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Visite au peintre Mengs

Histoire de ma vie
Visite au peintre Mengs
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Raphaël Mengs, que Casanova avait rencontré sept ans plus tôt, à Rome, directeur de l’Académie de peinture, a été appelé par Charles II à Madrid où il est peintre de la cour : le mémorialiste en fait ici un portrait des plus vivants.

Transcription du texte :

« [J’ai osé un jour lui dire que la main d’une figure principale que je voyais sur un de ses tableaux me paraissait manquée parce que le quatrième doigt était plus court  ue l’index. Il me dit qu’il devait l’être, et il me montra sa main ; je me suis mis à rire en lui montrant la mienne, et lui disant que j’étais sûr que ma main était faite comme celle de tous les enfants descendant d’Adam.
– De qui prétendez-vous donc que je descende ?
– Je n’en sais rien ; mais il est certain que vous n’êtes pas de mon espèce.
– C’est vous qui n’êtes pas de la mienne, ni de celle des] autres hommes, car la main de l’homme, et de la femme est généralement faite comme la mienne.
– Je parie cent pistoles que vous avez tort.
Il se lève alors, jetant contre terre sa palette et ses pinceaux, il sonne, ses domestiques montent il regarde leurs mains, et il enrage de les voir toutes avec le quatrième doigt plus long que l’index. Dans ce moment-là, chose fort rare, je l’ai vu rire, et finir la dispute par un bon mot. Je suis charmé de pouvoir me vanter d’être unique en quelque chose.
Une chose sensée que Mengs me dit un jour, et que je n’ai jamais oubliée fut celle-ci. Il avait peint une Magdelaine, qui à la vérité était d’une beauté surprenante. Il y avait dix à douze jours qu’il me disait tous les matins ce soir ce tableau sera fini : il y travaillait jusqu’au soir, et le lendemain je le trouvais occupé au travail du même tableau. Je lui ai demandé un jour s’il s’était donc trompé la veille quand il m’avait dit que le tableau était déjà fini. Non, me dit-il, car il pouvait paraître fini aux yeux de quatre-vingt-dix-neuf de cent connaisseurs qui l’auraient examiné ; mais celui qui m’intéresse le plus est le centième, et je le regarde avec ses yeux. Apprenez qu’au monde il n’y a de tableau fini que relativement. Cette Magdelaine ne sera jamais finie, que lorsque je cesserai d’y travailler, mais elle ne le sera pas réellement, car il est certain que si j’y travaillais un jour de plus elle serait plus finie. Sachez que dans votre Pétrarque même il n’y a pas un seul sonnet qu’on puisse appeler réellement fini. Rien n’est parfait au monde de ce qui sort de la main, ou de l’esprit des hommes, excepté un calcul arithmétique. »

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    1789-1798
  • Lieu
    Dux
  • Auteur(es)
    Giacomo Casanova (1725-1798), auteur
  • Provenance

    BnF, Département des Manuscrits, NAF 28604 (9) fol. 104v

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm126200300m