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Visite au peintre Mengs (suite)

Histoire de ma vie
Visite au peintre Mengs (suite)
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Transcription du texte :

« [J’ai embrassé mon cher Mengs après l’avoir entendu me parler] ainsi ; mais je ne l’ai pas embrassé un autre jour qu’il me dit qu’il désirait d’avoir été Raffael d’Urbin. C’était son grand peintre.
– Comment lui dis-je, pouvez-vous désirer d’avoir été ? Ce désir est contre nature, car ayant existé vous n’existeriez pas. Vous ne pouvez nourrir ce désir qu’en vous figurant d’en jouir à la gloire du Paradis, et dans ce cas-là je vous félicite.
– Point du tout, je voudrais avoir été Raffael, et je ne me soucierais pas d’exister aujourd’hui ni en corps, ni en âme.
– C’est absurde. Pensez-y. Vous ne pouvez pas avoir ce désir, et être pourvu de la faculté de penser.
Il se mit en colère ; il me dit des injures, qui m’ont fait rire. Une autre fois il mit en comparaison le travail d’un poète qui composait une tragédie avec celui d’un peintre qui composait un tableau, où toute la tragédie était peinte dans une seule scène. Après avoir fait l’analyse d’une quantité de différences j’ai conclu en lui disant que le poète tragique était obligé à employer toute l’attention de son âme jusque dans les plus menus détails tandis que le peintre pouvait employer les couleurs sur les superficies des objets en raisonnant sur plusieurs matières avec ses amis qui se tenaient à l’entour de lui ; cela démontre, lui dis-je, que votre tableau est plus l’ouvrage de vos mains, qu’une production de votre âme. Cette circonstance en démontre l’infériorité. Trouvez-moi un poète qui puisse ordonner à son cuisinier ce qu’il veut manger à souper en faisant des vers épiques.
Mengs convaincu devenait brutal ; il s’appelait insulté. Cet homme cependant qui mourut avant l’âge de cinquante ans passera à la postérité comme philosophe, grand stoïcien, savant, et orné de toutes les vertus ; et cela en grâce de sa vie qu’un de ses adorateurs écrivit en la faisant imprimer [en grand in-quarto en très beaux caractères, dédiée au roi d’Espagne. C’est un tissu de mensonges. Laissons-le là à présent, et parlons de mes affaires. Je parlerai de Mengs encore lorsque je le trouverai à Rome dans deux ou trois ans.] » (Histoire de ma vie, III, p. 627-628)

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    1789-1798
  • Lieu
    Dux
  • Auteur(es)
    Giacomo Casanova (1725-1798), auteur
  • Provenance

    BnF, Département des Manuscrits, NAF 28604 (9) fol. 105 :

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm1262003010