Chauve se montra le plus généreux : il offrit à l’abbaye plusieurs objets d’orfèvrerie d’un luxe inouï, comme cet « escrain » dit de Charlemagne, ainsi qu’une partie de sa bibliothèque. Saint-Denis entra ainsi en possession du chef d’œuvre de l’école franco-saxonne, une Bible exécutée à Saint-Amand, et de plusieurs manuscrits recouverts de plaques d’ivoire dont le style porte la marque des ateliers travaillant pour Charles le Chauve.

« L'escrain de Charlemagne »
« L'escrain de Charlemagne » |

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Intaille de Julie
Intaille de Julie |

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Les trésors de Saint-Denis

Fragment de la croix de Saint-Denis
Fragment de la croix de Saint-Denis |

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L’abbaye de Saint-Denis, du fait de ses liens étroits avec le pouvoir, occupe une place à part dans l’histoire des trésors carolingiens. L’abbaye conserve un très grand nombre d’objets luxueux et de manuscrits enluminés : la riche splendeur de leurs ornements d’or, d’argent et de pierreries cherche à signifier, dans leur matérialité même – car les reliures d’orfèvrerie sont pareilles à des châsses conservant les mystères divins –, l’ineffable sainteté des lieux qu’ils célèbrent, et la puissance tutélaire d’une fondation mythique veillant, depuis ses origines, sur le peuple franc.

La popularité de Charlemagne dans la mémoire collective lui fit attribuer la donation d’œuvres dont la fabrication est en réalité plus tardive (par exemple, une pièce d’échec en forme d’éléphant, ou l’épée qui servira au sacre des rois de France) ; mais les annales rappellent qu’en 783, l’empereur offrit à Saint-Denis le psautier écrit en lettres d’or qui avait appartenu à sa femme Hildegarde.

De fait, la deuxième moitié du 8e et le 9e siècle marquent l’une des apogées d’un trésor devenu alors l’un des plus importants ensembles précieux d’Occident, grâce au mécénat des souverains, mais aussi des puissants abbés sandionysiens, qui comptaient parmi les premiers personnages de la cour. On sait que les abbés Fulrad et Fardulfe mènent plusieurs ambassades à Rome et entretiennent des contacts étroits avec le roi des Lombards Didier, ce qui explique peut-être l’influence de l’art nord-alpin, mâtiné d’apports byzantins, sur certaines productions de l’école du Palais. Les œuvres du Pseudo-Denys, que Louis le Pieux a reçues de l’empereur byzantin Michel le Bègue, constituent aussi un don capital pour l’abbaye.

Mais c’est avant tout à la générosité de Charles le Chauve que sont dus les fabuleux objets d’orfèvrerie qui scellèrent l’insigne renommée du Trésor : la grande croix d’or et la table d’or de l’autel majeur, l’ « escrain » dit de Charlemagne, la coupe des Ptolémées et la patène de serpentine aux poissons d’or qui lui était associée, pour n’en citer que les plus illustres. L’empereur légua aussi au monastère royal, en 877, certains manuscrits de sa bibliothèque. On peut compter parmi eux le chef d’œuvre de l’école franco-insulaire, une grande Bible peinte à Saint-Amand vers 875, et peut-être aussi un livre d’Evangiles entièrement écrit sur parchemin pourpré hérité de son grand-père qui compte, avec sa reliure d’ivoire, parmi les chefs d’œuvre de l’école du Palais de Charlemagne. S’il est difficile aujourd’hui d’identifier, parmi les manuscrits subsistants, ceux qui ont réellement été légués par Charles le Chauve, au moins a-t-on conservé quelques ivoires sculptés qui en ornaient les reliures et peuvent être considérés de façon sûre comme des cadeaux royaux. Sans doute le souverain, qui choisit de se faire enterrer au plus près de son saint protecteur, aura-t-il voulu compenser par cette magnificence les pertes subies par l’abbaye suite aux déprédations normandes du milieu du siècle.

La vallée de la Loire, d’Orléans à Fleury

Fondée au 5e siècle pour abriter les reliques de l’évêque de Tours saint Martin, l’abbaye Saint-Martin de Tours devient rapidement un haut lieu du monachisme en Occident. Sa renommée s’accroît à l’époque carolingienne, lorsqu’en 796, Charlemagne nomme à sa tête l’une des plus grandes personnalités de la cour, Alcuin. Féru de lettres, ce savant d’origine anglaise encourage la copie de nombreux textes au sein du scriptorium de l’abbaye, d’après des modèles importés d’Angleterre, et développe les études autour de la Bible.

Christ en majesté
Christ en majesté |

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Christ en majesté
Christ en majesté |

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Durant les décennies suivantes, l’abbaye vit un véritable âge d’or sous la direction d’abbés influents, souvent liés à la dynastie carolingienne : Fridugise (804-834), Adalard (834-845) puis Vivien (845-851) favorisent chacun à leur tour le développement du scriptorium. La réforme de l’écriture lancée sous Charlemagne porte pleinement ses fruits à Tours, où les scribes pratiquent une minuscule qui se distingue par ses formes parfaites : la caroline de Tours. Sur le plan artistique, irriguée par des courants antiquisants venus d’Italie et de Reims, l’école de Tours produit ses plus beaux chefs-d’œuvre, comme les Évangiles de Lothaire.

Non loin de Tours, Orléans et Fleury, dirigés vers 800 par Théodulfe – un Wisigoth auquel nous devons une version révisée de la Bible – produisent de nombreux manuscrits, où les influences insulaires le disputent aux influences antiques.

Tables des Canons
Tables des Canons |

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Tables des Canons
Tables des Canons |

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Entre diversité et inventivité, les ateliers rémois

Saint Jean et grandes initiales IN marquant le début de son Évangile
Saint Jean et grandes initiales IN marquant le début de son Évangile |

Bibliothèque municipale d'Épernay

Associée aux noms de deux grands archevêques, Ebbon (816-835 et 840-841), frère de lait de Louis le Pieux, puis Hincmar (845-882), familier de la cour de Charles le Chauve, la production artistique de l’école de Reims est l’une des plus somptueuses de la Renaissance carolingienne. Disséminés dans différents centres, situés à Reims même ou dans les environs, les artistes de cette école pratiquent un art illusionniste inspiré de l’Antiquité. À Hautvillers, où Ebbon a réuni des artistes venus d’horizons divers, ce style revêt des accents expressionnistes : les Évangiles réalisés sous son patronage en sont l’un des plus brillants témoins, avec le Psautier d’Utrecht.

Cet élan créateur se poursuit sous l’épiscopat d’Hincmar, qui fonde un scriptorium à Saint-Remi, dont il était l’abbé, et fait don de plusieurs manuscrits à la bibliothèque de ce monastère. C’est à cette époque qu’est exécutée pour Charles le Chauve la Bible de Saint-Paul-hors-les-Murs, ouvrage de grand luxe orné de 24 peintures en pleine page inspirées des cycles bibliques de la fin de l’Antiquité.

Reims a joué un rôle crucial dans la transmission de l’héritage littéraire de l’Antiquité : en témoignent les fameuses Comédies de Térence, dont les représentations sur le vif d’acteurs dérivent d’un prototype antique.

Masques des Adelphes
Masques des Adelphes |

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Scènes de la vie d'Abraham
Scènes de la vie d'Abraham |

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Metz, ville impériale, centre liturgique et artistique

Metz est le berceau de la dynastie carolingienne : l’arrière-grand-père de Charlemagne, saint Arnoul, y est né en 617 et certains membres de la famille, comme Hildegarde, épouse de Charlemagne et mère de Louis le Pieux, sont enterrés à Saint-Arnoul, sorte de nécropole familiale. C’est aussi là que les restes de Louis le Pieux, mort en 840, reposent dans un sarcophage romain.

Le siège épiscopal est occupé par des prélats proches du trône, dont la forte personnalité marque la ville sur le plan culturel et artistique. Avec Chrodegang, qui rédige la règle destinée aux chanoines, l’Église de Metz joue un rôle primordial dans la réforme du clergé et dès 755 on y adopte le rite romain, pierre angulaire de l’unification religieuse poursuivie par Charlemagne. À la fin du 8e siècle, Angilram, chapelain de Charlemagne, crée un scriptorium auprès de la cathédrale. Grâce au mécénat de Drogon, fils adultérin de l’empereur désigné comme évêque en 821, Metz connaît au milieu du 9e siècle une activité artistique brillante, qui s’exerce dans la peinture de manuscrits et la sculpture de l’ivoire.

Reliure orfèvrée
Reliure orfèvrée |

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Lettres ornées dans un encadrement
Lettres ornées dans un encadrement |

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Le 8 septembre 869, Charles le Chauve choisit la cathédrale de Metz pour être couronné roi de Lotharingie et il donne à cette occasion à l’église son psautier et une grande Bible qui lui a été offerte quelques années auparavant.

Saint-Amand et l’école franco-saxonne

Foyer de l’école franco-saxonne, l’abbaye royale de Saint-Amand a été fondée vers 634 par le missionnaire Amand avec le soutien du roi Dagobert. Très vite, cette abbaye participe au grand élan qui anime la renaissance carolingienne. La réputation de son école attire des maîtres prestigieux, comme Milon et son neveu Hucbald de Saint-Amand, et son scriptorium très actif se spécialise sous Charles le Chauve dans l’exécution de manuscrits liturgiques de grand luxe destinés à de hauts dignitaires et à divers établissements religieux, comme la seconde Bible de Charles le Chauve ou le Sacramentaire de Saint-Denis. Ces manuscrits sont décorés dans un style ornemental abstrait d’une grande originalité, fruit de la combinaison d’ingrédients insulaires et d’apports plus spécifiquement carolingiens : entrelacs, motifs végétaux et zoomorphes empruntés à l’art anglo-saxon ou irlandais sont agencés dans des compositions harmonieuses et structurées, où priment les notions de symétrie et de clarté chères à l’art classique. D’une sobre élégance, ce langage formel fait la part belle aux savantes constructions géométriques ou calligraphiques et n’accorde guère de place aux représentations figurées.

Initiale V du « Vere dignum et justum »
Initiale V du « Vere dignum et justum » |

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Saint Jean écrivant
Saint Jean écrivant |

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Ce style s’est développé avec des variantes dans d’autres centres secondaires du Nord de la France, à Saint-Bertin et à Saint-Vaast d’Arras en particulier : l’Évangéliaire de Saint-Vaast en est l’un des plus brillants témoins.