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Histoire de ma vie

Histoire de ma vie jusqu’à l’an 1797
Casanova I (couverture recto)
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Histoire de ma vie

Histoire de ma vie

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Les transcriptions données dans ce livre interactif respectent l'orthographe, la ponctuation et la typographie du manuscrit, et ne sont pas modernisées.
Nous avons mis entre crochets le début et la fin des passages transcrits ne figurant pas sur les folios reproduits, afin d'en permettre une meilleure compréhension.
Chaque page reproduite renvoie à la version numérisée du manuscrit disponible sur Gallica (pictogramme "imprimer").

Nous renvoyons aussi à l'édition des mémoires de Casanova de la collection « Bouquins », chez Robert Lafont, selon la forme abrégée suivante : HMV (pour Histoire de ma vie) puis I, II ou III (selon le tome), puis indication des pages.

Histoire de ma vie
Histoire de ma vie : début de la préface

Vol. I, fol. 1 : Début de la préface

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Transcription du texte :

« Histoire de ma vie jusqu’à l’an 1797
Necquicquam sapit qui sibi non sapit.
Cic : ad Treb : (1)

Je commence par déclarer à mon lecteur que dans tout ce que j’ai fait de bon ou de mauvais dans toute ma vie, je suis sûr d’avoir mérité ou démérité, et que par conséquent je dois me croire libre. La doctrine des Stoïciens, et de toute autre secte sur la force du Destin est une chimère de l’imagination qui tient à l’athéisme. Je suis non seulement monothéiste, mais chrétien fortifié par la philosophie, qui n’a jamais rien gâté.
Je crois à l’existence d’un DIEU immatériel créateur, et maître de toutes les formes ; et ce qui me prouve que je n’en ai jamais douté, c’est que j’ai toujours compté sur sa providence, recourant à lui par le moyen de la prière dans toutes mes détresses ; et me trouvant toujours exaucé. Le désespoir tue : la prière le fait disparaître ; et après elle l’homme confie, et agit. Quels que soient les moyens, dont l’être des êtres se sert pour détourner les malheurs imminents sur ceux qui implorent son secours, c’est une recherche au-dessus du pouvoir de l’entendement de l’homme, que dans le même instant qu’il contemple l’incompréhensibilité de la providence divine, se voit réduit à l’adorer. Notre ignorance devient notre seule ressource ; et les vrais heureux sont ceux qui la chérissent. Il faut donc prier DIEU, et croire d’avoir obtenu la grâce, même quand l’apparence nous dit que ne l’avons pas obtenue. Pour ce qui regarde la posture du corps dans laquelle il faut être quand on adresse des vœux au créateur, un vers du [Pétrarque nous l’indique Con le ginocchia delle mente inchine. (2)
L’homme est libre ; mais il ne l’est pas s’il ne croit pas de l’être, car plus il suppose de force au Destin plus il se prive de celle que DIEU lui a donnée quand il l’a partagé de la raison.] »

(1) « C’est ne rien connaître que ne connaître pas pour son profit personnel. » Citation erronée, d’après Cicéron à Trébatius.
(2) « Il faut incliner l’âme et les genoux. »

Vol. I, fol. 1 : Début de la préface
Histoire de ma vie

Histoire de ma vie

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Nous renvoyons aussi à l'édition des mémoires de Casanova de la collection « Bouquins », chez Robert Lafont, selon la forme abrégée suivante : HMV (pour Histoire de ma vie) puis I, II ou III (selon le tome), puis indication des pages.

Histoire de ma vie
Histoire de ma vie : début de la préface

Vol. I, fol. 1 : Début de la préface

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« Histoire de ma vie jusqu’à l’an 1797
Necquicquam sapit qui sibi non sapit.
Cic : ad Treb : (1)

Je commence par déclarer à mon lecteur que dans tout ce que j’ai fait de bon ou de mauvais dans toute ma vie, je suis sûr d’avoir mérité ou démérité, et que par conséquent je dois me croire libre. La doctrine des Stoïciens, et de toute autre secte sur la force du Destin est une chimère de l’imagination qui tient à l’athéisme. Je suis non seulement monothéiste, mais chrétien fortifié par la philosophie, qui n’a jamais rien gâté.
Je crois à l’existence d’un DIEU immatériel créateur, et maître de toutes les formes ; et ce qui me prouve que je n’en ai jamais douté, c’est que j’ai toujours compté sur sa providence, recourant à lui par le moyen de la prière dans toutes mes détresses ; et me trouvant toujours exaucé. Le désespoir tue : la prière le fait disparaître ; et après elle l’homme confie, et agit. Quels que soient les moyens, dont l’être des êtres se sert pour détourner les malheurs imminents sur ceux qui implorent son secours, c’est une recherche au-dessus du pouvoir de l’entendement de l’homme, que dans le même instant qu’il contemple l’incompréhensibilité de la providence divine, se voit réduit à l’adorer. Notre ignorance devient notre seule ressource ; et les vrais heureux sont ceux qui la chérissent. Il faut donc prier DIEU, et croire d’avoir obtenu la grâce, même quand l’apparence nous dit que ne l’avons pas obtenue. Pour ce qui regarde la posture du corps dans laquelle il faut être quand on adresse des vœux au créateur, un vers du [Pétrarque nous l’indique Con le ginocchia delle mente inchine. (2)
L’homme est libre ; mais il ne l’est pas s’il ne croit pas de l’être, car plus il suppose de force au Destin plus il se prive de celle que DIEU lui a donnée quand il l’a partagé de la raison.] »

(1) « C’est ne rien connaître que ne connaître pas pour son profit personnel. » Citation erronée, d’après Cicéron à Trébatius.
(2) « Il faut incliner l’âme et les genoux. »

Vol. I, fol. 1 : Début de la préface
Préface

Vol. I, fol. 6v : Préface

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Transcription du texte :


« Un Ancien me dit d’un ton d’instituteur si tu n’as pas fait des choses dignes d’être écrites, écris-en du moins qui soient dignes d’êtres lues. C’est un précepte aussi beau qu’un diamant de première eau brillanté en Angleterre ; mais il m’est incompétent, car je n’écris ni l’histoire d’un illustre, ni un roman. Digne ou indigne, ma vie est ma matière, ma matière est ma vie. L’ayant faite sans avoir jamais cru que l’envie de l’écrire me viendrait, elle peut avoir un caractère intéressant qu’elle n’aurait peut-être pas, si je l’avais faite avec intention de l’écrire dans mes vieux jours, et qui plus est de la publier.
Dans cette année 1797, à l’âge de soixante et douze ans, où je peux dire vixi, quoique je respire encore, je ne saurais me procurer un amusement plus agréable que celui de m’entretenir de mes propres affaires, et de donner un noble sujet de rire à la bonne compagnie qui m’écoute, qui m’a toujours donné des marques d’amitié, et que j’ai toujours fréquentée. Pour bien écrire, je n’ai besoin que de m’imaginer qu’elle me lira Quaecumque dixi, si placuerint, dictavit auditor. Pour ce qui regarde les profanes que je ne pourrai empêcher de me lire, il me suffit de savoir que ce n’est pas pour eux que j’ai écrit.
Me rappelant les plaisirs que j’eus je me les renouvelle, et je ris des peines que j’ai endurées, et que je ne sens plus. Membre de l’univers, je parle à l’air, et je me figure de rendre compte de ma gestion, comme un maître d’hôtel le rend à son seigneur avant de disparaître. Pour ce qui regarde mon avenir, je n’ai jamais voulu m’en inquiéter en qualité de philosophe, car je n’en sais rien ; et en qualité de chrétien la foi doit croire sans raisonner, et la plus pure garde un profond silence. Je sais que j’ai existé, et en étant sûr parce que j’ai senti, je sais aussi que je n’existerai plus quand j’aurai fini de sentir. S’il m’arrive après ma mort de sentir encore, je ne douterai plus de rien ; mais je donnerai un démenti à tous ceux qui viendront me dire que je suis mort.
Mon histoire, devant commencer par le fait le plus reculé que ma mémoire puisse me rappeler, commencera à mon âge de huit ans, et quatre mois. Avant cette époque, s’il est vrai que vivere cogitare est, je ne vivais pas : je végétais. » 

Vol. I, fol. 6v : Préface
Préface

Vol. I, fol. 7 : Préface

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Transcription du texte :

« [La pensée de l’homme, ne consistant que dans des comparaisons faites pour examiner des rapports, ne] peut pas précéder l’existence de sa mémoire. L’organe qui lui est propre ne se développa dans ma tête que huit ans, et quatre mois après ma naissance ; ce fut dans ces moments-là que mon âme commença à être susceptible d’impressions. Comment une substance immatérielle qui ne peut nec tangere nec tangi puisse l’être, il n’y a point d’homme qui soit en état de l’expliquer.
Une philosophie consolante d’accord avec la religion prétend que la dépendance de l’âme, des sens, et des organes n’est que fortuite et passagère, et qu’elle sera libre et heureuse quand la mort du corps l’aura affranchie de leur pouvoir tyrannique. C’est fort beau ; mais, religion à part, ce n’est pas sûr. Ne pouvant donc me trouver dans la certitude parfaite d’être immortel qu’après avoir cessé de vivre, on me pardonnera, si je ne suis pas pressé de parvenir à connaître cette vérité. Une connaissance qui coûte la vie coûte trop cher. En attendant, j’adore DIEU me défendant toute action injuste, et abhorrant les hommes injustes, sans cependant leur faire du mal. Il me suffit de m’abstenir de leur faire du bien. Il ne faut pas nourrir les serpents.
Devant dire quelque choses aussi de mon tempérament, et de mon caractère, l’indulgent entre mes lecteurs ne sera ni le moins honnête, ni le plus dépourvu d’esprit.
J’ai eu tous les quatre tempéraments : le pituiteux dans mon enfance ; le sanguin dans ma jeunesse, puis le bilieux, et enfin le mélancolique, qui apparemment ne me quittera plus. Conformant ma nourriture à ma constitution, j’ai toujours joui d’une bonne santé ; et ayant appris que ce qui l’altère est toujours l’excès soit de nourriture, soit d’abstinence, je n’ai jamais eu autre médecin que moi-même. Mais j’ai trouvé l’abstinence beaucoup plus dangereuse. Le trop donne une indigestion ; mais le trop peu donne la mort.
Aujourd’hui, vieux comme je suis, j’ai besoin, malgré l’excellence de mon estomac, de ne manger qu’une fois par jour, mais ce qui me dédommage de cette privation est le doux sommeil, et la facilité avec laquelle je couche sur du papier mes raisonnements sans avoir besoin ni de paradoxes, ni d’entortiller sophismes sur sophismes faits plus [pour me tromper moi-même que mes lecteurs, car je ne pourrais jamais me déterminer à leur donner de la fausse monnaie, si je la connaissais pour fausse.] » (Histoire de ma vie, I, p. 3-4)

Vol. I, fol. 7 : Préface
Préface

Vol. I, fol. 6v : Préface

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« Un Ancien me dit d’un ton d’instituteur si tu n’as pas fait des choses dignes d’être écrites, écris-en du moins qui soient dignes d’êtres lues. C’est un précepte aussi beau qu’un diamant de première eau brillanté en Angleterre ; mais il m’est incompétent, car je n’écris ni l’histoire d’un illustre, ni un roman. Digne ou indigne, ma vie est ma matière, ma matière est ma vie. L’ayant faite sans avoir jamais cru que l’envie de l’écrire me viendrait, elle peut avoir un caractère intéressant qu’elle n’aurait peut-être pas, si je l’avais faite avec intention de l’écrire dans mes vieux jours, et qui plus est de la publier.
Dans cette année 1797, à l’âge de soixante et douze ans, où je peux dire vixi, quoique je respire encore, je ne saurais me procurer un amusement plus agréable que celui de m’entretenir de mes propres affaires, et de donner un noble sujet de rire à la bonne compagnie qui m’écoute, qui m’a toujours donné des marques d’amitié, et que j’ai toujours fréquentée. Pour bien écrire, je n’ai besoin que de m’imaginer qu’elle me lira Quaecumque dixi, si placuerint, dictavit auditor. Pour ce qui regarde les profanes que je ne pourrai empêcher de me lire, il me suffit de savoir que ce n’est pas pour eux que j’ai écrit.
Me rappelant les plaisirs que j’eus je me les renouvelle, et je ris des peines que j’ai endurées, et que je ne sens plus. Membre de l’univers, je parle à l’air, et je me figure de rendre compte de ma gestion, comme un maître d’hôtel le rend à son seigneur avant de disparaître. Pour ce qui regarde mon avenir, je n’ai jamais voulu m’en inquiéter en qualité de philosophe, car je n’en sais rien ; et en qualité de chrétien la foi doit croire sans raisonner, et la plus pure garde un profond silence. Je sais que j’ai existé, et en étant sûr parce que j’ai senti, je sais aussi que je n’existerai plus quand j’aurai fini de sentir. S’il m’arrive après ma mort de sentir encore, je ne douterai plus de rien ; mais je donnerai un démenti à tous ceux qui viendront me dire que je suis mort.
Mon histoire, devant commencer par le fait le plus reculé que ma mémoire puisse me rappeler, commencera à mon âge de huit ans, et quatre mois. Avant cette époque, s’il est vrai que vivere cogitare est, je ne vivais pas : je végétais. » 

Vol. I, fol. 6v : Préface
Préface

Vol. I, fol. 7 : Préface

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Transcription du texte :

« [La pensée de l’homme, ne consistant que dans des comparaisons faites pour examiner des rapports, ne] peut pas précéder l’existence de sa mémoire. L’organe qui lui est propre ne se développa dans ma tête que huit ans, et quatre mois après ma naissance ; ce fut dans ces moments-là que mon âme commença à être susceptible d’impressions. Comment une substance immatérielle qui ne peut nec tangere nec tangi puisse l’être, il n’y a point d’homme qui soit en état de l’expliquer.
Une philosophie consolante d’accord avec la religion prétend que la dépendance de l’âme, des sens, et des organes n’est que fortuite et passagère, et qu’elle sera libre et heureuse quand la mort du corps l’aura affranchie de leur pouvoir tyrannique. C’est fort beau ; mais, religion à part, ce n’est pas sûr. Ne pouvant donc me trouver dans la certitude parfaite d’être immortel qu’après avoir cessé de vivre, on me pardonnera, si je ne suis pas pressé de parvenir à connaître cette vérité. Une connaissance qui coûte la vie coûte trop cher. En attendant, j’adore DIEU me défendant toute action injuste, et abhorrant les hommes injustes, sans cependant leur faire du mal. Il me suffit de m’abstenir de leur faire du bien. Il ne faut pas nourrir les serpents.
Devant dire quelque choses aussi de mon tempérament, et de mon caractère, l’indulgent entre mes lecteurs ne sera ni le moins honnête, ni le plus dépourvu d’esprit.
J’ai eu tous les quatre tempéraments : le pituiteux dans mon enfance ; le sanguin dans ma jeunesse, puis le bilieux, et enfin le mélancolique, qui apparemment ne me quittera plus. Conformant ma nourriture à ma constitution, j’ai toujours joui d’une bonne santé ; et ayant appris que ce qui l’altère est toujours l’excès soit de nourriture, soit d’abstinence, je n’ai jamais eu autre médecin que moi-même. Mais j’ai trouvé l’abstinence beaucoup plus dangereuse. Le trop donne une indigestion ; mais le trop peu donne la mort.
Aujourd’hui, vieux comme je suis, j’ai besoin, malgré l’excellence de mon estomac, de ne manger qu’une fois par jour, mais ce qui me dédommage de cette privation est le doux sommeil, et la facilité avec laquelle je couche sur du papier mes raisonnements sans avoir besoin ni de paradoxes, ni d’entortiller sophismes sur sophismes faits plus [pour me tromper moi-même que mes lecteurs, car je ne pourrais jamais me déterminer à leur donner de la fausse monnaie, si je la connaissais pour fausse.] » (Histoire de ma vie, I, p. 3-4)

Vol. I, fol. 7 : Préface
Fin de la préface

Vol. I, fol. 10v : Fin de la préface

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Transcription du texte :


« J’aurais volontiers déployé le fier axiome Nemo legitur nisi a seipso [On est toujours l’artisan de son propre malheur] si je n’eusse eu peur de choquer le nombre immense de ceux qui dans tout ce qui leur va de travers s’écrient ce n’est pas ma faute. Il faut leur laisser cette petite consolation, car sans elle ils se haïraient ; et à la suite de cette haine vient le projet de se tuer.
Pour ce qui me regarde, me reconnaissant toujours la cause principale de tous les malheurs qui me sont arrivés, je me suis vu avec plaisir en état d’écolier de moi-même, et en devoir d’aimer mon précepteur. » (Histoire de ma vie, I, p. 11)

Vol. I, fol. 10v : Fin de la préface
Histoire de ma vie : début du texte

Vol. I, fol. 13 : Début du texte

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Transcription du texte
Histoire de Jacques Casanova de Seingalt vénitien, écrite par lui-même à Dux, en Bohême
Necquicquam sapit qui sibi non sapit
[ « C’est ne connaître rien que ne connaître pas pour son profit personnel. »]

Chapitre Ier
« L’an 1428 D. Jacobe Casanova né à Saragosse capitale de l’Aragon, fils naturel de D. Francisco enleva du couvent Da. Anna Palafox le lendemain du jour qu’elle avait fait ses vœux. Il était secrétaire du roi D. Alphonse. Il se sauva avec elle à Rome où, après une année de prison, le pape Martin III donna à D. Anna la dispense de ses vœux, et la bénédiction nuptiale à la recommandation de D. Jouan Casanova maître du sacré palais oncle de D. Jacobe. Tous les issus de ce mariage moururent en bas âge excepté D. Jouan qui épousa en 1475 Eléonore Albini dont il eut un fils nommé Marc-Antoine.
L’an 1481 D. Jouan dut quitter Rome pour avoir tué un officier du roi de Naples. Il se sauva à Como avec sa femme, et son fils ; puis il alla chercher fortune. Il mourut en voyage avec Christophe Colombo l’an 1493.
Marc-Antoine devint bon poète dans le goût de Martial, et fut secrétaire du cardinal Pompée Colonna. La satire contre Jules de Médicis, que nous lisons dans ses poésies, l’ayant obligé de quitter Rome, il retourna à Como, où il épousa Abondia Rezzonica.
Le même Jules de Médicis devenu pape Clément VII lui pardonna, et le fit retourner à Rome avec sa femme, où après qu’elle fut prise, et pillée par les impériaux l’an 1526, il mourut de la peste. Sans cela il serait mort de misère, car les soldats [de Charles V lui avaient pris tout ce qu’il possédait. Pierre Valérien parle assez de lui dans son livre de inf. litt.] » (Histoire de ma vie, I, p. 13-14)

Vol. I, fol. 13 : Début du texte
Fin de la préface

Vol. I, fol. 10v : Fin de la préface

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Transcription du texte :


« J’aurais volontiers déployé le fier axiome Nemo legitur nisi a seipso [On est toujours l’artisan de son propre malheur] si je n’eusse eu peur de choquer le nombre immense de ceux qui dans tout ce qui leur va de travers s’écrient ce n’est pas ma faute. Il faut leur laisser cette petite consolation, car sans elle ils se haïraient ; et à la suite de cette haine vient le projet de se tuer.
Pour ce qui me regarde, me reconnaissant toujours la cause principale de tous les malheurs qui me sont arrivés, je me suis vu avec plaisir en état d’écolier de moi-même, et en devoir d’aimer mon précepteur. » (Histoire de ma vie, I, p. 11)

Vol. I, fol. 10v : Fin de la préface
Histoire de ma vie : début du texte

Vol. I, fol. 13 : Début du texte

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Transcription du texte
Histoire de Jacques Casanova de Seingalt vénitien, écrite par lui-même à Dux, en Bohême
Necquicquam sapit qui sibi non sapit
[ « C’est ne connaître rien que ne connaître pas pour son profit personnel. »]

Chapitre Ier
« L’an 1428 D. Jacobe Casanova né à Saragosse capitale de l’Aragon, fils naturel de D. Francisco enleva du couvent Da. Anna Palafox le lendemain du jour qu’elle avait fait ses vœux. Il était secrétaire du roi D. Alphonse. Il se sauva avec elle à Rome où, après une année de prison, le pape Martin III donna à D. Anna la dispense de ses vœux, et la bénédiction nuptiale à la recommandation de D. Jouan Casanova maître du sacré palais oncle de D. Jacobe. Tous les issus de ce mariage moururent en bas âge excepté D. Jouan qui épousa en 1475 Eléonore Albini dont il eut un fils nommé Marc-Antoine.
L’an 1481 D. Jouan dut quitter Rome pour avoir tué un officier du roi de Naples. Il se sauva à Como avec sa femme, et son fils ; puis il alla chercher fortune. Il mourut en voyage avec Christophe Colombo l’an 1493.
Marc-Antoine devint bon poète dans le goût de Martial, et fut secrétaire du cardinal Pompée Colonna. La satire contre Jules de Médicis, que nous lisons dans ses poésies, l’ayant obligé de quitter Rome, il retourna à Como, où il épousa Abondia Rezzonica.
Le même Jules de Médicis devenu pape Clément VII lui pardonna, et le fit retourner à Rome avec sa femme, où après qu’elle fut prise, et pillée par les impériaux l’an 1526, il mourut de la peste. Sans cela il serait mort de misère, car les soldats [de Charles V lui avaient pris tout ce qu’il possédait. Pierre Valérien parle assez de lui dans son livre de inf. litt.] » (Histoire de ma vie, I, p. 13-14)

Vol. I, fol. 13 : Début du texte
La sorcière de Murano

Vol. I, fol. 14v : La sorcière de Murano

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Transcription du texte :

« [J’étais debout au coin d’une chambre, courbé vers le mur, soutenant ma tête, et tenant les yeux fixés sur le sang qui ruisselait par terre sortant copieusement de mon nez.] Marzia ma grand-mère, dont j’étais le bien-aimé, vint à moi, me lava le visage avec de l’eau fraîche, et à l’insu de toute la maison me fit monter avec elle dans une gondole, et me mena à Muran. C’est une île très peuplée distante de Venise d’une demi-heure.
Descendant de gondole, nous entrons dans un taudis, où nous trouvons une vieille femme assise sur un grabat, tenant entre ses bras un chat noir, et en ayant cinq ou six autres autour d’elle. C’était une sorcière. Les deux vieilles femmes tinrent entre elles un long discours dont j’ai dû être le sujet. À la fin de leur dialogue en langue fourlane, la sorcière, après avoir reçu de ma grand-mère un ducat d’argent, ouvrit une caisse, me prit entre ses bras, m’y mit dedans, et m’y enferma, me disant de n’avoir pas peur. C’était le moyen de me la faire avoir, si j’avais eu un peu d’esprit ; mais j’étais hébété. Je me tenais tranquille, tenant mon mouchoir au nez parce que je saignais, très indifférent au vacarme que j’entendais faire au-dehors. J’entendais rire, pleurer tour à tour, crier, chanter, frapper sur la caisse. Tout cela m’était égal. On me tira enfin dehors, mon sang s’étanche. Cette femme extraordinaire, après m’avoir fait cent caresses, me déshabille, me met sur le lit, brûle des drogues, en ramasse la fumée dans un drap, m’y emmaillote, me récite des conjurations, me démaillote après, et me donne à manger cinq dragées très agréables au goût. Elle me frotte tout de suite les tempes, et la nuque avec un onguent qui exhalait une odeur suave, et elle me rhabille. Elle me dit que mon hémorragie irait toujours en décadence, pourvu que je ne rendisse compte à personne de ce qu’elle m’avait fait pour me guérir, et elle m’intime au contraire toute la perte de mon sang et la mort, si j’osais révéler à quelqu’un ses mystères. Après m’avoir ainsi instruit, elle m’annonce une charmante dame qui viendrait me faire une visite dans la nuit suivante, dont mon bonheur dépendait, si je pouvais avoir la force de ne dire à personne d’avoir reçu cette visite. Nous partîmes, et nous retournâmes chez nous. »

Vol. I, fol. 14v : La sorcière de Murano
La sorcière de Murano (suite)

Vol. I, fol. 15 : La sorcière de Murano

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« [À peine couché, je me suis endormi sans même me souvenir de la belle visite que je devais recevoir ; mais m’étant réveillé quelques heures après, j’ai vu, ou cru voir, descendre de la cheminée une femme éblouissante en grand panier, et vêtue d’une étoffe superbe,] portant sur sa tête une couronne parsemée de pierreries qui me semblaient étincelantes de feu. Elle vint à pas lents d’un air majestueux, et doux s’asseoir sur mon lit. Elle tira de sa poche des petites boîtes, qu’elle vida sur ma tête murmurant des mots. Après m’avoir tenu un long discours, auquel je n’ai rien compris, et m’avoir baisé, elle partit par où elle était venue ; et je me suis rendormi.
Le lendemain, ma grand-mère, d’abord qu’elle s’approcha de mon lit pour m’habiller, m’imposa silence. Elle m’intima la mort si j’osais redire ce qui devait m’être arrivé dans la nuit. Cette sentence lancée par la seule femme qui avait sur moi un ascendant absolu, et qui m’avait accoutumé à obéir aveuglément à tous ses ordres, fut la cause que je me suis souvenu de la vision, et qu’en y apposant le sceau, je l’ai placée dans le plus secret recoin de ma mémoire naissante. D’ailleurs je ne me sentais pas tenté de conter ce fait à quelqu’un. Je ne savais ni qu’on pourrait le trouver intéressant, ni à qui en faire la narration. Ma maladie me rendait morne, et point du tout amusant ; tout le monde me plaignant me laissait tranquille : on croyait mon existence passagère. Mon père et ma mère ne me parlaient jamais.
Après le voyage à Muran, et la visite nocturne de la fée, je saignais encore ; mais toujours moins ; et ma mémoire peu à peu se développait, en moins d’un moins j’ai appris à lire. Il serait ridicule d’attribuer ma guérison à ces deux extravagances ; mais on aurait tort de dire qu’elles ne purent pas y contribuer. Pour ce qui regarde l’apparition de la belle reine, je l’ai toujours crue un songe, à moins qu’on ne m’eût fait cette mascarade exprès ; mais les remèdes aux plus grandes maladies ne se trouvent pas toujours dans la pharmacie. Tous les jours quelque phénomène nous démontre notre ignorance. Je crois que c’est par cette raison que rien n’est si rare qu’un savant qui ait un esprit entièrement exempt de superstition. Il n’y a jamais eu au monde des sorciers ; mais leur pouvoir a toujours existé par rapport à ceux auxquels ils ont eu le talent de se faire croire tels. » (Histoire de ma vie, I, p. 16-18)

Vol. I, fol. 15 : La sorcière de Murano
La sorcière de Murano

Vol. I, fol. 14v : La sorcière de Murano

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« [J’étais debout au coin d’une chambre, courbé vers le mur, soutenant ma tête, et tenant les yeux fixés sur le sang qui ruisselait par terre sortant copieusement de mon nez.] Marzia ma grand-mère, dont j’étais le bien-aimé, vint à moi, me lava le visage avec de l’eau fraîche, et à l’insu de toute la maison me fit monter avec elle dans une gondole, et me mena à Muran. C’est une île très peuplée distante de Venise d’une demi-heure.
Descendant de gondole, nous entrons dans un taudis, où nous trouvons une vieille femme assise sur un grabat, tenant entre ses bras un chat noir, et en ayant cinq ou six autres autour d’elle. C’était une sorcière. Les deux vieilles femmes tinrent entre elles un long discours dont j’ai dû être le sujet. À la fin de leur dialogue en langue fourlane, la sorcière, après avoir reçu de ma grand-mère un ducat d’argent, ouvrit une caisse, me prit entre ses bras, m’y mit dedans, et m’y enferma, me disant de n’avoir pas peur. C’était le moyen de me la faire avoir, si j’avais eu un peu d’esprit ; mais j’étais hébété. Je me tenais tranquille, tenant mon mouchoir au nez parce que je saignais, très indifférent au vacarme que j’entendais faire au-dehors. J’entendais rire, pleurer tour à tour, crier, chanter, frapper sur la caisse. Tout cela m’était égal. On me tira enfin dehors, mon sang s’étanche. Cette femme extraordinaire, après m’avoir fait cent caresses, me déshabille, me met sur le lit, brûle des drogues, en ramasse la fumée dans un drap, m’y emmaillote, me récite des conjurations, me démaillote après, et me donne à manger cinq dragées très agréables au goût. Elle me frotte tout de suite les tempes, et la nuque avec un onguent qui exhalait une odeur suave, et elle me rhabille. Elle me dit que mon hémorragie irait toujours en décadence, pourvu que je ne rendisse compte à personne de ce qu’elle m’avait fait pour me guérir, et elle m’intime au contraire toute la perte de mon sang et la mort, si j’osais révéler à quelqu’un ses mystères. Après m’avoir ainsi instruit, elle m’annonce une charmante dame qui viendrait me faire une visite dans la nuit suivante, dont mon bonheur dépendait, si je pouvais avoir la force de ne dire à personne d’avoir reçu cette visite. Nous partîmes, et nous retournâmes chez nous. »

Vol. I, fol. 14v : La sorcière de Murano
La sorcière de Murano (suite)

Vol. I, fol. 15 : La sorcière de Murano

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« [À peine couché, je me suis endormi sans même me souvenir de la belle visite que je devais recevoir ; mais m’étant réveillé quelques heures après, j’ai vu, ou cru voir, descendre de la cheminée une femme éblouissante en grand panier, et vêtue d’une étoffe superbe,] portant sur sa tête une couronne parsemée de pierreries qui me semblaient étincelantes de feu. Elle vint à pas lents d’un air majestueux, et doux s’asseoir sur mon lit. Elle tira de sa poche des petites boîtes, qu’elle vida sur ma tête murmurant des mots. Après m’avoir tenu un long discours, auquel je n’ai rien compris, et m’avoir baisé, elle partit par où elle était venue ; et je me suis rendormi.
Le lendemain, ma grand-mère, d’abord qu’elle s’approcha de mon lit pour m’habiller, m’imposa silence. Elle m’intima la mort si j’osais redire ce qui devait m’être arrivé dans la nuit. Cette sentence lancée par la seule femme qui avait sur moi un ascendant absolu, et qui m’avait accoutumé à obéir aveuglément à tous ses ordres, fut la cause que je me suis souvenu de la vision, et qu’en y apposant le sceau, je l’ai placée dans le plus secret recoin de ma mémoire naissante. D’ailleurs je ne me sentais pas tenté de conter ce fait à quelqu’un. Je ne savais ni qu’on pourrait le trouver intéressant, ni à qui en faire la narration. Ma maladie me rendait morne, et point du tout amusant ; tout le monde me plaignant me laissait tranquille : on croyait mon existence passagère. Mon père et ma mère ne me parlaient jamais.
Après le voyage à Muran, et la visite nocturne de la fée, je saignais encore ; mais toujours moins ; et ma mémoire peu à peu se développait, en moins d’un moins j’ai appris à lire. Il serait ridicule d’attribuer ma guérison à ces deux extravagances ; mais on aurait tort de dire qu’elles ne purent pas y contribuer. Pour ce qui regarde l’apparition de la belle reine, je l’ai toujours crue un songe, à moins qu’on ne m’eût fait cette mascarade exprès ; mais les remèdes aux plus grandes maladies ne se trouvent pas toujours dans la pharmacie. Tous les jours quelque phénomène nous démontre notre ignorance. Je crois que c’est par cette raison que rien n’est si rare qu’un savant qui ait un esprit entièrement exempt de superstition. Il n’y a jamais eu au monde des sorciers ; mais leur pouvoir a toujours existé par rapport à ceux auxquels ils ont eu le talent de se faire croire tels. » (Histoire de ma vie, I, p. 16-18)

Vol. I, fol. 15 : La sorcière de Murano
Histoire de ma vie

Histoire de ma vie

Histoire de ma vie
Prêtre ou militaire ?

Vol. I, fol. 187 : Prêtre ou militaire ?

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Transcription du texte :

« Chapitre XIII
Je mets bas l’habit ecclésiastique pour m’habiller en officier militaire. Je laisse aller Thérèse à Naples. Je vais à Venise, je me mets au service de ma patrie. Je m’embarque pour Corfou, je descends pour aller me promener à Orsara.

À Bologne, je me suis logé dans une auberge où n’allait personne pour n’être pas observé. Après avoir écrit mes lettres, et m’être déterminé à y attendre Thérèse, je me suis acheté des chemises, et le retour de ma malle étant incertain, j’ai pensé à m’habiller. Réfléchissant qu’il n’y avait plus d’apparence que je puisse faire fortune en qualité et en état d’ecclésiastique, j’ai formé le projet de m’habiller en militaire dans un uniforme de caprice, étant sûr de ne pouvoir être forcé à rendre compte de mes affaires à personne. Venant de deux armées où je n’avais vu autre habit respecté que le militaire, j’ai voulu devenir respectable aussi. Je me faisais d’ailleurs une vraie fête de retourner à ma patrie sous les enseignes de l’honneur où on ne m’avait pas mal maltraité sous celles de la religion.
Je demande un bon tailleur ; on m’en fait venir un qui s’appelait Morte. Je lui fais entendre comment et de quelles couleurs l’uniforme que je voulais devait être composé, il me prend la mesure, il me donne des échantillons de draps que je choisis, et pas plus tard que le lendemain il me porte tout ce qui m’était nécessaire pour représenter un disciple de Mars. J’ai acheté une longue épée, et avec ma belle canne à la main, un chapeau bien troussé à cocarde noire, mes cheveux coupés en faces, et une longue queue postiche, je suis sorti pour en imposer ainsi à toute la ville. Je suis d’abord allé me loger au Pèlerin. Je n’ai jamais eu un plaisir de cette espèce pareil à celui que j’ai ressenti me voyant au miroir habillé ainsi. Je me trouvais fait pour être militaire, il me semblait d’être étonnant. Sûr de n’être connu de personne, je jouissais des histoires qu’on forgerait sur mon compte à mon apparition au café le plus fréquenté de la ville.
Mon uniforme était blanc, veste bleue, avec nœud d’épaule argent et or, et nœud d’épée à l’avenant. Très content de mon air, je vais au grand café, où je prends du chocolat, lisant la gazette sans y faire attention. J’étais enchanté de me voir entouré faisant semblant de ne pas m’en apercevoir. Tout le monde curieux se parlait à l’oreille. Un audacieux, mendiant un propos, osa m’adresser la parole ; mais n’ayant répondu qu’un monosyllabe, j’ai découragé les plus aguerris interrogateurs du café. Après m’être beaucoup promené sous les plus belles arcades je suis allé dîner tout seul à mon auberge.
L’hôte, à la fin de mon dîner, monta avec un livre pour y écrire mon nom.
[– Casanova.
– Vos qualités ?
– Officier.
– À quel service ?
– À aucun.
– Votre patrie ?
– Venise.
– D’où venez-vous ?
– Ce ne sont pas vos affaires.
Je me trouve très content de mes réponses. Je vois que l’hôte n’est venu me faire toutes ces questions qu’excité par quelque curieux car je savais qu’on vivait à Bologne en pleine liberté.] » (Histoire de ma vie, I, p. 260-261)

Vol. I, fol. 187 : Prêtre ou militaire ?
Histoire de ma vie

Histoire de ma vie

Histoire de ma vie
Prêtre ou militaire ?

Vol. I, fol. 187 : Prêtre ou militaire ?

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Transcription du texte :

« Chapitre XIII
Je mets bas l’habit ecclésiastique pour m’habiller en officier militaire. Je laisse aller Thérèse à Naples. Je vais à Venise, je me mets au service de ma patrie. Je m’embarque pour Corfou, je descends pour aller me promener à Orsara.

À Bologne, je me suis logé dans une auberge où n’allait personne pour n’être pas observé. Après avoir écrit mes lettres, et m’être déterminé à y attendre Thérèse, je me suis acheté des chemises, et le retour de ma malle étant incertain, j’ai pensé à m’habiller. Réfléchissant qu’il n’y avait plus d’apparence que je puisse faire fortune en qualité et en état d’ecclésiastique, j’ai formé le projet de m’habiller en militaire dans un uniforme de caprice, étant sûr de ne pouvoir être forcé à rendre compte de mes affaires à personne. Venant de deux armées où je n’avais vu autre habit respecté que le militaire, j’ai voulu devenir respectable aussi. Je me faisais d’ailleurs une vraie fête de retourner à ma patrie sous les enseignes de l’honneur où on ne m’avait pas mal maltraité sous celles de la religion.
Je demande un bon tailleur ; on m’en fait venir un qui s’appelait Morte. Je lui fais entendre comment et de quelles couleurs l’uniforme que je voulais devait être composé, il me prend la mesure, il me donne des échantillons de draps que je choisis, et pas plus tard que le lendemain il me porte tout ce qui m’était nécessaire pour représenter un disciple de Mars. J’ai acheté une longue épée, et avec ma belle canne à la main, un chapeau bien troussé à cocarde noire, mes cheveux coupés en faces, et une longue queue postiche, je suis sorti pour en imposer ainsi à toute la ville. Je suis d’abord allé me loger au Pèlerin. Je n’ai jamais eu un plaisir de cette espèce pareil à celui que j’ai ressenti me voyant au miroir habillé ainsi. Je me trouvais fait pour être militaire, il me semblait d’être étonnant. Sûr de n’être connu de personne, je jouissais des histoires qu’on forgerait sur mon compte à mon apparition au café le plus fréquenté de la ville.
Mon uniforme était blanc, veste bleue, avec nœud d’épaule argent et or, et nœud d’épée à l’avenant. Très content de mon air, je vais au grand café, où je prends du chocolat, lisant la gazette sans y faire attention. J’étais enchanté de me voir entouré faisant semblant de ne pas m’en apercevoir. Tout le monde curieux se parlait à l’oreille. Un audacieux, mendiant un propos, osa m’adresser la parole ; mais n’ayant répondu qu’un monosyllabe, j’ai découragé les plus aguerris interrogateurs du café. Après m’être beaucoup promené sous les plus belles arcades je suis allé dîner tout seul à mon auberge.
L’hôte, à la fin de mon dîner, monta avec un livre pour y écrire mon nom.
[– Casanova.
– Vos qualités ?
– Officier.
– À quel service ?
– À aucun.
– Votre patrie ?
– Venise.
– D’où venez-vous ?
– Ce ne sont pas vos affaires.
Je me trouve très content de mes réponses. Je vois que l’hôte n’est venu me faire toutes ces questions qu’excité par quelque curieux car je savais qu’on vivait à Bologne en pleine liberté.] » (Histoire de ma vie, I, p. 260-261)

Vol. I, fol. 187 : Prêtre ou militaire ?
Constantinople

Vol. II, fol. 8v : Constantinople

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Transcription du texte :

« [Nous] parlerons de ce Pocchini dans quelque quinze à seize ans d’ici.
Les vents toujours favorables nous conduisirent aux Dardanelles en huit ou dix jours, puis les barques turques vinrent nous prendre pour nous transporter à Constantinople. La vue de cette ville à la distance d’une lieue est étonnante. Il n’y a pas au monde nulle part un si beau spectacle. Cette superbe vue fut la cause de la fin de l’Empire romain, et du commencement du grec. Constantin le Grand arrivant à Constantinople par mer, séduit par la vue de Bizance s’écria voilà le siège de l’empire de tout le monde, et pour rendre sa prophétie immanquable il quitta Rome pour aller s’y établir. S’il avait lu, ou cru à la prophétie d’Horace il n’aurait jamais fait une si grosse sottise. Le poète avait écrit que l’Empire romain ne s’acheminerait à sa fin que quand un successeur d’Auguste s’aviserait d’en transporter le siège là où il avait eu sa naissance. La Troade n’est pas bien distante de la Thrace.
Nous arrivâmes à Péra dans le palais de Venise vers la moitié de juillet. La peste ne circulait pas dans la grande ville dans ce moment-là, chose fort rare. Nous fûmes tous parfaitement bien logés ; mais la grande chaleur fit déterminer les Bailes à aller jouir de la fraîcheur dans une maison de campagne que le Baile Donà avait louée. Ce fut à Buyoudcaré. Le premier ordre que j’ai reçu fut de n’oser jamais sortir ni à l’insu du Baile, ni sans un janissaire. Je l’ai suivi à la lettre. Dans ce temps-là les Russes n’avaient pas encore dompté l’impertinence du peuple turc. On m’assure qu’à présent tous les étrangers peuvent aller où ils veulent sans la moindre crainte.
Ce fut le surlendemain de mon arrivée que je me suis fait con-[duire chez Osman bacha de Caramanie. C’est ainsi que s’appelait le comte de Bonneval après son apostasie.] »

Vol. II, fol. 8v : Constantinople
Constantinople (suite)

Vol. II, fol. 9 : Constantinople

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Transcription du texte :

« Après lui avoir fait passer ma lettre je fus introduit dans une chambre rez-de-chaussée meublée à la française, où j’ai vu un gros seigneur âgé habillé tout à fait à la française se lever, et me demander d’un air riant ce qu’il pouvait faire à Constantinople pour un recommandé par un cardinal de l’Église qu’il ne pouvait plus appeler sa mère. Pour toute réponse je lui ai conté l’histoire qui me fit demander au cardinal dans la désolation de mon âme une lettre de recommandation à Constantinople, que, l’ayant reçue, je me suis cru superstitieusement en [devoir] de la lui porter. De sorte que, me répartit-il, sans cette lettre vous n’auriez jamais pensé à venir ici, où absolument vous n’avez aucun besoin de moi.
– Aucun ; mais je me crois cependant très heureux de m’être procuré par ce moyen l’honneur de connaître dans Votre Excellence un homme, dont toute l’Europe a parlé, parle, et parlera pour longtemps.
Après avoir fait des réflexions sur le bonheur d’un jeune homme comme moi, qui tout à fait sans souci, et sans avoir aucun dessein, ni aucun point fixe s’abandonnait à la Fortune ne craignant, et n’espérant rien, il me dit que la lettre du cardinal Acquaviva l’obligeant à faire quelque chose pour moi, il voulait me faire connaître trois ou quatre de ses amis turcs qui en valaient la peine. Il m’invita à dîner tous les jeudis me promettant de m’envoyer un janissaire qui me garantirait des impertinences de la canaille, et qui me ferait voir tout ce qui méritait d’être vu.
La lettre du cardinal m’annonçant pour homme de lettres, il se leva me disant qu’il voulait me faire voir sa bibliothèque. Je le suivis, traversant le jardin. Nous entrâmes dans une chambre [garnie d’armoires grillées ; derrière les grilles de fil d’archal on voyait des rideaux : derrière les rideaux devaient se trouver les livres.
Mais j’ai bien ri avec le gros bacha quand à la place de livres, d’abord qu’il ouvrit les niches qu’il tenait fermées à la clef, j’ai vu des bouteilles remplies de toutes sortes de vins.] » (Histoire de ma vie, I, p. 281-282)

Vol. II, fol. 9 : Constantinople
Constantinople

Vol. II, fol. 8v : Constantinople

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« [Nous] parlerons de ce Pocchini dans quelque quinze à seize ans d’ici.
Les vents toujours favorables nous conduisirent aux Dardanelles en huit ou dix jours, puis les barques turques vinrent nous prendre pour nous transporter à Constantinople. La vue de cette ville à la distance d’une lieue est étonnante. Il n’y a pas au monde nulle part un si beau spectacle. Cette superbe vue fut la cause de la fin de l’Empire romain, et du commencement du grec. Constantin le Grand arrivant à Constantinople par mer, séduit par la vue de Bizance s’écria voilà le siège de l’empire de tout le monde, et pour rendre sa prophétie immanquable il quitta Rome pour aller s’y établir. S’il avait lu, ou cru à la prophétie d’Horace il n’aurait jamais fait une si grosse sottise. Le poète avait écrit que l’Empire romain ne s’acheminerait à sa fin que quand un successeur d’Auguste s’aviserait d’en transporter le siège là où il avait eu sa naissance. La Troade n’est pas bien distante de la Thrace.
Nous arrivâmes à Péra dans le palais de Venise vers la moitié de juillet. La peste ne circulait pas dans la grande ville dans ce moment-là, chose fort rare. Nous fûmes tous parfaitement bien logés ; mais la grande chaleur fit déterminer les Bailes à aller jouir de la fraîcheur dans une maison de campagne que le Baile Donà avait louée. Ce fut à Buyoudcaré. Le premier ordre que j’ai reçu fut de n’oser jamais sortir ni à l’insu du Baile, ni sans un janissaire. Je l’ai suivi à la lettre. Dans ce temps-là les Russes n’avaient pas encore dompté l’impertinence du peuple turc. On m’assure qu’à présent tous les étrangers peuvent aller où ils veulent sans la moindre crainte.
Ce fut le surlendemain de mon arrivée que je me suis fait con-[duire chez Osman bacha de Caramanie. C’est ainsi que s’appelait le comte de Bonneval après son apostasie.] »

Vol. II, fol. 8v : Constantinople
Constantinople (suite)

Vol. II, fol. 9 : Constantinople

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« Après lui avoir fait passer ma lettre je fus introduit dans une chambre rez-de-chaussée meublée à la française, où j’ai vu un gros seigneur âgé habillé tout à fait à la française se lever, et me demander d’un air riant ce qu’il pouvait faire à Constantinople pour un recommandé par un cardinal de l’Église qu’il ne pouvait plus appeler sa mère. Pour toute réponse je lui ai conté l’histoire qui me fit demander au cardinal dans la désolation de mon âme une lettre de recommandation à Constantinople, que, l’ayant reçue, je me suis cru superstitieusement en [devoir] de la lui porter. De sorte que, me répartit-il, sans cette lettre vous n’auriez jamais pensé à venir ici, où absolument vous n’avez aucun besoin de moi.
– Aucun ; mais je me crois cependant très heureux de m’être procuré par ce moyen l’honneur de connaître dans Votre Excellence un homme, dont toute l’Europe a parlé, parle, et parlera pour longtemps.
Après avoir fait des réflexions sur le bonheur d’un jeune homme comme moi, qui tout à fait sans souci, et sans avoir aucun dessein, ni aucun point fixe s’abandonnait à la Fortune ne craignant, et n’espérant rien, il me dit que la lettre du cardinal Acquaviva l’obligeant à faire quelque chose pour moi, il voulait me faire connaître trois ou quatre de ses amis turcs qui en valaient la peine. Il m’invita à dîner tous les jeudis me promettant de m’envoyer un janissaire qui me garantirait des impertinences de la canaille, et qui me ferait voir tout ce qui méritait d’être vu.
La lettre du cardinal m’annonçant pour homme de lettres, il se leva me disant qu’il voulait me faire voir sa bibliothèque. Je le suivis, traversant le jardin. Nous entrâmes dans une chambre [garnie d’armoires grillées ; derrière les grilles de fil d’archal on voyait des rideaux : derrière les rideaux devaient se trouver les livres.
Mais j’ai bien ri avec le gros bacha quand à la place de livres, d’abord qu’il ouvrit les niches qu’il tenait fermées à la clef, j’ai vu des bouteilles remplies de toutes sortes de vins.] » (Histoire de ma vie, I, p. 281-282)

Vol. II, fol. 9 : Constantinople
Concert de violoncelle par Henriette

Vol. II, fol. 180v : Concert de violoncelle par Henriette

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Transcription du texte :

« [Un quart d’heure après les deux acteurs arrivèrent : c’était Laschi, et la Baglioni dans ce temps-là très jolie. Ensuite tous les personnages que Du Bois avait invités arrivèrent. Ils étaient tous Espagnols, ou Français, tous d’un certain âge. Il n’y a] pas eu question de présentation, et j’ai admiré en cela l’esprit du bossu ; mais comme tous les convives avaient le grand usage de la cour ce manque d’étiquette n’empêcha pas qu’on ne fît à Henriette tous les honneurs de l’assemblée qu’elle reçut avec une aisance qu’on ne connaît qu’en France, et même dans les compagnies les plus nobles, à l’exception cependant de certaines provinces où la morgue se laisse souvent trop voir.
Le concert commença par une superbe symphonie ; puis les acteurs chantèrent le duo, puis un écolier de Vandini donna un concerto de violoncello, qu’on applaudit beaucoup. Mais voilà ce qui me causa la plus grande surprise. Henriette se lève, et louant le jeune homme qui avait joué l’a solo, elle lui prend son violoncello, lui disant d’un air modeste, et serein qu’elle allait le faire briller davantage. Elle s’assied à la même place où il était, elle prend l’instrument entre ses genoux, et elle prie l’orchestre de recommencer le concerto. Voilà la compagnie dans le plus grand silence ; et moi mourant de peur ; mais Dieu merci personne ne me regardait. Pour elle, elle ne l’osait pas. Si elle avait élevé sur moi ses beaux yeux, elle aurait perdu courage. Mais ne la voyant que se mettre en posture de vouloir jouer, j’ai cru que ce n’était qu’un badinage pour faire tableau, qui vraiment avait des charmes ; mais quand je l’ai vue tirer le premier coup d’archer, j’ai pour lors cru que la trop forte palpitation de mon cœur allait me faire tomber mort. Henriette ne pouvait prendre, me connaissant bien, autre parti que celui de ne me jamais regarder. »

Vol. II, fol. 180v : Concert de violoncelle par Henriette
Concert de violoncelle par Henriette (suite)

Vol. II, fol. 181 : Concert de violoncelle par Henriette

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Transcription du texte :

« [Mais que devins-je quand je l’ai entendue jouer] l’a solo, et lorsqu’après le premier morceau les claquements de mains avaient fait devenir presque sourd l’orchestre ? Le passage de la crainte à une exubérance de contentement inattendu me causa un paroxysme, dont la plus forte fièvre n’aurait pas pu dans son redoublement me causer le pareil. Cet applaudissement ne fit à Henriette la moindre sensation du moins en apparence. Sans détacher ses yeux des notes qu’elle ne connaissait que pour avoir suivi des yeux tout le concert pendant que le professeur jouait, elle ne se leva qu’après avoir joué seule six fois. Elle n’a pas remercié la compagnie de l’avoir applaudie ; mais se tournant d’un air noble, et gracieux vers le professeur elle lui dit qu’elle n’avait jamais joué sur un meilleur instrument. Après ce compliment elle dit d’un air riant aux assistants qu’ils devaient excuser la vanité qui l’avait induite à rendre le concert plus long d’une demi-heure.
Ce compliment ayant fini de me frapper, j’ai disparu pour aller pleurer dans le jardin, où personne ne pouvait me voir. Qui est donc Henriette ? Quel est ce trésor dont je suis devenu le maître  ? Il me paraissait impossible d’être l’heureux mortel qui la possédait.
Perdu dans ces réflexions, qui redoublaient la volupté de mes pleurs, je serais resté là encore longtemps, si Du Bois lui-même ne fût venu me chercher et me trouver malgré les ténèbres de la nuit. Il m’appela à souper. Je l’ai tiré d’inquiétude lui disant qu’un petit étourdissement m’avait obligé [à sortir pour le dissiper prenant l’air.] » (Histoire de ma vie, I, p. 509-510)

Vol. II, fol. 181 : Concert de violoncelle par Henriette
Concert de violoncelle par Henriette

Vol. II, fol. 180v : Concert de violoncelle par Henriette

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Transcription du texte :

« [Un quart d’heure après les deux acteurs arrivèrent : c’était Laschi, et la Baglioni dans ce temps-là très jolie. Ensuite tous les personnages que Du Bois avait invités arrivèrent. Ils étaient tous Espagnols, ou Français, tous d’un certain âge. Il n’y a] pas eu question de présentation, et j’ai admiré en cela l’esprit du bossu ; mais comme tous les convives avaient le grand usage de la cour ce manque d’étiquette n’empêcha pas qu’on ne fît à Henriette tous les honneurs de l’assemblée qu’elle reçut avec une aisance qu’on ne connaît qu’en France, et même dans les compagnies les plus nobles, à l’exception cependant de certaines provinces où la morgue se laisse souvent trop voir.
Le concert commença par une superbe symphonie ; puis les acteurs chantèrent le duo, puis un écolier de Vandini donna un concerto de violoncello, qu’on applaudit beaucoup. Mais voilà ce qui me causa la plus grande surprise. Henriette se lève, et louant le jeune homme qui avait joué l’a solo, elle lui prend son violoncello, lui disant d’un air modeste, et serein qu’elle allait le faire briller davantage. Elle s’assied à la même place où il était, elle prend l’instrument entre ses genoux, et elle prie l’orchestre de recommencer le concerto. Voilà la compagnie dans le plus grand silence ; et moi mourant de peur ; mais Dieu merci personne ne me regardait. Pour elle, elle ne l’osait pas. Si elle avait élevé sur moi ses beaux yeux, elle aurait perdu courage. Mais ne la voyant que se mettre en posture de vouloir jouer, j’ai cru que ce n’était qu’un badinage pour faire tableau, qui vraiment avait des charmes ; mais quand je l’ai vue tirer le premier coup d’archer, j’ai pour lors cru que la trop forte palpitation de mon cœur allait me faire tomber mort. Henriette ne pouvait prendre, me connaissant bien, autre parti que celui de ne me jamais regarder. »

Vol. II, fol. 180v : Concert de violoncelle par Henriette
Concert de violoncelle par Henriette (suite)

Vol. II, fol. 181 : Concert de violoncelle par Henriette

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« [Mais que devins-je quand je l’ai entendue jouer] l’a solo, et lorsqu’après le premier morceau les claquements de mains avaient fait devenir presque sourd l’orchestre ? Le passage de la crainte à une exubérance de contentement inattendu me causa un paroxysme, dont la plus forte fièvre n’aurait pas pu dans son redoublement me causer le pareil. Cet applaudissement ne fit à Henriette la moindre sensation du moins en apparence. Sans détacher ses yeux des notes qu’elle ne connaissait que pour avoir suivi des yeux tout le concert pendant que le professeur jouait, elle ne se leva qu’après avoir joué seule six fois. Elle n’a pas remercié la compagnie de l’avoir applaudie ; mais se tournant d’un air noble, et gracieux vers le professeur elle lui dit qu’elle n’avait jamais joué sur un meilleur instrument. Après ce compliment elle dit d’un air riant aux assistants qu’ils devaient excuser la vanité qui l’avait induite à rendre le concert plus long d’une demi-heure.
Ce compliment ayant fini de me frapper, j’ai disparu pour aller pleurer dans le jardin, où personne ne pouvait me voir. Qui est donc Henriette ? Quel est ce trésor dont je suis devenu le maître  ? Il me paraissait impossible d’être l’heureux mortel qui la possédait.
Perdu dans ces réflexions, qui redoublaient la volupté de mes pleurs, je serais resté là encore longtemps, si Du Bois lui-même ne fût venu me chercher et me trouver malgré les ténèbres de la nuit. Il m’appela à souper. Je l’ai tiré d’inquiétude lui disant qu’un petit étourdissement m’avait obligé [à sortir pour le dissiper prenant l’air.] » (Histoire de ma vie, I, p. 509-510)

Vol. II, fol. 181 : Concert de violoncelle par Henriette
« Tu oublieras aussi Henriette »

Vol. II, fol. 188v : « Tu oublieras aussi Henriette »

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Transcription du texte :

« [J’ai rompu le silence pour lui dire qu’il était impossible que la voiture que Tronchin lui fournirait fût plus commode que la mienne, et que cela étant, elle me ferait plaisir la gardant pour elle, et me cédant celle que le banquier lui donnerait ; et elle y] consentit. En même temps elle me donna cinq rouleaux de cent louis chacun, les mettant elle-même dans ma poche, faible consolation à mon cœur trop accablé par une si cruelle séparation. Nous ne nous trouvâmes dans les dernières vingt-quatre heures riches d’autre éloquence que de celle que les soupirs, les larmes et les plus tendres embrassements fournissent à deux amants heureux qui se voient parvenus à la fin de leur bonheur, et qui forcés par la raison sévère doivent y consentir.
Henriette pour calmer ma douleur ne me flatta de rien. Elle me pria de ne pas m’informer d’elle, et de faire semblant de ne pas la connaître, si voyageant jamais en France je la trouvais quelque part. Elle me donna une lettre à remettre à Parme à M. d’Antoine, oubliant de me demander si je comptais y retourner ; mais je m’y suis déterminé sur-le-champ. Elle me pria de ne partir de Genève qu’après que j’aurais reçu une lettre qu’elle m’écrirait du premier endroit où elle s’arrêterait pour changer de chevaux. Elle partit à la pointe du jour, ayant près d’elle sa femme de compagnie, un laquais assis sur le siège du cocher, et un autre qui la précédait à cheval. Je ne suis remonté dans notre chambre qu’après avoir suivi des yeux la voiture, et longtemps après l’avoir perdue de vue. Après avoir ordonné au sommelier de ne venir dans ma chambre que lorsque les chevaux qui menaient Henriette seraient de retour, je me suis mis au lit espérant que le sommeil viendrait au secours de mon âme que la douleur accablait, et que mes larmes ne pouvaient pas soulager. »

Vol. II, fol. 188v : « Tu oublieras aussi Henriette »
« Tu oublieras aussi Henriette » (suite)

Vol. II, fol. 189 : « Tu oublieras aussi Henriette »

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Transcription du texte :

« [Le postillon de retour de Chatillon ne revint] que le lendemain. Il me remit une lettre d’Henriette dans laquelle je n’ai trouvé que ce seul mot adieu. Il me dit qu’il ne lui était arrivé aucun accident, et qu’elle avait poursuivi son voyage prenant la route de Lyon. Ne pouvant partir que le lendemain, j’ai passé tout seul dans ma chambre une des plus tristes journées de ma vie. J’ai vu écrit sur une des vitres des deux fenêtres qu’il y avait tu oublieras aussi Henriette. Elle avait écrit ces mots à la pointe d’un petit diamant en bague que je lui avais donnée. Cette prophétie n’était pas faite pour me consoler ; mais quelle étendue donnait-elle au mot oublier  ? Pour dire vrai, elle ne pouvait entendre sinon que la plaie se cicatriserait, et cela étant naturel, ce n’était pas la peine de me faire une prédiction affligeante. Non. Je ne l’ai pas oubliée, et je me mets du baume dans l’âme toutes les fois que je m’en souviens. Quand je songe que ce qui me rend heureux dans ma vieillesse présente est la présence de ma mémoire, je trouve que ma longue vie doit avoir été plus heureuse que malheureuse, et après en avoir remercié Dieu cause de toutes les causes, et souverain directeur, on ne sait pas comment, de toutes les combinaisons, je me félicite.
Le lendemain, je suis parti pour l’Italie avec un domestique que M. Tronchin m’a donné. Malgré la mauvaise saison j’ai pris la route du St Bernard que j’ai passé en trois jours sur sept mulets nécessaires pour nous, pour ma malle et pour la voiture qui était destinée à ma chère amie. Un homme accablé par une grande douleur a l’avantage que rien ne lui paraît pénible. C’est une espèce de désespoir, qui a aussi quelque douceur. Je ne sentais ni la faim, [ni la soif, ni le froid qui gelait la nature sur cette affreuse partie des Alpes.] » (Histoire de ma vie, I, p. 520-521)

Vol. II, fol. 189 : « Tu oublieras aussi Henriette »
« Tu oublieras aussi Henriette »

Vol. II, fol. 188v : « Tu oublieras aussi Henriette »

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Transcription du texte :

« [J’ai rompu le silence pour lui dire qu’il était impossible que la voiture que Tronchin lui fournirait fût plus commode que la mienne, et que cela étant, elle me ferait plaisir la gardant pour elle, et me cédant celle que le banquier lui donnerait ; et elle y] consentit. En même temps elle me donna cinq rouleaux de cent louis chacun, les mettant elle-même dans ma poche, faible consolation à mon cœur trop accablé par une si cruelle séparation. Nous ne nous trouvâmes dans les dernières vingt-quatre heures riches d’autre éloquence que de celle que les soupirs, les larmes et les plus tendres embrassements fournissent à deux amants heureux qui se voient parvenus à la fin de leur bonheur, et qui forcés par la raison sévère doivent y consentir.
Henriette pour calmer ma douleur ne me flatta de rien. Elle me pria de ne pas m’informer d’elle, et de faire semblant de ne pas la connaître, si voyageant jamais en France je la trouvais quelque part. Elle me donna une lettre à remettre à Parme à M. d’Antoine, oubliant de me demander si je comptais y retourner ; mais je m’y suis déterminé sur-le-champ. Elle me pria de ne partir de Genève qu’après que j’aurais reçu une lettre qu’elle m’écrirait du premier endroit où elle s’arrêterait pour changer de chevaux. Elle partit à la pointe du jour, ayant près d’elle sa femme de compagnie, un laquais assis sur le siège du cocher, et un autre qui la précédait à cheval. Je ne suis remonté dans notre chambre qu’après avoir suivi des yeux la voiture, et longtemps après l’avoir perdue de vue. Après avoir ordonné au sommelier de ne venir dans ma chambre que lorsque les chevaux qui menaient Henriette seraient de retour, je me suis mis au lit espérant que le sommeil viendrait au secours de mon âme que la douleur accablait, et que mes larmes ne pouvaient pas soulager. »

Vol. II, fol. 188v : « Tu oublieras aussi Henriette »
« Tu oublieras aussi Henriette » (suite)

Vol. II, fol. 189 : « Tu oublieras aussi Henriette »

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Transcription du texte :

« [Le postillon de retour de Chatillon ne revint] que le lendemain. Il me remit une lettre d’Henriette dans laquelle je n’ai trouvé que ce seul mot adieu. Il me dit qu’il ne lui était arrivé aucun accident, et qu’elle avait poursuivi son voyage prenant la route de Lyon. Ne pouvant partir que le lendemain, j’ai passé tout seul dans ma chambre une des plus tristes journées de ma vie. J’ai vu écrit sur une des vitres des deux fenêtres qu’il y avait tu oublieras aussi Henriette. Elle avait écrit ces mots à la pointe d’un petit diamant en bague que je lui avais donnée. Cette prophétie n’était pas faite pour me consoler ; mais quelle étendue donnait-elle au mot oublier  ? Pour dire vrai, elle ne pouvait entendre sinon que la plaie se cicatriserait, et cela étant naturel, ce n’était pas la peine de me faire une prédiction affligeante. Non. Je ne l’ai pas oubliée, et je me mets du baume dans l’âme toutes les fois que je m’en souviens. Quand je songe que ce qui me rend heureux dans ma vieillesse présente est la présence de ma mémoire, je trouve que ma longue vie doit avoir été plus heureuse que malheureuse, et après en avoir remercié Dieu cause de toutes les causes, et souverain directeur, on ne sait pas comment, de toutes les combinaisons, je me félicite.
Le lendemain, je suis parti pour l’Italie avec un domestique que M. Tronchin m’a donné. Malgré la mauvaise saison j’ai pris la route du St Bernard que j’ai passé en trois jours sur sept mulets nécessaires pour nous, pour ma malle et pour la voiture qui était destinée à ma chère amie. Un homme accablé par une grande douleur a l’avantage que rien ne lui paraît pénible. C’est une espèce de désespoir, qui a aussi quelque douceur. Je ne sentais ni la faim, [ni la soif, ni le froid qui gelait la nature sur cette affreuse partie des Alpes.] » (Histoire de ma vie, I, p. 520-521)

Vol. II, fol. 189 : « Tu oublieras aussi Henriette »
« Je suis devenu franc-maçon apprenti »

Vol. III, fol. 9v : « Je suis devenu franc-maçon apprenti  »

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Transcription du texte :

« Un respectable personnage, que j’ai connu chez M. de Rochebaron, me procura la grâce d’être admis parmi ceux qui voient la lumière. Je suis devenu franc-maçon apprenti. Deux mois après j’ai reçu à Paris le second grade, et quelques mois après le troisième, qui est la maîtrise. C’est le suprême. Tous les autres titres que dans la suite du temps on m’a fait prendre sont des inventions agréables, qui quoique symboliques n’ajoutent rien à la dignité de maître.
Il n’y a point d’homme au monde qui parvienne à savoir tout ; mais tout homme doit aspirer à tout savoir. Tout jeune homme qui voyage, qui veut connaître le grand monde, qui ne veut pas se trouver inférieur à un autre, et exclu de la compagnie de ses égaux dans le temps où nous sommes, doit se faire initier dans ce qu’on appelle la maçonnerie, quand ce ne serait que pour savoir au moins superficiellement ce que c’est. Il doit cependant faire attention à bien choisir la loge dans laquelle il veut être installé, car malgré que la mauvaise compagnie ne puisse agir en loge, elle peut cependant s’y trouver, et le candidat doit se garder des liaisons dangereuses. » 

Vol. III, fol. 9v : « Je suis devenu franc-maçon apprenti  »
« Je suis devenu franc-maçon apprenti » (suite)

Vol. III, fol. 10 : « Je suis devenu franc-maçon apprenti »

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Transcription du texte :

« Ceux qui ne se déterminent à se faire recevoir maçons que pour parvenir à savoir le secret peuvent se tromper, car il leur peut arriver de vivre cinquante ans maître maçon sans jamais parvenir à pénétrer le secret de cette confrérie.
Le secret de la maçonnerie est inviolable par sa propre nature, puisque le maçon qui le sait ne le sait que pour l’avoir deviné. Il ne l’a appris de personne. Il l’a découvert à force d’aller en loge, d’observer, de raisonner, et de déduire. Lorsqu’il y est parvenu, il se garde bien de faire part de sa découverte à qui que ce soit, fût-ce son meilleur ami maçon, puisque s’il n’a pas eu le talent de le pénétrer, il n’aura pas non plus celui d’en tirer parti en l’apprenant oralement. Ce secret sera donc toujours secret.
Tout ce qu’on fait en loge doit être secret ; mais ceux qui par une indiscrétion malhonnête ne se sont pas fait un scrupule de révéler ce qu’on y fait n’ont pas révélé l’essentiel. Comment pouvaient-ils le révéler s’ils ne le savaient pas ? S’ils l’avaient su, ils n’auraient pas révélé les cérémonies.
La même sensation que fait aujourd’hui la confrérie des maçons dans plusieurs qui n’y sont pas initiés, procédait dans l’ancien temps des grands mystères qu’on célébrait à Éleusis à l’honneur de Cérès. Ils intéressaient toute la Grèce, et les premiers hommes de ce monde aspiraient à y être initiés. Cette initiation était d’une importance beaucoup plus grande que celle de la franc-maçonnerie [moderne, où l’on trouve des polissons et des rebuts de l’espèce humaine.] » (Histoire de ma vie, I, p. 553-554)

Vol. III, fol. 10 : « Je suis devenu franc-maçon apprenti »
« Je suis devenu franc-maçon apprenti »

Vol. III, fol. 9v : « Je suis devenu franc-maçon apprenti  »

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Transcription du texte :

« Un respectable personnage, que j’ai connu chez M. de Rochebaron, me procura la grâce d’être admis parmi ceux qui voient la lumière. Je suis devenu franc-maçon apprenti. Deux mois après j’ai reçu à Paris le second grade, et quelques mois après le troisième, qui est la maîtrise. C’est le suprême. Tous les autres titres que dans la suite du temps on m’a fait prendre sont des inventions agréables, qui quoique symboliques n’ajoutent rien à la dignité de maître.
Il n’y a point d’homme au monde qui parvienne à savoir tout ; mais tout homme doit aspirer à tout savoir. Tout jeune homme qui voyage, qui veut connaître le grand monde, qui ne veut pas se trouver inférieur à un autre, et exclu de la compagnie de ses égaux dans le temps où nous sommes, doit se faire initier dans ce qu’on appelle la maçonnerie, quand ce ne serait que pour savoir au moins superficiellement ce que c’est. Il doit cependant faire attention à bien choisir la loge dans laquelle il veut être installé, car malgré que la mauvaise compagnie ne puisse agir en loge, elle peut cependant s’y trouver, et le candidat doit se garder des liaisons dangereuses. » 

Vol. III, fol. 9v : « Je suis devenu franc-maçon apprenti  »
« Je suis devenu franc-maçon apprenti » (suite)

Vol. III, fol. 10 : « Je suis devenu franc-maçon apprenti »

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Transcription du texte :

« Ceux qui ne se déterminent à se faire recevoir maçons que pour parvenir à savoir le secret peuvent se tromper, car il leur peut arriver de vivre cinquante ans maître maçon sans jamais parvenir à pénétrer le secret de cette confrérie.
Le secret de la maçonnerie est inviolable par sa propre nature, puisque le maçon qui le sait ne le sait que pour l’avoir deviné. Il ne l’a appris de personne. Il l’a découvert à force d’aller en loge, d’observer, de raisonner, et de déduire. Lorsqu’il y est parvenu, il se garde bien de faire part de sa découverte à qui que ce soit, fût-ce son meilleur ami maçon, puisque s’il n’a pas eu le talent de le pénétrer, il n’aura pas non plus celui d’en tirer parti en l’apprenant oralement. Ce secret sera donc toujours secret.
Tout ce qu’on fait en loge doit être secret ; mais ceux qui par une indiscrétion malhonnête ne se sont pas fait un scrupule de révéler ce qu’on y fait n’ont pas révélé l’essentiel. Comment pouvaient-ils le révéler s’ils ne le savaient pas ? S’ils l’avaient su, ils n’auraient pas révélé les cérémonies.
La même sensation que fait aujourd’hui la confrérie des maçons dans plusieurs qui n’y sont pas initiés, procédait dans l’ancien temps des grands mystères qu’on célébrait à Éleusis à l’honneur de Cérès. Ils intéressaient toute la Grèce, et les premiers hommes de ce monde aspiraient à y être initiés. Cette initiation était d’une importance beaucoup plus grande que celle de la franc-maçonnerie [moderne, où l’on trouve des polissons et des rebuts de l’espèce humaine.] » (Histoire de ma vie, I, p. 553-554)

Vol. III, fol. 10 : « Je suis devenu franc-maçon apprenti »
Rencontre de Casanova avec Louis XV

Vol. III, fol. 30v : Rencontre avec Louis XV

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Transcription du texte :

« Ma réponse un peu verte fit rire Madame de Pompadour, qui me demanda si j’étais vraiment de là-bas.
– D’où donc
– de Venise.
– Venise, Madame, n’est pas là-bas ; elle est là-haut.
– On trouve cette réponse plus singulière que la première, et voilà toute la loge qui fait une consultation pour savoir si Venise était là-bas, ou là-haut. On trouva apparemment que j’avais raison, et on ne m’attaqua plus. J’écoutais l’opéra sans rire, et comme j’étais enrhumé, je me mouchais trop souvent. Le même cordon bleu, que je ne connaissais pas, et qui était le Maréchal de Richelieu, me dit qu’apparemment les fenêtres de ma chambre n’étaient pas bien fermées.
– Demande pardon, Monsieur ; elles sont même calfoutrées.
On rit alors beaucoup, et j’en fus mortifié parce que je me suis aperçu que j’avais mal prononcé le mot calfeutrées. J’avais l’air tout humilié. Une demi-heure après M. de Richelieu me demande laquelle de deux actrices me plaisait davantage pour la beauté.
– Celle-là.
– Elle a de vilaines jambes.
– On ne les voit pas, Monsieur et après dans l’examen de la beauté d’une femme la première chose que j’écarte sont les jambes.
Ce bon mot-là dit par hasard, et dont je ne connaissais pas la force, me rendit respectable et fit devenir la compagnie de la loge curieuse de moi.
Le Maréchal sut qui j’étais de M. Morosini même, qui me dit que je lui ferais plaisir à lui faire ma cour. Mon bon mot devint fameux, et le Maréchal de Richelieu me fit un accueil gracieux. Celui des ministres étrangers auquel je me suis attaché le plus fut Milord Maréchal d’Écosse Keit, qui l’était du roi de Prusse. J’aurai l’occasion de parler de lui. »

Vol. III, fol. 30v : Rencontre avec Louis XV
Rencontre de Casanova avec Louis XV (suite)

Vol. III, fol. 31 : Rencontre avec Louis XV

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Transcription du texte :

« [Ce fut le surlendemain de mon arrivée à Fontaineblo que je suis allé tout seul à la cour. J’ai vu le beau roi] aller à la messe, et toute la famille royale, et toutes les dames de la cour qui me surprirent par leur laideur comme celles de la cour de Turin m’avaient surpris par leur beauté. Mais en voyant une beauté surprenante entre tant de laideurs j’ai demandé à quelqu’un comment s’appelait la dame.
– C’est, Monsieur, Madame de Brionne, qui est encore plus sage que belle, car non seulement il n’y a aucune histoire sur son compte ; mais elle n’a jamais fourni le moindre motif pour que la médisance puisse en inventer une.
– On n’en a peut-être rien su.
– Ah, monsieur ! on sait tout à la cour.
J’allais tout seul rôdant partout jusqu’à l’intérieur des appartements royaux, lorsque j’ai vu dix à douze dames laides qui avaient plus l’air de courir que de marcher, et si mal qu’elles paraissaient tomber le visage en avant. Je demande d’où elles venaient, et pourquoi elles marchaient si mal.
– Elles sortent de chez la reine qui va dîner, et elles marchent mal parce que le talon de leurs pantoufles haut d’un demi-pied les oblige à marcher avec les genoux pliés.
– Pourquoi ne portent-elles pas le talon plus bas ?
– Parce qu’elles croient de paraître ainsi plus grandes.
J’entre dans une galerie, et je vois le roi qui passe se tenant appuyé avec un bras à travers les épaules de M. d’Argenson. La tête de Louis XV était belle à ravir, et plantée sur son cou l’on ne pouvait pas mieux. Jamais peintre très habile ne put dessiner le coup de tête de ce monarque lorsqu’il la tournait pour regarder quelqu’un. On se sentait forcé de l’aimer dans l’instant. J’ai pour lors cru voir la majesté que j’avais en vain cherchée sur la figure du roi de Sardaigne. Je me suis trouvé certain que Madame de Pompadour était devenue amoureuse de cette physionomie, lorsqu’elle parvint à se procurer sa connaissance. Ce n’était pas vrai, peut-[être, mais la figure de Louis XV forçait l’observateur à penser ainsi.] » (Histoire de ma vie, I, p. 587-588)

Vol. III, fol. 31 : Rencontre avec Louis XV
Rencontre de Casanova avec Louis XV

Vol. III, fol. 30v : Rencontre avec Louis XV

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Transcription du texte :

« Ma réponse un peu verte fit rire Madame de Pompadour, qui me demanda si j’étais vraiment de là-bas.
– D’où donc
– de Venise.
– Venise, Madame, n’est pas là-bas ; elle est là-haut.
– On trouve cette réponse plus singulière que la première, et voilà toute la loge qui fait une consultation pour savoir si Venise était là-bas, ou là-haut. On trouva apparemment que j’avais raison, et on ne m’attaqua plus. J’écoutais l’opéra sans rire, et comme j’étais enrhumé, je me mouchais trop souvent. Le même cordon bleu, que je ne connaissais pas, et qui était le Maréchal de Richelieu, me dit qu’apparemment les fenêtres de ma chambre n’étaient pas bien fermées.
– Demande pardon, Monsieur ; elles sont même calfoutrées.
On rit alors beaucoup, et j’en fus mortifié parce que je me suis aperçu que j’avais mal prononcé le mot calfeutrées. J’avais l’air tout humilié. Une demi-heure après M. de Richelieu me demande laquelle de deux actrices me plaisait davantage pour la beauté.
– Celle-là.
– Elle a de vilaines jambes.
– On ne les voit pas, Monsieur et après dans l’examen de la beauté d’une femme la première chose que j’écarte sont les jambes.
Ce bon mot-là dit par hasard, et dont je ne connaissais pas la force, me rendit respectable et fit devenir la compagnie de la loge curieuse de moi.
Le Maréchal sut qui j’étais de M. Morosini même, qui me dit que je lui ferais plaisir à lui faire ma cour. Mon bon mot devint fameux, et le Maréchal de Richelieu me fit un accueil gracieux. Celui des ministres étrangers auquel je me suis attaché le plus fut Milord Maréchal d’Écosse Keit, qui l’était du roi de Prusse. J’aurai l’occasion de parler de lui. »

Vol. III, fol. 30v : Rencontre avec Louis XV
Rencontre de Casanova avec Louis XV (suite)

Vol. III, fol. 31 : Rencontre avec Louis XV

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Transcription du texte :

« [Ce fut le surlendemain de mon arrivée à Fontaineblo que je suis allé tout seul à la cour. J’ai vu le beau roi] aller à la messe, et toute la famille royale, et toutes les dames de la cour qui me surprirent par leur laideur comme celles de la cour de Turin m’avaient surpris par leur beauté. Mais en voyant une beauté surprenante entre tant de laideurs j’ai demandé à quelqu’un comment s’appelait la dame.
– C’est, Monsieur, Madame de Brionne, qui est encore plus sage que belle, car non seulement il n’y a aucune histoire sur son compte ; mais elle n’a jamais fourni le moindre motif pour que la médisance puisse en inventer une.
– On n’en a peut-être rien su.
– Ah, monsieur ! on sait tout à la cour.
J’allais tout seul rôdant partout jusqu’à l’intérieur des appartements royaux, lorsque j’ai vu dix à douze dames laides qui avaient plus l’air de courir que de marcher, et si mal qu’elles paraissaient tomber le visage en avant. Je demande d’où elles venaient, et pourquoi elles marchaient si mal.
– Elles sortent de chez la reine qui va dîner, et elles marchent mal parce que le talon de leurs pantoufles haut d’un demi-pied les oblige à marcher avec les genoux pliés.
– Pourquoi ne portent-elles pas le talon plus bas ?
– Parce qu’elles croient de paraître ainsi plus grandes.
J’entre dans une galerie, et je vois le roi qui passe se tenant appuyé avec un bras à travers les épaules de M. d’Argenson. La tête de Louis XV était belle à ravir, et plantée sur son cou l’on ne pouvait pas mieux. Jamais peintre très habile ne put dessiner le coup de tête de ce monarque lorsqu’il la tournait pour regarder quelqu’un. On se sentait forcé de l’aimer dans l’instant. J’ai pour lors cru voir la majesté que j’avais en vain cherchée sur la figure du roi de Sardaigne. Je me suis trouvé certain que Madame de Pompadour était devenue amoureuse de cette physionomie, lorsqu’elle parvint à se procurer sa connaissance. Ce n’était pas vrai, peut-[être, mais la figure de Louis XV forçait l’observateur à penser ainsi.] » (Histoire de ma vie, I, p. 587-588)

Vol. III, fol. 31 : Rencontre avec Louis XV
La religieuse M. M.

Vol. III, fol. 238v : La religieuse M. M.

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Sur ces pages, le mémorialiste décrit l’élégance de la religieuse vénitienne M. M., dont l’image se répercute à l’infini, dans les glaces du casin de Bernis : c’est habillée en homme qu’elle apparaît, portant objets, bijoux, tabatière, arme… ceux-là même que décrit comme siens, en d’autres pages, Casanova.

Transcription du texte  :

« [Nous montons,] je me démaque vite, mais M. M. se plaît à se promener lentement dans tous les recoins du délicieux endroit où elle se voyait accueillie, enchantée aussi que je contemplasse dans tous les profils, et souvent de face toutes les grâces de sa personne, et que j’admirasse dans ses atours quel devait être l’amant qui la possédait.
Elle était surprise du prestige qui lui faisait voir partout, et en même temps, malgré qu’elle se tînt immobile, sa personne en cent différents points de vue. Ses portraits multipliés que les miroirs lui offraient à la clarté de toutes les bougies placées exprès lui présentaient un spectacle nouveau qui la rendait amoureuse d’elle-même. Assis sur un tabouret, j’examinais avec attention toute l’élégance de sa parure. Un habit de velours ras couleur de rose brodé sur les bords en paillettes d’or, une veste à l’avenant brodée au métier, dont on ne pouvait rien voir de plus riche, des culottes de satin noir, des dentelles de point à l’aiguille, des boucles de brillants, un solitaire de grand prix à son petit doigt, et à l’autre main une bague qui ne montrait qu’une surface de taffetas blanc couvert d’un cristal convexe. Sa baüte de blonde noire était tant à l’égard de la finesse que du dessin tout ce qu’on pouvait voir de plus beau. Pour que je pusse la regarder encore mieux elle vint se mettre debout devant moi. Je visite ses poches, et j’y trouve tabatière, bonbonnière, flacon, étui à cure-dents, lorgnette, et mouchoirs qui exhalaient des odeurs qui embaumaient l’air. »

Vol. III, fol. 238v : La religieuse M. M.
La religieuse M. M. (suite)

Vol. III, fol. 239 : La religieuse M. M.

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Transcription du texte :

« [Je considère avec attention la richesse, et le] travail de ses deux montres, et ses beaux cachets en pendeloques attachés aux chaînons couverts de petits carats. Je visite ses poches de côté, et je trouve des pistolets à briquet plat à ressort, ouvrage anglais des plus finis.
Tout ce que je vois, lui dis-je, est au-dessous de toi, mais laisse que mon âme étonnée rende hommage à l’être adorable qui veut te convaincre que tu es réellement sa maîtresse.
– C’est ce qu’il m’a dit quand je l’ai prié de me conduire à Venise, et de m’y laisser, m’ajoutant qu’il désirait que je m’y amusasse, et que je pusse me convaincre toujours plus que celui que j’allais rendre heureux le méritait.
– C’est incroyable, ma chère amie. Un amant de cette trempe est unique, et je ne saurai jamais mériter un bonheur, dont je suis déjà ébloui.
– Laisse que j’aille me démasquer toute seule.
Un quart d’heure après, elle parut devant moi coiffée en homme avec ses beaux cheveux dépoudrés, dont les faces en longues boucles lui arrivaient jusqu’au bas des joues. Un ruban noir les nouait derrière, et en queue flottante ils lui descendaient jusqu’aux jarrets. M. M. en femme ressemblait à Henriette, et en homme à un officier des gardes nommé l’Étorière que j’avais connu à Paris ; ou plutôt à cet Antinoüs, dont on voit encore des statues, si l’habillement à la française m’avait permis l’illusion. » (Histoire de ma vie, I, p. 744-745)

Vol. III, fol. 239 : La religieuse M. M.
La religieuse M. M.

Vol. III, fol. 238v : La religieuse M. M.

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Sur ces pages, le mémorialiste décrit l’élégance de la religieuse vénitienne M. M., dont l’image se répercute à l’infini, dans les glaces du casin de Bernis : c’est habillée en homme qu’elle apparaît, portant objets, bijoux, tabatière, arme… ceux-là même que décrit comme siens, en d’autres pages, Casanova.

Transcription du texte  :

« [Nous montons,] je me démaque vite, mais M. M. se plaît à se promener lentement dans tous les recoins du délicieux endroit où elle se voyait accueillie, enchantée aussi que je contemplasse dans tous les profils, et souvent de face toutes les grâces de sa personne, et que j’admirasse dans ses atours quel devait être l’amant qui la possédait.
Elle était surprise du prestige qui lui faisait voir partout, et en même temps, malgré qu’elle se tînt immobile, sa personne en cent différents points de vue. Ses portraits multipliés que les miroirs lui offraient à la clarté de toutes les bougies placées exprès lui présentaient un spectacle nouveau qui la rendait amoureuse d’elle-même. Assis sur un tabouret, j’examinais avec attention toute l’élégance de sa parure. Un habit de velours ras couleur de rose brodé sur les bords en paillettes d’or, une veste à l’avenant brodée au métier, dont on ne pouvait rien voir de plus riche, des culottes de satin noir, des dentelles de point à l’aiguille, des boucles de brillants, un solitaire de grand prix à son petit doigt, et à l’autre main une bague qui ne montrait qu’une surface de taffetas blanc couvert d’un cristal convexe. Sa baüte de blonde noire était tant à l’égard de la finesse que du dessin tout ce qu’on pouvait voir de plus beau. Pour que je pusse la regarder encore mieux elle vint se mettre debout devant moi. Je visite ses poches, et j’y trouve tabatière, bonbonnière, flacon, étui à cure-dents, lorgnette, et mouchoirs qui exhalaient des odeurs qui embaumaient l’air. »

Vol. III, fol. 238v : La religieuse M. M.
La religieuse M. M. (suite)

Vol. III, fol. 239 : La religieuse M. M.

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Transcription du texte :

« [Je considère avec attention la richesse, et le] travail de ses deux montres, et ses beaux cachets en pendeloques attachés aux chaînons couverts de petits carats. Je visite ses poches de côté, et je trouve des pistolets à briquet plat à ressort, ouvrage anglais des plus finis.
Tout ce que je vois, lui dis-je, est au-dessous de toi, mais laisse que mon âme étonnée rende hommage à l’être adorable qui veut te convaincre que tu es réellement sa maîtresse.
– C’est ce qu’il m’a dit quand je l’ai prié de me conduire à Venise, et de m’y laisser, m’ajoutant qu’il désirait que je m’y amusasse, et que je pusse me convaincre toujours plus que celui que j’allais rendre heureux le méritait.
– C’est incroyable, ma chère amie. Un amant de cette trempe est unique, et je ne saurai jamais mériter un bonheur, dont je suis déjà ébloui.
– Laisse que j’aille me démasquer toute seule.
Un quart d’heure après, elle parut devant moi coiffée en homme avec ses beaux cheveux dépoudrés, dont les faces en longues boucles lui arrivaient jusqu’au bas des joues. Un ruban noir les nouait derrière, et en queue flottante ils lui descendaient jusqu’aux jarrets. M. M. en femme ressemblait à Henriette, et en homme à un officier des gardes nommé l’Étorière que j’avais connu à Paris ; ou plutôt à cet Antinoüs, dont on voit encore des statues, si l’habillement à la française m’avait permis l’illusion. » (Histoire de ma vie, I, p. 744-745)

Vol. III, fol. 239 : La religieuse M. M.
Emprisonnement sous les Plombs de Venise

Vol. III, fol. 325v : Arrestation de Casanova

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Transcription du texte :

« C’était au commencement de la nuit, le 25 de Juillet 1755.
Le lendemain à la pointe du jour Messer Grande entra dans ma chambre. Me réveiller, le voir, et l’entendre me demander si j’étais Jacques Casanova fut l’affaire du moment. D’abord que je lui ai répondu que j’étais le même qu’il avait nommé, il m’ordonna de lui donner tout ce que j’avais d’écrit, soit de moi, soi d’autres, de m’habiller, et d’aller avec lui. Lui ayant demandé de la part de qui il me donnait cet ordre, il me répondit que c’était de la part du tribunal. »

Vol. III, fol. 325v : Arrestation de Casanova
« Sous le plomb tremblement de terre »

Vol. III, fol. 328 : « Sous le plomb tremblement de terre »

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Transcription du texte :

« Chapitre XIII
Sous le plomb tremblement de terre

Le mot Tribunal me pétrifia l’âme ne me laissant que la faculté matérielle nécessaire à l’obéissance. Mon secrétaire était ouvert ; tous mes papiers étaient sur la table où j’écrivais, je lui ai dit qu’il pouvait les prendre ; il remplit un sac qu’un de ses gens lui porta, et il me dit que je devais aussi lui consigner des manuscrits reliés en livres que je devais avoir : je lui ai montré le lieu où ils étaient, et pour lors j’ai vu clair, que le metteur en œuvre Manuzzi avait été l’infâme espion, qui m’avait accusé d’avoir ces livres, lorsqu’il s’introduisit chez moi me flattant de me faire acheter des diamants, et me flattant comme je l’ai dit de me faire vendre ces livres ; c’était la clavicule de Salomon ; le Zecor-ben ; un Picatrix ; une ample instruction sur les heures planétaires aptes à faire les parfums, et les conjurations nécessaires pour avoir le colloque avec les démons de toutes les classes. Ceux qui savaient que je possédais ces livres me croyaient magicien, et je n’en étais pas fâché. Messer Grande me prit aussi les livres que j’avais sur ma table de nuit Arioste, Horace, Pétrarque, le philosophe militaire, manuscrit que Mathilde m’avait donné, le portier des chartreux, et le petit livre des postures lubriques de l’Arétin que Manuzzi avait dénoncé, car Messer Grande me l’a aussi demandé. Cet espion avait l’air d’un honnête homme : qualité nécessaire pour son métier ; son fils fit fortune en Pologne en épousant une Opeska qu’il fit mourir, à ce qu’on prétend, car je n’en sais rien, et même je ne le crois pas, malgré que je l’en connaisse capable. » (Histoire de ma vie, I, p. 859-860)

Vol. III, fol. 328 : « Sous le plomb tremblement de terre »
Emprisonnement sous les Plombs de Venise

Vol. III, fol. 325v : Arrestation de Casanova

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Transcription du texte :

« C’était au commencement de la nuit, le 25 de Juillet 1755.
Le lendemain à la pointe du jour Messer Grande entra dans ma chambre. Me réveiller, le voir, et l’entendre me demander si j’étais Jacques Casanova fut l’affaire du moment. D’abord que je lui ai répondu que j’étais le même qu’il avait nommé, il m’ordonna de lui donner tout ce que j’avais d’écrit, soit de moi, soi d’autres, de m’habiller, et d’aller avec lui. Lui ayant demandé de la part de qui il me donnait cet ordre, il me répondit que c’était de la part du tribunal. »

Vol. III, fol. 325v : Arrestation de Casanova
« Sous le plomb tremblement de terre »

Vol. III, fol. 328 : « Sous le plomb tremblement de terre »

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Transcription du texte :

« Chapitre XIII
Sous le plomb tremblement de terre

Le mot Tribunal me pétrifia l’âme ne me laissant que la faculté matérielle nécessaire à l’obéissance. Mon secrétaire était ouvert ; tous mes papiers étaient sur la table où j’écrivais, je lui ai dit qu’il pouvait les prendre ; il remplit un sac qu’un de ses gens lui porta, et il me dit que je devais aussi lui consigner des manuscrits reliés en livres que je devais avoir : je lui ai montré le lieu où ils étaient, et pour lors j’ai vu clair, que le metteur en œuvre Manuzzi avait été l’infâme espion, qui m’avait accusé d’avoir ces livres, lorsqu’il s’introduisit chez moi me flattant de me faire acheter des diamants, et me flattant comme je l’ai dit de me faire vendre ces livres ; c’était la clavicule de Salomon ; le Zecor-ben ; un Picatrix ; une ample instruction sur les heures planétaires aptes à faire les parfums, et les conjurations nécessaires pour avoir le colloque avec les démons de toutes les classes. Ceux qui savaient que je possédais ces livres me croyaient magicien, et je n’en étais pas fâché. Messer Grande me prit aussi les livres que j’avais sur ma table de nuit Arioste, Horace, Pétrarque, le philosophe militaire, manuscrit que Mathilde m’avait donné, le portier des chartreux, et le petit livre des postures lubriques de l’Arétin que Manuzzi avait dénoncé, car Messer Grande me l’a aussi demandé. Cet espion avait l’air d’un honnête homme : qualité nécessaire pour son métier ; son fils fit fortune en Pologne en épousant une Opeska qu’il fit mourir, à ce qu’on prétend, car je n’en sais rien, et même je ne le crois pas, malgré que je l’en connaisse capable. » (Histoire de ma vie, I, p. 859-860)

Vol. III, fol. 328 : « Sous le plomb tremblement de terre »
Jeu de billard

Vol. III, fol. 390v : L'Évasion des Plombs de Venise

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Le jeu est un élément naturel chez le Vénitien, et à côté des nombreux jeux de cartes qu’il pratique, il manifeste ici, outre son goût du pari, sa connaissance du jeu de billard.

Transcription du texte :

« [Je l’ai laissée aussi à onze heures l’assurant que je la verrais] une autre fois avant mon départ. Une princesse de Galitzin née Cantimir m’avait invité à dîner.
Le lendemain j’ai reçu une lettre de Madame d’Urfé qui par une lettre de change sur Boaz m’envoyait 12 m., me disant très noblement que ses actions ne lui coûtant que 60 000 elle ne voulait pas y gagner. Ce présent de cinq cents louis me fit plaisir. Tout le reste de sa lettre était rempli de chimères : elle me disait que son Génie lui avait dit que j’allais retourner à Paris avec un jeune garçon né de l’accouplement philosophique, et qu’elle espérait que j’aurais pitié d’elle. Singulier hasard ! Je riais d’avance de l’effet que ferait dans son âme l’apparition du fils de Thérèse. Boaz me remercia de ce que je me suis contenté qu’il me paye ma lettre de change en ducats. L’or en Hollande est un article de marchandise. Les payements se font, ou en papier, ou en argent blanc. Dans ce moment-là personne ne voulait des ducats parce que l’agio était monté à cinq stübers.
Après avoir dîné avec la princesse Galitzin, je suis allé me mettre en redingote, et je suis allé au café pour lire des gazettes. J’ai vu V. D. R. qui allant commencer une partie de billard me dit à l’oreille que je pouvais parier pour lui. Cette marque d’amitié me fit plaisir. Je l’ai cru sûr de son fait, et j’ai commencé à parier ; mais à la troisième partie perdue, j’ai parié contre sans qu’il s’en aperçût. Trois heures après, il quitta perdant trente ou quarante parties, et croyant que j’eusse toujours parié pour lui il me fit compliment de condoléance. Je l’ai vu surpris quand lui montrant trente ou quarante ducats je lui ai dit me moquant un peu de la confiance qu’il avait dans son propre jeu, que je les avais gagnés pariant contre lui. Tout le billard se moqua de lui ; il n’entendait pas raillerie ; il fut fort ennuyé de mes plaisanteries ; il partit en colère, et un moment après je suis allé chez Thérèse parce que je le lui avais promis. Je devais partir le lendemain pour Amsterdam. Elle attendait V. D. R., mais elle ne l’attendit plus quand je lui ai dit comme, et pourquoi il était parti du billard en colère. Après avoir passé une heure avec Sophie entre mes bras, je l’ai laissée, l’assurant que nous nous reverrions dans trois ou quatre semaines. » 

Vol. III, fol. 390v : L'Évasion des Plombs de Venise
Jeu de billard (suite)

Vol. IV, fol. 95v : Jeu de billard

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Transcription du texte :

« [Retournant tout seul chez Boaz, et ayant mon épée sous le bras je me vois attaqué au plus] beau clair de lune par V. D. R. Il se dit curieux de voir si mon épée piquait comme ma langue. Je tâche en vain de le calmer lui parlant raison, je diffère à dégainer, malgré qu’il eût l’épée nue à la main, je lui dis qu’il avait tort de prendre en si mauvaise part des badinages, je lui demande pardon, je lui offre de suspendre mon départ pour lui demander pardon au café. Point du tout, il veut me tuer, et pour me persuader à tirer mon épée il me donne un coup de plat. C’est le seul que j’ai reçu dans toute ma vie. Je tire enfin mon épée, et espérant encore de lui faire entendre raison je ferraille en reculant. Il prend cela pour de la peur, et il m’allonge un coup qui me fit dresser les cheveux. Il me perça la cravate à ma gauche, son épée passant outre ; quatre lignes plus en dedans il m’aurait égorgé. J’ai fait avec effroi un saut de côté, et déterminé à le tuer, je l’ai blessé à la poitrine ; et m’en sentant sûr je l’ai invité à finir. Me disant qu’il n’était pas encore mort, et poursuivant comme un furieux, je l’ai touché quatre fois de suite. A mon dernier coup il sauta en arrière me disant qu’il en avait assez, me priant seulement de m’en aller.
Je me suis réjoui lorsque en voulant essuyer mon épée, j’ai vu la pointe très peu teinte. Boaz n’était pas encore couché. Lorsqu’il eut entendu tout le fait, il me conseilla de partir d’abord pour Amsterdam malgré que je l’assurasse que les blessures n’étaient pas mortelles. Ma chaise étant chez le sellier, je suis parti dans une voiture de Boaz laissant l’ordre à mon domestique de partir le lendemain pour me porter mon équipage à Amsterdam à la Seconde Bible où je me suis logé. J’y suis arrivé à midi, et mon domestique arriva au commencement de la nuit. Il ne sut me dire rien de nouveau ; mais ce qui me plut fut qu’on n’en sut rien à Amsterdam que huit jours après. Cette affaire quoique simple aurait pu me faire du tort, car une réputation de bretteur ne vaut rien pour plaire aux négociants avec lesquels on est dans le moment de conclure des bonnes affaires.
Ma première visite fut à M. D. O. en apparence ; mais en substance ce fut Esther qui en reçut l’hommage. La façon dont je m’étais séparé d’elle m’avait rendu ardent. Son père n’y était pas ; je l’ai trouvée à une table où elle écrivait : elle s’amusait à un problème d’arithmétique ; je lui ai fait pour rire deux carrés magiques ; ils lui plurent ; elle me fit voir en revanche des bagatelles que je connaissais, et dont j’ai fait semblant de faire cas. Mon bon Génie me [fit venir dans l’esprit de lui faire la cabale.] » (Histoire de ma vie, II, p. 123-125)

Vol. IV, fol. 95v : Jeu de billard
Jeu de billard

Vol. III, fol. 390v : L'Évasion des Plombs de Venise

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Le jeu est un élément naturel chez le Vénitien, et à côté des nombreux jeux de cartes qu’il pratique, il manifeste ici, outre son goût du pari, sa connaissance du jeu de billard.

Transcription du texte :

« [Je l’ai laissée aussi à onze heures l’assurant que je la verrais] une autre fois avant mon départ. Une princesse de Galitzin née Cantimir m’avait invité à dîner.
Le lendemain j’ai reçu une lettre de Madame d’Urfé qui par une lettre de change sur Boaz m’envoyait 12 m., me disant très noblement que ses actions ne lui coûtant que 60 000 elle ne voulait pas y gagner. Ce présent de cinq cents louis me fit plaisir. Tout le reste de sa lettre était rempli de chimères : elle me disait que son Génie lui avait dit que j’allais retourner à Paris avec un jeune garçon né de l’accouplement philosophique, et qu’elle espérait que j’aurais pitié d’elle. Singulier hasard ! Je riais d’avance de l’effet que ferait dans son âme l’apparition du fils de Thérèse. Boaz me remercia de ce que je me suis contenté qu’il me paye ma lettre de change en ducats. L’or en Hollande est un article de marchandise. Les payements se font, ou en papier, ou en argent blanc. Dans ce moment-là personne ne voulait des ducats parce que l’agio était monté à cinq stübers.
Après avoir dîné avec la princesse Galitzin, je suis allé me mettre en redingote, et je suis allé au café pour lire des gazettes. J’ai vu V. D. R. qui allant commencer une partie de billard me dit à l’oreille que je pouvais parier pour lui. Cette marque d’amitié me fit plaisir. Je l’ai cru sûr de son fait, et j’ai commencé à parier ; mais à la troisième partie perdue, j’ai parié contre sans qu’il s’en aperçût. Trois heures après, il quitta perdant trente ou quarante parties, et croyant que j’eusse toujours parié pour lui il me fit compliment de condoléance. Je l’ai vu surpris quand lui montrant trente ou quarante ducats je lui ai dit me moquant un peu de la confiance qu’il avait dans son propre jeu, que je les avais gagnés pariant contre lui. Tout le billard se moqua de lui ; il n’entendait pas raillerie ; il fut fort ennuyé de mes plaisanteries ; il partit en colère, et un moment après je suis allé chez Thérèse parce que je le lui avais promis. Je devais partir le lendemain pour Amsterdam. Elle attendait V. D. R., mais elle ne l’attendit plus quand je lui ai dit comme, et pourquoi il était parti du billard en colère. Après avoir passé une heure avec Sophie entre mes bras, je l’ai laissée, l’assurant que nous nous reverrions dans trois ou quatre semaines. » 

Vol. III, fol. 390v : L'Évasion des Plombs de Venise
Jeu de billard (suite)

Vol. IV, fol. 95v : Jeu de billard

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« [Retournant tout seul chez Boaz, et ayant mon épée sous le bras je me vois attaqué au plus] beau clair de lune par V. D. R. Il se dit curieux de voir si mon épée piquait comme ma langue. Je tâche en vain de le calmer lui parlant raison, je diffère à dégainer, malgré qu’il eût l’épée nue à la main, je lui dis qu’il avait tort de prendre en si mauvaise part des badinages, je lui demande pardon, je lui offre de suspendre mon départ pour lui demander pardon au café. Point du tout, il veut me tuer, et pour me persuader à tirer mon épée il me donne un coup de plat. C’est le seul que j’ai reçu dans toute ma vie. Je tire enfin mon épée, et espérant encore de lui faire entendre raison je ferraille en reculant. Il prend cela pour de la peur, et il m’allonge un coup qui me fit dresser les cheveux. Il me perça la cravate à ma gauche, son épée passant outre ; quatre lignes plus en dedans il m’aurait égorgé. J’ai fait avec effroi un saut de côté, et déterminé à le tuer, je l’ai blessé à la poitrine ; et m’en sentant sûr je l’ai invité à finir. Me disant qu’il n’était pas encore mort, et poursuivant comme un furieux, je l’ai touché quatre fois de suite. A mon dernier coup il sauta en arrière me disant qu’il en avait assez, me priant seulement de m’en aller.
Je me suis réjoui lorsque en voulant essuyer mon épée, j’ai vu la pointe très peu teinte. Boaz n’était pas encore couché. Lorsqu’il eut entendu tout le fait, il me conseilla de partir d’abord pour Amsterdam malgré que je l’assurasse que les blessures n’étaient pas mortelles. Ma chaise étant chez le sellier, je suis parti dans une voiture de Boaz laissant l’ordre à mon domestique de partir le lendemain pour me porter mon équipage à Amsterdam à la Seconde Bible où je me suis logé. J’y suis arrivé à midi, et mon domestique arriva au commencement de la nuit. Il ne sut me dire rien de nouveau ; mais ce qui me plut fut qu’on n’en sut rien à Amsterdam que huit jours après. Cette affaire quoique simple aurait pu me faire du tort, car une réputation de bretteur ne vaut rien pour plaire aux négociants avec lesquels on est dans le moment de conclure des bonnes affaires.
Ma première visite fut à M. D. O. en apparence ; mais en substance ce fut Esther qui en reçut l’hommage. La façon dont je m’étais séparé d’elle m’avait rendu ardent. Son père n’y était pas ; je l’ai trouvée à une table où elle écrivait : elle s’amusait à un problème d’arithmétique ; je lui ai fait pour rire deux carrés magiques ; ils lui plurent ; elle me fit voir en revanche des bagatelles que je connaissais, et dont j’ai fait semblant de faire cas. Mon bon Génie me [fit venir dans l’esprit de lui faire la cabale.] » (Histoire de ma vie, II, p. 123-125)

Vol. IV, fol. 95v : Jeu de billard
« Le Roi est assassiné »

Vol. III, fol. 401v : « Le Roi est assassiné »

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Transcription du texte :

« Nous arrivâmes à Mestre. Je n’ai pas trouvé de chevaux à la poste ; mais il y avait à l’auberge de la Campana assez de voituriers qui servent aussi bien que la poste. Je suis entré dans l’écurie, et ayant vu que les chevaux étaient bons, j’ai accordé au voiturier ce qu’il me demanda pour être en cinq quarts d’heure à Treviso. En trois minutes les chevaux furent mis, et supposant le père Balbi derrière moi, je ne me suis tourné que pour lui dire montons ; mais je ne l’ai pas vu. Je le cherche des yeux ; je demande où il est ; on n’en sait rien. Je dis au garçon d’écurie d’aller le chercher, déterminé à le réprimander quand même il serait allé satisfaire à des nécessités naturelles ; car nous étions dans le cas de devoir différer cette besogne aussi. On vient me dire qu’on ne le trouve pas. J’étais comme un damné. Je pense à partir tout seul ; et je le devais ; mais j’écoute un sentiment faible de préférence à ma forte raison, et je cours dehors, je demande, toute le place me dit de l’avoir vu ; mais personne ne sait me dire où il peut être allé ; je parcours les arcades de la grande rue, je m’avise d’introduire ma tête dans un café, et je le vois au comptoir debout prenant du chocolat, et causant avec la servante. Il me voit, il me dit qu’elle est gentille, et il m’excite à prendre aussi une tasse de chocolat : il me dit de payer parce qu’il n’avait pas le sou. Je me possède, et je lui réponds que je n’en veux pas, lui disant de se dépêcher, et lui serrant le bras de façon qu’il a cru que je le lui avais cassé. J’ai payé ; il me suivit. Je tremblais de colère. Je m’achemine à la voiture qui m’attendait à la porte de l’auberge ; mais à peine fait dix pas, je rencontre un citoyen de Mestre nommé Balbo Tomasi, bon homme, mais qui avait la réputation d’être un confident du Tribunal des Inquisiteurs. Il me voit, il m’approche, et il s’écrie comment ici, Monsieur, je suis bien charmé de vous voir. Vous venez donc de vous sauver. Comment avez-vous fait ?
– Je ne me suis pas sauvé, Monsieur, mais on m’a donné mon congé.
– Cela n’est pas possible, car hier au soir j’étais à la maison Grimani à St Pole, et je l’aurais su.
Le lecteur peut se figurer l’état de mon âme dans ce moment-là […] » (Histoire de ma vie, I, p. 952-954)

Vol. III, fol. 401v : « Le Roi est assassiné »
« Me voilà de nouveau dans le grand Paris »

Vol. IV, fol. 7 : « Me voilà de nouveau dans le grand Paris »

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Transcription du texte :

Tome quatrième
Le ministre des Affaires étrangères ; M. de Boulogne contrôleur général ; M. le duc de Choiseul ; l’abbé de Laville ; M. Paris du Vernai. Mon frère arrive de Dresde, et est reçu à l’académie

« Me voilà de nouveau dans le grand Paris, et ne pouvant plus compter sur ma patrie, en devoir d’y faire fortune. J’y avais passé deux ans ; mais n’ayant dans ce temps-là autre objet que celui de jouir de la vie, je ne l’avais pas étudié. Cette seconde fois j’avais besoin de faire ma cour à ceux chez lesquels l’aveugle déesse logeait. Je voyais que pour parvenir à quelque chose, j’avais besoin de mettre en jeu toutes mes facultés physiques et morales, de faire connaissance avec des grands et des puissants, d’être le maître de mon esprit, et de prendre la couleur de tous ceux auxquels je verrais que mon intérêt exigeait que je plusse. Pour suivre ces maximes, j’ai vu que je devais me garder de tout ce qu’on appelle à Paris mauvaise compagnie, et renoncer à toutes mes anciennes habitudes, et à toutes sortes de prétentions qui auraient pu me faire des ennemis qui m’auraient facilement donné une réputation d’homme peu propre à des emplois solides. En conséquence de ces méditations je me suis proposé un système de réserve tant dans ma conduite que dans mes discours qui pût me faire croire propre à des affaires de conséquence plus même de ce que j’aurais pu m’imaginer d’être. Pour ce qui regardait le nécessaire à mon entretien, je pouvais compter sur cent écus par mois que M. sde Bragadin n’aurait jamais manqué [de me faire payer. C’était assez. Je n’avais besoin de penser qu’à me bien mettre, et à me loger honnêtement ; mais dans le commencement il me fallait une somme, car je n’avais ni habits, ni chemises.] » (Histoire de ma vie, II, p. 15-16)

Vol. IV, fol. 7 : « Me voilà de nouveau dans le grand Paris »
« Le Roi est assassiné »

Vol. III, fol. 401v : « Le Roi est assassiné »

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« Nous arrivâmes à Mestre. Je n’ai pas trouvé de chevaux à la poste ; mais il y avait à l’auberge de la Campana assez de voituriers qui servent aussi bien que la poste. Je suis entré dans l’écurie, et ayant vu que les chevaux étaient bons, j’ai accordé au voiturier ce qu’il me demanda pour être en cinq quarts d’heure à Treviso. En trois minutes les chevaux furent mis, et supposant le père Balbi derrière moi, je ne me suis tourné que pour lui dire montons ; mais je ne l’ai pas vu. Je le cherche des yeux ; je demande où il est ; on n’en sait rien. Je dis au garçon d’écurie d’aller le chercher, déterminé à le réprimander quand même il serait allé satisfaire à des nécessités naturelles ; car nous étions dans le cas de devoir différer cette besogne aussi. On vient me dire qu’on ne le trouve pas. J’étais comme un damné. Je pense à partir tout seul ; et je le devais ; mais j’écoute un sentiment faible de préférence à ma forte raison, et je cours dehors, je demande, toute le place me dit de l’avoir vu ; mais personne ne sait me dire où il peut être allé ; je parcours les arcades de la grande rue, je m’avise d’introduire ma tête dans un café, et je le vois au comptoir debout prenant du chocolat, et causant avec la servante. Il me voit, il me dit qu’elle est gentille, et il m’excite à prendre aussi une tasse de chocolat : il me dit de payer parce qu’il n’avait pas le sou. Je me possède, et je lui réponds que je n’en veux pas, lui disant de se dépêcher, et lui serrant le bras de façon qu’il a cru que je le lui avais cassé. J’ai payé ; il me suivit. Je tremblais de colère. Je m’achemine à la voiture qui m’attendait à la porte de l’auberge ; mais à peine fait dix pas, je rencontre un citoyen de Mestre nommé Balbo Tomasi, bon homme, mais qui avait la réputation d’être un confident du Tribunal des Inquisiteurs. Il me voit, il m’approche, et il s’écrie comment ici, Monsieur, je suis bien charmé de vous voir. Vous venez donc de vous sauver. Comment avez-vous fait ?
– Je ne me suis pas sauvé, Monsieur, mais on m’a donné mon congé.
– Cela n’est pas possible, car hier au soir j’étais à la maison Grimani à St Pole, et je l’aurais su.
Le lecteur peut se figurer l’état de mon âme dans ce moment-là […] » (Histoire de ma vie, I, p. 952-954)

Vol. III, fol. 401v : « Le Roi est assassiné »
« Me voilà de nouveau dans le grand Paris »

Vol. IV, fol. 7 : « Me voilà de nouveau dans le grand Paris »

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Transcription du texte :

Tome quatrième
Le ministre des Affaires étrangères ; M. de Boulogne contrôleur général ; M. le duc de Choiseul ; l’abbé de Laville ; M. Paris du Vernai. Mon frère arrive de Dresde, et est reçu à l’académie

« Me voilà de nouveau dans le grand Paris, et ne pouvant plus compter sur ma patrie, en devoir d’y faire fortune. J’y avais passé deux ans ; mais n’ayant dans ce temps-là autre objet que celui de jouir de la vie, je ne l’avais pas étudié. Cette seconde fois j’avais besoin de faire ma cour à ceux chez lesquels l’aveugle déesse logeait. Je voyais que pour parvenir à quelque chose, j’avais besoin de mettre en jeu toutes mes facultés physiques et morales, de faire connaissance avec des grands et des puissants, d’être le maître de mon esprit, et de prendre la couleur de tous ceux auxquels je verrais que mon intérêt exigeait que je plusse. Pour suivre ces maximes, j’ai vu que je devais me garder de tout ce qu’on appelle à Paris mauvaise compagnie, et renoncer à toutes mes anciennes habitudes, et à toutes sortes de prétentions qui auraient pu me faire des ennemis qui m’auraient facilement donné une réputation d’homme peu propre à des emplois solides. En conséquence de ces méditations je me suis proposé un système de réserve tant dans ma conduite que dans mes discours qui pût me faire croire propre à des affaires de conséquence plus même de ce que j’aurais pu m’imaginer d’être. Pour ce qui regardait le nécessaire à mon entretien, je pouvais compter sur cent écus par mois que M. sde Bragadin n’aurait jamais manqué [de me faire payer. C’était assez. Je n’avais besoin de penser qu’à me bien mettre, et à me loger honnêtement ; mais dans le commencement il me fallait une somme, car je n’avais ni habits, ni chemises.] » (Histoire de ma vie, II, p. 15-16)

Vol. IV, fol. 7 : « Me voilà de nouveau dans le grand Paris »
Un couplet de Crébillon fils

Vol. IV, fol. 134v : Un couplet de Crébillon fils

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Transcription du texte :

« [Peu de temps après, le pape étant mort on lui donna pour successeur le Vénitien Rezzonico qui créa d’abord cardinal mon protecteur de Bernis, que le Roi envoya en exil à Soissons deux jours après qu’il lui en donna le bonnet : ainsi me voilà] sans protecteur ; mais assez riche pour ne pas sentir ce malheur. Cet illustre abbé au faîte de la gloire pour avoir détruit tout ce que le cardinal de Richelieu avait fait, pour avoir su de concert avec le prince Kaunitz métamorphoser l’ancienne haine des maisons de Bourbon, et d’Autriche en une heureuse alliance délivrant par là l’Italie des misères de la guerre dont elle devenait le théâtre à toutes les ruptures qui arrivaient entre les deux maisons, ce qui lui mérita la première nomination au cardinalat d’un pape qui étant évêque de Padoue avait connu tout son mérite, ce noble abbé enfin qui mourut l’année passée à Rome particulièrement estimé de Pie VI fut renvoyé de la cour pour avoir dit au roi, qui lui avait demandé là dessus son avis, qu’il ne croyait pas que le prince de Soubise fût l’homme le plus propre à commander ses armées. D’abord que la Pompadour le sut du roi même, elle eut le pouvoir de le précipiter. Sa disgrâce déplut à tout le monde ; mais on s’en consola par des couplets. Nation singulière qui devient insensible à tous les malheurs d’abord que des vers qu’on dit – ou qu’on chante la font rire. On mettait dans mon temps à la Bastille les auteurs d’épigrammes, et de couplets qui frondaient le gouvernement et les ministres ; mais cela n’empêchait pas les beaux esprits de poursuivre à égayer les sociétés, car alors le terme club n’était pas connu, avec leurs satiriques plaisanteries. Un homme, dont j’ai oublié le nom, s’appropria dans ce temps-là les vers suivants, qui étaient de Crébillon le fils, et se laissa mettre à la Bastille plutôt que les désavouer. Ce même Crébillon dit à M. le duc de Choiseul qu’il avait fait ces mêmes vers ; mais qu’il se pouvait que le détenu les eût faits aussi. Ce bon mot de l’auteur du Sopha fit rire, et on ne lui fit rien.


Grand Dieu ! Tout a changé de face.Jupin opine du bonnet,Le Roi Vénus au conseil a pris place, La PompadourPlutus est devenu coquet,M. de BoulogneMercure endosse la cuirasse, Le Mar. de Richelieu Et Mars a le petit collet.
Le duc de Clermont,
abbé de St-Germain-des-Prés »

Vol. IV, fol. 134v : Un couplet de Crébillon fils
Rencontre avec Jean-Jacques Rousseau

Vol. IV, fol. 135 : Rencontre avec Jean-Jacques Rousseau

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Le récit de cette visite à Rousseau, en compagnie de la marquise d’Urfé, en 1758, tranche par sa brièveté, avec celui, si vivant, des rencontres avec Voltaire. Le mémorialiste se montre déconcerté par la personnalité de l’auteur des Confessions.

Transcription du texte :

« L’illustre cardinal de Bernis passa dix ans dans son exil procul negotiis, mais pas heureux, comme je l’ai su de lui-même quinze ans après à Rome. On prétend qu’on a plus de plaisir à être ministre qu’à être roi ; mais, caeteris paribus, je trouve que rien n’est plus fou que cette sentence si j’en fais, comme je dois, l’examen en moi-même. C’est mettre en question si l’indépendance soit, ou non, préférable à la dépendance. Le cardinal ne fut pas rappelé à la cour, car il n’y a pas d’exemple que Louis XV ait jamais rappelé un ministre remercié ; mais à la mort de Rezzonico il dut aller au conclave, et il resta tout le reste de sa vie à Rome en qualité de ministre de France.
Dans ces jours-là, madame d’Urfé ayant envie de connaître J.-J. Rousseau, nous sommes allés à Montmorenci lui faire une visite, lui portant de la musique qu’il copiait merveilleusement bien. On lui payait le double de l’argent qu’on aurait payé à un autre ; mais il se rendait garant qu’on n’y trouverait pas des fautes. Il vivait de cela.
Nous trouvâmes l’homme qui raisonnait juste, qui avait un maintien simple, et modeste ; mais qui ne se distinguait en rien ni par sa personne, ni par son esprit. Nous ne trouvâmes pas ce qu’on appelle un aimable homme. Il nous parut un peu impoli, et il n’a pas fallu davantage pour qu’il paraisse à madame d’Urfé malhonnête. Nous vîmes une femme, dont nous avions déjà entendu parler. Elle ne nous a qu’à peine regardés. Nous retournâmes à Paris riant de la singularité de ce philosophe. Mais voici l’exacte description de la visite que lui fit le prince de Conti père du prince qu’on appelait alors comte de la Marche.
Cet aimable prince va à Montmorenci tout seul exprès pour passer une agréable journée causant avec le philosophe qui était déjà célèbre. Il le trouve dans le parc, il l’aborde, et lui dit qu’il était allé dîner avec lui, et passer la journée causant en pleine liberté.
– Votre Altesse fera mauvaise [chère : je vais dire qu’on mette encore un couvert.
Il va ; il retourne, et après avoir passé deux ou trois heures se promenant avec le prince, il le mène au salon où ils devaient dîner. Le prince, voyant sur la table trois couverts, qui est donc, lui dit-il, le troisième avec lequel vous voulez me faire dîner ? J’ai cru que nous dînerions tête à tête.
– Ce troisième, monseigneur, est un autre moi-même. C’est un être qui n’est ni ma femme, ni ma maîtresse, ni ma servante, ni ma mère, ni ma fille ; et elle est tout cela.
– Je le crois, mon cher ami, mais n’étant venu ici que pour dîner avec vous, je compte de vous laisser dîner avec votre tout. Adieu.] » (Histoire de ma vie, II, p. 182-183)

Vol. IV, fol. 135 : Rencontre avec Jean-Jacques Rousseau
Un couplet de Crébillon fils

Vol. IV, fol. 134v : Un couplet de Crébillon fils

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Transcription du texte :

« [Peu de temps après, le pape étant mort on lui donna pour successeur le Vénitien Rezzonico qui créa d’abord cardinal mon protecteur de Bernis, que le Roi envoya en exil à Soissons deux jours après qu’il lui en donna le bonnet : ainsi me voilà] sans protecteur ; mais assez riche pour ne pas sentir ce malheur. Cet illustre abbé au faîte de la gloire pour avoir détruit tout ce que le cardinal de Richelieu avait fait, pour avoir su de concert avec le prince Kaunitz métamorphoser l’ancienne haine des maisons de Bourbon, et d’Autriche en une heureuse alliance délivrant par là l’Italie des misères de la guerre dont elle devenait le théâtre à toutes les ruptures qui arrivaient entre les deux maisons, ce qui lui mérita la première nomination au cardinalat d’un pape qui étant évêque de Padoue avait connu tout son mérite, ce noble abbé enfin qui mourut l’année passée à Rome particulièrement estimé de Pie VI fut renvoyé de la cour pour avoir dit au roi, qui lui avait demandé là dessus son avis, qu’il ne croyait pas que le prince de Soubise fût l’homme le plus propre à commander ses armées. D’abord que la Pompadour le sut du roi même, elle eut le pouvoir de le précipiter. Sa disgrâce déplut à tout le monde ; mais on s’en consola par des couplets. Nation singulière qui devient insensible à tous les malheurs d’abord que des vers qu’on dit – ou qu’on chante la font rire. On mettait dans mon temps à la Bastille les auteurs d’épigrammes, et de couplets qui frondaient le gouvernement et les ministres ; mais cela n’empêchait pas les beaux esprits de poursuivre à égayer les sociétés, car alors le terme club n’était pas connu, avec leurs satiriques plaisanteries. Un homme, dont j’ai oublié le nom, s’appropria dans ce temps-là les vers suivants, qui étaient de Crébillon le fils, et se laissa mettre à la Bastille plutôt que les désavouer. Ce même Crébillon dit à M. le duc de Choiseul qu’il avait fait ces mêmes vers ; mais qu’il se pouvait que le détenu les eût faits aussi. Ce bon mot de l’auteur du Sopha fit rire, et on ne lui fit rien.


Grand Dieu ! Tout a changé de face.Jupin opine du bonnet,Le Roi Vénus au conseil a pris place, La PompadourPlutus est devenu coquet,M. de BoulogneMercure endosse la cuirasse, Le Mar. de Richelieu Et Mars a le petit collet.
Le duc de Clermont,
abbé de St-Germain-des-Prés »

Vol. IV, fol. 134v : Un couplet de Crébillon fils
Rencontre avec Jean-Jacques Rousseau

Vol. IV, fol. 135 : Rencontre avec Jean-Jacques Rousseau

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Le récit de cette visite à Rousseau, en compagnie de la marquise d’Urfé, en 1758, tranche par sa brièveté, avec celui, si vivant, des rencontres avec Voltaire. Le mémorialiste se montre déconcerté par la personnalité de l’auteur des Confessions.

Transcription du texte :

« L’illustre cardinal de Bernis passa dix ans dans son exil procul negotiis, mais pas heureux, comme je l’ai su de lui-même quinze ans après à Rome. On prétend qu’on a plus de plaisir à être ministre qu’à être roi ; mais, caeteris paribus, je trouve que rien n’est plus fou que cette sentence si j’en fais, comme je dois, l’examen en moi-même. C’est mettre en question si l’indépendance soit, ou non, préférable à la dépendance. Le cardinal ne fut pas rappelé à la cour, car il n’y a pas d’exemple que Louis XV ait jamais rappelé un ministre remercié ; mais à la mort de Rezzonico il dut aller au conclave, et il resta tout le reste de sa vie à Rome en qualité de ministre de France.
Dans ces jours-là, madame d’Urfé ayant envie de connaître J.-J. Rousseau, nous sommes allés à Montmorenci lui faire une visite, lui portant de la musique qu’il copiait merveilleusement bien. On lui payait le double de l’argent qu’on aurait payé à un autre ; mais il se rendait garant qu’on n’y trouverait pas des fautes. Il vivait de cela.
Nous trouvâmes l’homme qui raisonnait juste, qui avait un maintien simple, et modeste ; mais qui ne se distinguait en rien ni par sa personne, ni par son esprit. Nous ne trouvâmes pas ce qu’on appelle un aimable homme. Il nous parut un peu impoli, et il n’a pas fallu davantage pour qu’il paraisse à madame d’Urfé malhonnête. Nous vîmes une femme, dont nous avions déjà entendu parler. Elle ne nous a qu’à peine regardés. Nous retournâmes à Paris riant de la singularité de ce philosophe. Mais voici l’exacte description de la visite que lui fit le prince de Conti père du prince qu’on appelait alors comte de la Marche.
Cet aimable prince va à Montmorenci tout seul exprès pour passer une agréable journée causant avec le philosophe qui était déjà célèbre. Il le trouve dans le parc, il l’aborde, et lui dit qu’il était allé dîner avec lui, et passer la journée causant en pleine liberté.
– Votre Altesse fera mauvaise [chère : je vais dire qu’on mette encore un couvert.
Il va ; il retourne, et après avoir passé deux ou trois heures se promenant avec le prince, il le mène au salon où ils devaient dîner. Le prince, voyant sur la table trois couverts, qui est donc, lui dit-il, le troisième avec lequel vous voulez me faire dîner ? J’ai cru que nous dînerions tête à tête.
– Ce troisième, monseigneur, est un autre moi-même. C’est un être qui n’est ni ma femme, ni ma maîtresse, ni ma servante, ni ma mère, ni ma fille ; et elle est tout cela.
– Je le crois, mon cher ami, mais n’étant venu ici que pour dîner avec vous, je compte de vous laisser dîner avec votre tout. Adieu.] » (Histoire de ma vie, II, p. 182-183)

Vol. IV, fol. 135 : Rencontre avec Jean-Jacques Rousseau
Festin chez l’électeur de Cologne

Vol. IV, fol. 190v : Festin chez l’électeur de Cologne

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Dès la préface d’Histoire de ma vie, Casanova dit aimer les mets aux hauts goûts. Ici, il rappelle le somptueux repas qu’il offre à Bryl, chez l’électeur de Cologne.

Transcription du texte :

« [L’heure du déjeuner était marquée à une heure, mais à midi, j’étais déjà à Bryl. C’est une maison de plaisance de l’Électeur, dont la beauté consiste dans le goût de l’ameublement. C’était une copie de Trianon. J’ai vu dans une grande salle une table pour vingt-quatre personnes ; les couverts de vermeil, les assiettes de porcelaine, et sur le buffet une grande quantité de vaisselle d’argent, et des grands plats de vermeil. Sur deux autres tables à l’autre bout de la salle j’ai vu des bouteilles remplies des vins les plus renommés de toute l’Europe, et des sucreries de toutes les espèces. Lorsque j’ai dit à l’officier que j’étais celui qui faisait les honneurs du déjeuner, il me dit que je me trouverais content, et qu’il était là depuis six heures du matin. Il me dit que l’ambigu en mangeailles ne serait que de vingt-quatre plats ; mais que j’aurais vingt-quatre plats d’huîtres d’Angleterre, et un dessert qui couvrirait toute la table. Voyant une grande quantité de domestiques, je lui ai dit qu’ils n’étaient pas nécessaires ; mais il me dit qu’ils l’étaient parce que les domestiques des convives n’entraient pas. Il me dit] de ne pas m’en mettre en peine car ils le savaient.
J’ai reçu tout mon monde à la portière des voitures n’ayant autre compliment à faire que celui de demander pardon de l’effronterie avec laquelle je m’étais procuré cet honneur. À une heure on servit, et j’ai vu la joie briller dans les beaux yeux de Mme X lorsqu’elle vit la même magnificence qu’aurait étalée l’Électeur. Elle n’ignorait pas qu’on savait que tout cela était fait pour elle ; mais elle était charmée de voir que je ne la distinguais pas des autres. Il y avait vingt-quatre couverts, et malgré que je n’eusse distribué que dix-huit billets les places étaient toutes occupées. Il y avait donc six personnes venues non invitées. Cela me fit plaisir. Je n’ai pas voulu m’asseoir : j’ai servi les dames sautant d’une à l’autre mangeant debout ce qu’elles me donnaient.
Les huîtres d’Angleterre ne finirent qu’à la vingtième bouteille de vins de Champagne. Le déjeuner commença que la compagnie était déjà grise. Ce déjeuner qui comme de raison n’était composé que d’entrées fut un dîner des plus fins. On ne but pas une seule goutte d’eau, car le Rhin, et le Tokai n’en souffrent point. Avant de servir le dessert on mit sur la table un énorme plat de truffes en ragoût. On le vida suivant mon conseil d’y boire par-dessus du marasquin. C’est comme de l’eau, dirent les dames, et elles en burent comme si ç’avait été de l’eau. Le dessert fut magnifique. Tous les portraits des souverains de l’Europe y étaient, on fit des compliments à l’officier qui était là qui, touché de vanité dit que tout cela résistait aux poches, et pour lors on empocha. Le général alors dit une grande bêtise qu’on siffla par une risée générale. Je suis sûr, dit-il, que c’est un tour que l’Électeur nous a joué : S. A. a voulu garder l’incognito, et M. Casanova a très bien servi le prince. Après la grande risée, qui m’a donné le temps de penser. Si l’Électeur, mon général, lui dis-je d’un air modeste, m’avait donné un pareil ordre, je l’aurais obéi ; mais il m’aurait humilié. S. A. voulut me faire une grâce beaucoup plus grande : et la voilà. » 

Vol. IV, fol. 190v : Festin chez l’électeur de Cologne
Festin chez l’électeur de Cologne (suite)

Vol. IV, fol. 191 : Festin chez l’électeur de Cologne

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Transcription du texte :

« En disant cela j’ai mis entre ses mains la tabatière, qui fit deux, ou trois fois le tour de la table. On se leva, et on fut étonné d’avoir passé à table trois heures. Après tous les compliments de saison la belle compagnie partit pour Cologne pour y arriver encore à temps d’aller à la comédie. Très content de cette belle fête, j’ai laissé au brave traiteur vingt ducats pour les domestiques. Il me pria de marquer par lettre ma satisfaction au comte Verità.
Je suis arrivé à Cologne à temps d’aller à la petite pièce. N’ayant point de voiture je suis allé à la salle en chaise à porteurs. Voyant Mme X avec M. de Lastic, je suis allé dans sa loge. Elle me dit d’abord d’un air triste que le Général s’était trouvé si malade qu’il avait dû aller se coucher. Un moment après M. de Lastic nous laissa seuls, et pour lors la charmante femme me fit des compliments qui valaient cent de mes déjeuners. Elle me dit que le général avait trop bu du Tokai, et que c’était un vilain cochon qui avait dit qu’on savait qui j’étais, et qu’il ne me convenait pas de me traiter en prince. Elle lui avait répondu qu’au contraire je les avais traités comme des princes en très humble serviteur. Là-dessus il l’avait insultée.
– Envoyez-le à tous les diables, lui dis-je.
– C’est trop tard. Une femme que vous ne connaissez pas s’en emparerait : je dissimulerais ; mais cela ne me ferait pas plaisir.
– J’entends cela très bien. Que ne suis-je un grand prince ! En attendant je dois vous dire que je suis beaucoup plus malade que Kettler. Je suis à l’extrémité.
– Vous badinez, je crois.
– Je vous parle sérieusement. Les baisers au bal de l’Électeur me firent goûter un nectar d’une étrange espèce. Si vous n’avez pitié de moi je partirai d’ici malheureux pour tout le reste de mes jours.
– Différez votre départ. Laissez Stuttgart. Je pense à vous ; et ce n’est pas ma faute. Croyez que je ne pense pas à vous tromper.
– Ce soir même par exemple, si vous n’aviez pas la voiture du général, et si j’avais la mienne, je pourrais vous conduire chez vous en tout honneur. » (Histoire de ma vie, II, p. 260-26)

Vol. IV, fol. 191 : Festin chez l’électeur de Cologne
Festin chez l’électeur de Cologne

Vol. IV, fol. 190v : Festin chez l’électeur de Cologne

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Dès la préface d’Histoire de ma vie, Casanova dit aimer les mets aux hauts goûts. Ici, il rappelle le somptueux repas qu’il offre à Bryl, chez l’électeur de Cologne.

Transcription du texte :

« [L’heure du déjeuner était marquée à une heure, mais à midi, j’étais déjà à Bryl. C’est une maison de plaisance de l’Électeur, dont la beauté consiste dans le goût de l’ameublement. C’était une copie de Trianon. J’ai vu dans une grande salle une table pour vingt-quatre personnes ; les couverts de vermeil, les assiettes de porcelaine, et sur le buffet une grande quantité de vaisselle d’argent, et des grands plats de vermeil. Sur deux autres tables à l’autre bout de la salle j’ai vu des bouteilles remplies des vins les plus renommés de toute l’Europe, et des sucreries de toutes les espèces. Lorsque j’ai dit à l’officier que j’étais celui qui faisait les honneurs du déjeuner, il me dit que je me trouverais content, et qu’il était là depuis six heures du matin. Il me dit que l’ambigu en mangeailles ne serait que de vingt-quatre plats ; mais que j’aurais vingt-quatre plats d’huîtres d’Angleterre, et un dessert qui couvrirait toute la table. Voyant une grande quantité de domestiques, je lui ai dit qu’ils n’étaient pas nécessaires ; mais il me dit qu’ils l’étaient parce que les domestiques des convives n’entraient pas. Il me dit] de ne pas m’en mettre en peine car ils le savaient.
J’ai reçu tout mon monde à la portière des voitures n’ayant autre compliment à faire que celui de demander pardon de l’effronterie avec laquelle je m’étais procuré cet honneur. À une heure on servit, et j’ai vu la joie briller dans les beaux yeux de Mme X lorsqu’elle vit la même magnificence qu’aurait étalée l’Électeur. Elle n’ignorait pas qu’on savait que tout cela était fait pour elle ; mais elle était charmée de voir que je ne la distinguais pas des autres. Il y avait vingt-quatre couverts, et malgré que je n’eusse distribué que dix-huit billets les places étaient toutes occupées. Il y avait donc six personnes venues non invitées. Cela me fit plaisir. Je n’ai pas voulu m’asseoir : j’ai servi les dames sautant d’une à l’autre mangeant debout ce qu’elles me donnaient.
Les huîtres d’Angleterre ne finirent qu’à la vingtième bouteille de vins de Champagne. Le déjeuner commença que la compagnie était déjà grise. Ce déjeuner qui comme de raison n’était composé que d’entrées fut un dîner des plus fins. On ne but pas une seule goutte d’eau, car le Rhin, et le Tokai n’en souffrent point. Avant de servir le dessert on mit sur la table un énorme plat de truffes en ragoût. On le vida suivant mon conseil d’y boire par-dessus du marasquin. C’est comme de l’eau, dirent les dames, et elles en burent comme si ç’avait été de l’eau. Le dessert fut magnifique. Tous les portraits des souverains de l’Europe y étaient, on fit des compliments à l’officier qui était là qui, touché de vanité dit que tout cela résistait aux poches, et pour lors on empocha. Le général alors dit une grande bêtise qu’on siffla par une risée générale. Je suis sûr, dit-il, que c’est un tour que l’Électeur nous a joué : S. A. a voulu garder l’incognito, et M. Casanova a très bien servi le prince. Après la grande risée, qui m’a donné le temps de penser. Si l’Électeur, mon général, lui dis-je d’un air modeste, m’avait donné un pareil ordre, je l’aurais obéi ; mais il m’aurait humilié. S. A. voulut me faire une grâce beaucoup plus grande : et la voilà. » 

Vol. IV, fol. 190v : Festin chez l’électeur de Cologne
Festin chez l’électeur de Cologne (suite)

Vol. IV, fol. 191 : Festin chez l’électeur de Cologne

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Transcription du texte :

« En disant cela j’ai mis entre ses mains la tabatière, qui fit deux, ou trois fois le tour de la table. On se leva, et on fut étonné d’avoir passé à table trois heures. Après tous les compliments de saison la belle compagnie partit pour Cologne pour y arriver encore à temps d’aller à la comédie. Très content de cette belle fête, j’ai laissé au brave traiteur vingt ducats pour les domestiques. Il me pria de marquer par lettre ma satisfaction au comte Verità.
Je suis arrivé à Cologne à temps d’aller à la petite pièce. N’ayant point de voiture je suis allé à la salle en chaise à porteurs. Voyant Mme X avec M. de Lastic, je suis allé dans sa loge. Elle me dit d’abord d’un air triste que le Général s’était trouvé si malade qu’il avait dû aller se coucher. Un moment après M. de Lastic nous laissa seuls, et pour lors la charmante femme me fit des compliments qui valaient cent de mes déjeuners. Elle me dit que le général avait trop bu du Tokai, et que c’était un vilain cochon qui avait dit qu’on savait qui j’étais, et qu’il ne me convenait pas de me traiter en prince. Elle lui avait répondu qu’au contraire je les avais traités comme des princes en très humble serviteur. Là-dessus il l’avait insultée.
– Envoyez-le à tous les diables, lui dis-je.
– C’est trop tard. Une femme que vous ne connaissez pas s’en emparerait : je dissimulerais ; mais cela ne me ferait pas plaisir.
– J’entends cela très bien. Que ne suis-je un grand prince ! En attendant je dois vous dire que je suis beaucoup plus malade que Kettler. Je suis à l’extrémité.
– Vous badinez, je crois.
– Je vous parle sérieusement. Les baisers au bal de l’Électeur me firent goûter un nectar d’une étrange espèce. Si vous n’avez pitié de moi je partirai d’ici malheureux pour tout le reste de mes jours.
– Différez votre départ. Laissez Stuttgart. Je pense à vous ; et ce n’est pas ma faute. Croyez que je ne pense pas à vous tromper.
– Ce soir même par exemple, si vous n’aviez pas la voiture du général, et si j’avais la mienne, je pourrais vous conduire chez vous en tout honneur. » (Histoire de ma vie, II, p. 260-26)

Vol. IV, fol. 191 : Festin chez l’électeur de Cologne
Entretien de Casanova avec Voltaire

Vol. V, fol. 105v : Entretien avec Voltaire

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Casanova multiplie les rencontres avec les célébrités. Au début de juillet 1760, il rencontre Voltaire à plusieurs reprises. Les entretiens commencent par un festival où les deux hommes rivalisent de brio, pour se terminer en désaccord. Casanova consigne aussitôt dans ses capitulaires le récit de ses visites, remarquable témoignage de la vie aux Délices, des dîners aux parties de trictrac avec le Père Adam ou aux propos de Voltaire, de Mme Denis, ou de visiteurs.

Transcription du texte :

« [Voltaire] Quel est le poète italien que vous aimez le plus ?
L’Arioste ; et je ne peux pas dire que je l’aime plus que les autres, car je n’aime que lui. Je les ai cependant lus tous. Quand j’ai lu, il y quinze ans, le mal que vous en dites, j’ai d’abord dit que vous vous rétracteriez quand vous l’auriez lu. […]
Ce fut dans ce moment-là que Voltaire m’étonna.
Il me récita par cœur les deux grands morceaux du trente-quatrième et du trente-cinquième chant de ce divin poète, où il parle de la conversation qu’Astolphe eut avec l’apôtre St Jean, sans jamais manquer un vers, sans prononcer un seul mot qui ne fût très exact en prosodie ; il m’en releva les beautés avec des réflexions de véritable grand homme. On n’aurait pu s’attendre à quelque chose davantage du plus sublime de tous les glossateurs italiens. Je l’ai écouté sans respirer, sans clignoter une seule fois, désirant en vain de le trouver en faute ; j’ai dit me tournant à la compagnie que j’étais excédé de surprise, et que j’informerai toute l’Italie de ma juste merveille.
Toute l’Europe, me dit-il, sera informée de moi-même de la très humble réparation que je dois au plus grand génie qu’elle ait produit.
Insatiable d’éloge, il me donna le lendemain sa traduction de la stance de l’Arioste Quindi avvien che tra principi, e signori.
La voici :
Les papes, les césars apaisant leur querelle
Jurent sur l’Évangile une paix éternelle ;
Vous les voyez demain l’un de l’autre ennemis ;
C’était pour se tromper qu’ils s’étaient réunis :
Nul serment n’est gardé, nul accord n’est sincère ;
Quand la bouche a parlé, le cœur dit le contraire.
Du ciel qu’ils attestaient ils bravaient le courroux,
L’intérêt est le dieu qui les gouverne tous. 

À la fin du récit qui attira à M. de Voltaire les applaudissements de tous les assistants, malgré qu’aucun d’eux n’entendît l’italien, madame Denis sa nièce me demanda si je croyais que le grand morceau que son oncle avait déclamé fût un des plus beaux du grand poète.
– Oui madame ; mais non pas le plus beau.
– On a donc prononcé sur le plus beau ?
– Il fallait bien : sans cela on n’aurait pas fait l’apothéose du seigneur Lodovico.
– On l’a donc sanctifié : je ne le savais pas.
Tous les rieurs alors, Voltaire le premier, furent pour madame Denis, moi excepté, qui gardais le plus grand sérieux. Voltaire, piqué de mon sérieux, je sais, me dit-il pourquoi vous ne riez pas. Vous prétendez que ce soit en force d’un morceau plus qu’humain qu’on l’a appelé divin.
– Précisément.
– Quel est-il donc ?
– Les trente-six stances dernières du vingt-troisième chant, qui font la description mécanique de la façon dont Roland devint fou. Depuis que le monde existe, personne n’a su comment on devient fou, l’Arioste excepté, qui a pu l’écrire, et qui vers la fin de sa vie devint fou aussi. Ces stances, je suis sûr, vous ont fait trembler : elles font horreur.
– Je m’en souviens : elles font devenir l’amour épouvantable. Il me tarde de les relire.
– Monsieur aura peut-être la complaisance de nous les réciter, dit madame Denis donnant un fin coup d’œil à son oncle.
– Pourquoi non ? madame, si vous avez la bonté de m’écouter.
– Vous vous êtes donc donné la peine de les apprendre par cœur ?
– Ayant lu l’Arioste deux ou trois fois par an depuis l’âge de quinze ans, il s’est placé tout dans ma mémoire sans que je me donne la moindre peine, et pour ainsi dire malgré moi, ses [généalogies exceptées, et ses tirades historiques, qui fatiguent l’esprit sans intéresser le cœur. Le seul Horace m’est resté tout dans l’âme sans rien excepter, malgré les vers souvent trop prosaïques de ses Épîtres.
– Passe pour Horace, ajouta Voltaire ; mais pour l’Arioste c’est beaucoup, car il s’agit de quarante-six grands chants.
– Dites cinquante un.
Voltaire devint muet.] »

Histoire de ma vie, II, p. 401-405.

Vol. V, fol. 105v : Entretien avec Voltaire
Entretien avec Voltaire (suite)

Vol. V, fol. 106 : Entretien avec Voltaire

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Transcription du texte :

« À la fin du récit qui attira à M. de Voltaire les applaudissements de tous les assistants, malgré qu’aucun d’eux n’entendît l’italien, madame Denis sa nièce me demanda si je croyais que le grand morceau que son oncle avait déclamé fût un des plus beaux du grand poète.
– Oui madame ; mais non pas le plus beau.
– On a donc prononcé sur le plus beau ?
– Il fallait bien : sans cela on n’aurait pas fait l’apothéose du seigneur Lodovico.
– On l’a donc sanctifié : je ne le savais pas.
Tous les rieurs alors, Voltaire le premier, furent pour madame Denis, moi excepté, qui gardais le plus grand sérieux. Voltaire, piqué de mon sérieux, je sais, me dit-il pourquoi vous ne riez pas. Vous prétendez que ce soit en force d’un morceau plus qu’humain qu’on l’a appelé divin.
– Précisément.
– Quel est-il donc ?
– Les trente-six stances dernières du vingt-troisième chant, qui font la description mécanique de la façon dont Roland devint fou. Depuis que le monde existe, personne n’a su comment on devient fou, l’Arioste excepté, qui a pu l’écrire, et qui vers la fin de sa vie devint fou aussi. Ces stances, je suis sûr, vous ont fait trembler : elles font horreur.
– Je m’en souviens : elles font devenir l’amour épouvantable. Il me tarde de les relire.
– Monsieur aura peut-être la complaisance de nous les réciter, dit madame Denis donnant un fin coup d’œil à son oncle.
– Pourquoi non ? madame, si vous avez la bonté de m’écouter.
– Vous vous êtes donc donné la peine de les apprendre par cœur ?
– Ayant lu l’Arioste deux ou trois fois par an depuis l’âge de quinze ans, il s’est placé tout dans ma mémoire sans que je me donne la moindre peine, et pour ainsi dire malgré moi, ses [généalogies exceptées, et ses tirades historiques, qui fatiguent l’esprit sans intéresser le cœur. Le seul Horace m’est resté tout dans l’âme sans rien excepter, malgré les vers souvent trop prosaïques de ses Épîtres.
– Passe pour Horace, ajouta Voltaire ; mais pour l’Arioste c’est beaucoup, car il s’agit de quarante-six grands chants.
– Dites cinquante un.
Voltaire devint muet.] » (Histoire de ma vie, II, p. 401-405)

Vol. V, fol. 106 : Entretien avec Voltaire
Entretien de Casanova avec Voltaire

Vol. V, fol. 105v : Entretien avec Voltaire

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Casanova multiplie les rencontres avec les célébrités. Au début de juillet 1760, il rencontre Voltaire à plusieurs reprises. Les entretiens commencent par un festival où les deux hommes rivalisent de brio, pour se terminer en désaccord. Casanova consigne aussitôt dans ses capitulaires le récit de ses visites, remarquable témoignage de la vie aux Délices, des dîners aux parties de trictrac avec le Père Adam ou aux propos de Voltaire, de Mme Denis, ou de visiteurs.

Transcription du texte :

« [Voltaire] Quel est le poète italien que vous aimez le plus ?
L’Arioste ; et je ne peux pas dire que je l’aime plus que les autres, car je n’aime que lui. Je les ai cependant lus tous. Quand j’ai lu, il y quinze ans, le mal que vous en dites, j’ai d’abord dit que vous vous rétracteriez quand vous l’auriez lu. […]
Ce fut dans ce moment-là que Voltaire m’étonna.
Il me récita par cœur les deux grands morceaux du trente-quatrième et du trente-cinquième chant de ce divin poète, où il parle de la conversation qu’Astolphe eut avec l’apôtre St Jean, sans jamais manquer un vers, sans prononcer un seul mot qui ne fût très exact en prosodie ; il m’en releva les beautés avec des réflexions de véritable grand homme. On n’aurait pu s’attendre à quelque chose davantage du plus sublime de tous les glossateurs italiens. Je l’ai écouté sans respirer, sans clignoter une seule fois, désirant en vain de le trouver en faute ; j’ai dit me tournant à la compagnie que j’étais excédé de surprise, et que j’informerai toute l’Italie de ma juste merveille.
Toute l’Europe, me dit-il, sera informée de moi-même de la très humble réparation que je dois au plus grand génie qu’elle ait produit.
Insatiable d’éloge, il me donna le lendemain sa traduction de la stance de l’Arioste Quindi avvien che tra principi, e signori.
La voici :
Les papes, les césars apaisant leur querelle
Jurent sur l’Évangile une paix éternelle ;
Vous les voyez demain l’un de l’autre ennemis ;
C’était pour se tromper qu’ils s’étaient réunis :
Nul serment n’est gardé, nul accord n’est sincère ;
Quand la bouche a parlé, le cœur dit le contraire.
Du ciel qu’ils attestaient ils bravaient le courroux,
L’intérêt est le dieu qui les gouverne tous. 

À la fin du récit qui attira à M. de Voltaire les applaudissements de tous les assistants, malgré qu’aucun d’eux n’entendît l’italien, madame Denis sa nièce me demanda si je croyais que le grand morceau que son oncle avait déclamé fût un des plus beaux du grand poète.
– Oui madame ; mais non pas le plus beau.
– On a donc prononcé sur le plus beau ?
– Il fallait bien : sans cela on n’aurait pas fait l’apothéose du seigneur Lodovico.
– On l’a donc sanctifié : je ne le savais pas.
Tous les rieurs alors, Voltaire le premier, furent pour madame Denis, moi excepté, qui gardais le plus grand sérieux. Voltaire, piqué de mon sérieux, je sais, me dit-il pourquoi vous ne riez pas. Vous prétendez que ce soit en force d’un morceau plus qu’humain qu’on l’a appelé divin.
– Précisément.
– Quel est-il donc ?
– Les trente-six stances dernières du vingt-troisième chant, qui font la description mécanique de la façon dont Roland devint fou. Depuis que le monde existe, personne n’a su comment on devient fou, l’Arioste excepté, qui a pu l’écrire, et qui vers la fin de sa vie devint fou aussi. Ces stances, je suis sûr, vous ont fait trembler : elles font horreur.
– Je m’en souviens : elles font devenir l’amour épouvantable. Il me tarde de les relire.
– Monsieur aura peut-être la complaisance de nous les réciter, dit madame Denis donnant un fin coup d’œil à son oncle.
– Pourquoi non ? madame, si vous avez la bonté de m’écouter.
– Vous vous êtes donc donné la peine de les apprendre par cœur ?
– Ayant lu l’Arioste deux ou trois fois par an depuis l’âge de quinze ans, il s’est placé tout dans ma mémoire sans que je me donne la moindre peine, et pour ainsi dire malgré moi, ses [généalogies exceptées, et ses tirades historiques, qui fatiguent l’esprit sans intéresser le cœur. Le seul Horace m’est resté tout dans l’âme sans rien excepter, malgré les vers souvent trop prosaïques de ses Épîtres.
– Passe pour Horace, ajouta Voltaire ; mais pour l’Arioste c’est beaucoup, car il s’agit de quarante-six grands chants.
– Dites cinquante un.
Voltaire devint muet.] »

Histoire de ma vie, II, p. 401-405.

Vol. V, fol. 105v : Entretien avec Voltaire
Entretien avec Voltaire (suite)

Vol. V, fol. 106 : Entretien avec Voltaire

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« À la fin du récit qui attira à M. de Voltaire les applaudissements de tous les assistants, malgré qu’aucun d’eux n’entendît l’italien, madame Denis sa nièce me demanda si je croyais que le grand morceau que son oncle avait déclamé fût un des plus beaux du grand poète.
– Oui madame ; mais non pas le plus beau.
– On a donc prononcé sur le plus beau ?
– Il fallait bien : sans cela on n’aurait pas fait l’apothéose du seigneur Lodovico.
– On l’a donc sanctifié : je ne le savais pas.
Tous les rieurs alors, Voltaire le premier, furent pour madame Denis, moi excepté, qui gardais le plus grand sérieux. Voltaire, piqué de mon sérieux, je sais, me dit-il pourquoi vous ne riez pas. Vous prétendez que ce soit en force d’un morceau plus qu’humain qu’on l’a appelé divin.
– Précisément.
– Quel est-il donc ?
– Les trente-six stances dernières du vingt-troisième chant, qui font la description mécanique de la façon dont Roland devint fou. Depuis que le monde existe, personne n’a su comment on devient fou, l’Arioste excepté, qui a pu l’écrire, et qui vers la fin de sa vie devint fou aussi. Ces stances, je suis sûr, vous ont fait trembler : elles font horreur.
– Je m’en souviens : elles font devenir l’amour épouvantable. Il me tarde de les relire.
– Monsieur aura peut-être la complaisance de nous les réciter, dit madame Denis donnant un fin coup d’œil à son oncle.
– Pourquoi non ? madame, si vous avez la bonté de m’écouter.
– Vous vous êtes donc donné la peine de les apprendre par cœur ?
– Ayant lu l’Arioste deux ou trois fois par an depuis l’âge de quinze ans, il s’est placé tout dans ma mémoire sans que je me donne la moindre peine, et pour ainsi dire malgré moi, ses [généalogies exceptées, et ses tirades historiques, qui fatiguent l’esprit sans intéresser le cœur. Le seul Horace m’est resté tout dans l’âme sans rien excepter, malgré les vers souvent trop prosaïques de ses Épîtres.
– Passe pour Horace, ajouta Voltaire ; mais pour l’Arioste c’est beaucoup, car il s’agit de quarante-six grands chants.
– Dites cinquante un.
Voltaire devint muet.] » (Histoire de ma vie, II, p. 401-405)

Vol. V, fol. 106 : Entretien avec Voltaire
Le goût du jeu

Vol. VII, fol. 57v : Le goût du jeu

Plus de détails sur la page

En dépit des interdits qui pèsent, notamment en France, Casanova connaît de nombreux jeux : s’il a une prédilection pour le jeu de pharaon, et pour le biribi, on le voit pratiquer toutes sortes de jeux, tout au long des pages d’Histoire de ma vie : bassette, brelan, comète, ombre, martingale, passe-dix, piquet, trente-quarante, billard, échecs… n’hésitant pas, s’il le faut, à « corriger la fortune ».
Dans la Confutazione della Storia del Governo veneto, d’Amelot de La Houssaie, il se fait un historien longtemps inégalé des jeux de cartes.

Transcription du texte :

« [Les demoiselles furent plus lentes à s’habiller à cause de leur coiffure. […] Elles ouvrirent à la fin la porte et nous vîmes tout ce qu’une charmante fille pouvait étaler pour intéresser et malgré cela très décemment. J’ai admiré l’adresse de Zenobia à les habiller. Les soutanes déchirées montraient leurs] jambes dont on voyait la blancheur par les gros trous des bas, les chemises déchirées à propos sous une ouverture de la robe mal recousue laissaient voir des petits morceaux de leurs beaux seins. Mais les cheveux jusqu’au bas faisaient triompher Mademoiselle Q...
Je leur ai appris comme elles devaient marcher, comment elles devaient tenir la tête pour mouvoir à pitié, et comment elles devaient tenir leurs fins mouchoirs pour faire voir leur misère dans les trous qu’ils avaient. Enchantées, hors d’elles-mêmes il leur tardait d’être au bals ; mais j’ai voulu y aller avant elles pour jouir du plaisir de les voir entrer. J’ai mis vite mon masque de Pierrot, ayant dit à Zenobie d’aller se coucher, puisque nous ne rentrerions qu’à la pointe du jour.
J’entre au bal, et comme il y avait plus de vingt Pierrots, personne ne me regarde. Cinq minutes après je vois tout le monde qui accourt pour voir des masques qui arrivaient, et je me mets à la place, où j’étais sûr de les bien voir. Le marquis était entre les cousines. Leur marche lente, et piteuse intéressait. Mlle Q... avec sa robe satin couleur de feu toute en lambeaux, et ses cheveux qui la couvraient toute imposait silence. La foule n’a commencé à parler qu’un quart d’heure après. Quelle mascarade ! Quelle mascarade ! Qui sont-elles, qui sont-ils ? Je n’en sais rien. Je le saurai. Ce qui me comblait de joie était leur allure. L’orchestre sonne.
Trois masques en domino se présentent à mes gueuses pour les inviter à danser un menuet ; mais leur faisant leurs souliers déchirés, elles s’en dispensent. Ce trait-là m’a beaucoup plu. »

Vol. VII, fol. 57v : Le goût du jeu
Le goût du jeu (suite)

Vol. VII, fol. 58 : Le goût du jeu

Plus de détails sur la page

« [Après les avoir suivis par tout le bal pour] plus d’une heure, et m’être réjoui de la réussite de ma mascarade, et assuré que la curiosité deviendrait toujours plus grande, je suis allé voir Carcano qui avait un gros jeu. Un masque en baüte, et en manteau dans le costume vénitien pontait à une seule carte, et mettait cinquante cequins paroli, et paix de paroli à ma guise, et perdait trois cents, le masque était de ma taille, et on disait que c’était moi. Carcano disait que non. Je mets trois ou quatre cequins sur une carte pour avoir le droit de rester là, et dans la taille suivante le masque vénitien met cinquante cequins sur une carte, trouve le paroli, et la paix, et il retire tout l’or qu’il avait perdu qui était là en six tas.
La taille ensuite il a le même bonheur, il se fait payer, et il s’en va. La chaise restant vide, je la prends, et j’entends une dame me nommer, et dire que j’étais dans la salle du bal, habillé en gueux avec quatre autres masques que personne ne connaissait. Comment en gueux ? dit Carcano.
– En gueux ; tout déchiré, en lambeau, et malgré cela magnifique, et en même temps comique. Ils demandent tous les cinq l’aumône.
– On devrait les chasser du bal. Je commence à mettre des cequins sur une carte prise au hasard sans compter, et je perds cinq ou six cartes de suite ; en moins d’une heure, je perds cinq cents cequins. Carcano m’étudiait, tout le monde disait que ce n’était pas moi, parce que j’étais vêtu en gueux au bal. Dans trois tailles heureuses je gagne tout ce que j’avais perdu, et je poursuis avec tout ce tas d’or devant moi. Je mets une bonne poignée de cequins : je gagne la carte, je fais paroli, je gagne, je mets à la paix, et je ne vais pas en avant, car la banque était aux abois. Il me paye ; et il fait demander au caissier mille cequins ; pendant qu’il mêle, j’entends dire voilà les gueux, voilà les gueux. » (Histoire de ma vie, II, p. 857-858)

Vol. VII, fol. 58 : Le goût du jeu
Le goût du jeu

Vol. VII, fol. 57v : Le goût du jeu

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En dépit des interdits qui pèsent, notamment en France, Casanova connaît de nombreux jeux : s’il a une prédilection pour le jeu de pharaon, et pour le biribi, on le voit pratiquer toutes sortes de jeux, tout au long des pages d’Histoire de ma vie : bassette, brelan, comète, ombre, martingale, passe-dix, piquet, trente-quarante, billard, échecs… n’hésitant pas, s’il le faut, à « corriger la fortune ».
Dans la Confutazione della Storia del Governo veneto, d’Amelot de La Houssaie, il se fait un historien longtemps inégalé des jeux de cartes.

Transcription du texte :

« [Les demoiselles furent plus lentes à s’habiller à cause de leur coiffure. […] Elles ouvrirent à la fin la porte et nous vîmes tout ce qu’une charmante fille pouvait étaler pour intéresser et malgré cela très décemment. J’ai admiré l’adresse de Zenobia à les habiller. Les soutanes déchirées montraient leurs] jambes dont on voyait la blancheur par les gros trous des bas, les chemises déchirées à propos sous une ouverture de la robe mal recousue laissaient voir des petits morceaux de leurs beaux seins. Mais les cheveux jusqu’au bas faisaient triompher Mademoiselle Q...
Je leur ai appris comme elles devaient marcher, comment elles devaient tenir la tête pour mouvoir à pitié, et comment elles devaient tenir leurs fins mouchoirs pour faire voir leur misère dans les trous qu’ils avaient. Enchantées, hors d’elles-mêmes il leur tardait d’être au bals ; mais j’ai voulu y aller avant elles pour jouir du plaisir de les voir entrer. J’ai mis vite mon masque de Pierrot, ayant dit à Zenobie d’aller se coucher, puisque nous ne rentrerions qu’à la pointe du jour.
J’entre au bal, et comme il y avait plus de vingt Pierrots, personne ne me regarde. Cinq minutes après je vois tout le monde qui accourt pour voir des masques qui arrivaient, et je me mets à la place, où j’étais sûr de les bien voir. Le marquis était entre les cousines. Leur marche lente, et piteuse intéressait. Mlle Q... avec sa robe satin couleur de feu toute en lambeaux, et ses cheveux qui la couvraient toute imposait silence. La foule n’a commencé à parler qu’un quart d’heure après. Quelle mascarade ! Quelle mascarade ! Qui sont-elles, qui sont-ils ? Je n’en sais rien. Je le saurai. Ce qui me comblait de joie était leur allure. L’orchestre sonne.
Trois masques en domino se présentent à mes gueuses pour les inviter à danser un menuet ; mais leur faisant leurs souliers déchirés, elles s’en dispensent. Ce trait-là m’a beaucoup plu. »

Vol. VII, fol. 57v : Le goût du jeu
Le goût du jeu (suite)

Vol. VII, fol. 58 : Le goût du jeu

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« [Après les avoir suivis par tout le bal pour] plus d’une heure, et m’être réjoui de la réussite de ma mascarade, et assuré que la curiosité deviendrait toujours plus grande, je suis allé voir Carcano qui avait un gros jeu. Un masque en baüte, et en manteau dans le costume vénitien pontait à une seule carte, et mettait cinquante cequins paroli, et paix de paroli à ma guise, et perdait trois cents, le masque était de ma taille, et on disait que c’était moi. Carcano disait que non. Je mets trois ou quatre cequins sur une carte pour avoir le droit de rester là, et dans la taille suivante le masque vénitien met cinquante cequins sur une carte, trouve le paroli, et la paix, et il retire tout l’or qu’il avait perdu qui était là en six tas.
La taille ensuite il a le même bonheur, il se fait payer, et il s’en va. La chaise restant vide, je la prends, et j’entends une dame me nommer, et dire que j’étais dans la salle du bal, habillé en gueux avec quatre autres masques que personne ne connaissait. Comment en gueux ? dit Carcano.
– En gueux ; tout déchiré, en lambeau, et malgré cela magnifique, et en même temps comique. Ils demandent tous les cinq l’aumône.
– On devrait les chasser du bal. Je commence à mettre des cequins sur une carte prise au hasard sans compter, et je perds cinq ou six cartes de suite ; en moins d’une heure, je perds cinq cents cequins. Carcano m’étudiait, tout le monde disait que ce n’était pas moi, parce que j’étais vêtu en gueux au bal. Dans trois tailles heureuses je gagne tout ce que j’avais perdu, et je poursuis avec tout ce tas d’or devant moi. Je mets une bonne poignée de cequins : je gagne la carte, je fais paroli, je gagne, je mets à la paix, et je ne vais pas en avant, car la banque était aux abois. Il me paye ; et il fait demander au caissier mille cequins ; pendant qu’il mêle, j’entends dire voilà les gueux, voilà les gueux. » (Histoire de ma vie, II, p. 857-858)

Vol. VII, fol. 58 : Le goût du jeu
Naturalisation française de Casanova

Vol. VIII, fol. 9v : Naturalisation française

Plus de détails sur la page

À Londres, Casanova se fait présenter au roi George III et à la reine : à une question que celle-ci lui adresse, le mémorialiste répond qu’il est vénitien « n’étant Français que pour m’être naturalisé ». Il a biffé ultérieurement cette phrase.

Transcription du texte :
« [J’ai connu le lendemain à table de cet ambassadeur] le chevalier d’Éon son secrétaire d’Ambassade, qui dans la suite fit tant parler toute l’Europe. C’était une femme qui avant d’entrer dans la diplomatique avait été capitaine de Dragons. Malgré beaucoup d’esprit ministériel, et les manières d’homme, je l’ai soupçonné quelque chose de moins d’homme. Sa comédie a commencé peu de temps après au départ de Londres de M. de Guerchi, qui eut un congé. Dans cette semaine je suis allé me faire connaître de tous les banquiers entres les mains desquels j’avais cent mille écus pour le moins. Ils acceptèrent les traites, et en force des lettres de recommandation de M. Tourton, et Baur ils m’offrirent leurs services particuliers. Je suis allé aux théâtres de Covengarde, de Drurilaine, inconnu de tout le monde, et à dîner aux tavernes pour m’habituer peu à peu aux mœurs anglaises. Le matin j’allais à la Bourse, où je faisais des connaissances ; ce fut là que le négociant Bosanquet, auquel je m’étais recommandé pour avoir un bon domestique, qui parlât outre l’anglais, l’italien ou le français, me donna un nègre qu’il me garantit être fidèle. Ce fut Bosanquet qui me donna un cuisinier anglais qui parlait français, qui entra d’abord chez moi avec toute sa famille, et ce fut lui qui m’introduisit dans plusieurs confréries singulières, dont je parlerai en temps, et lieu. Dans cette semaine j’ai aussi voulu connaître les Begno choisis, où un homme riche va se baigner, souper et coucher avec une fille de joie précieuse. C’est une partie magnifique qui coûte en tout six guinées ; l’économie peut la réduire à quatre ; mais l’économie gâte les plaisirs.
Le Dimanche à onze heures je me suis mis avec élégance, et ayant mes belles bagues, mes montres, et mon ordre en sautoir ruban ponceau, je suis allé à la cour, où j’ai approché le comte de Guerchi à la dernière antichambre. Je suis entré avec lui, et il me présenta à George III qui me parla ; mais si bas, que je n’ai pu y répondre que par une incli-[nation de tête. Mais la reine y suppléa.] »

Vol. VIII, fol. 9v : Naturalisation française
Naturalisation française de Casanova (suite)

Vol. VIII, fol. 10 : Naturalisation française

Plus de détails sur la page

Transcription du texte :

« Je fus enchanté de voir entre ceux qui lui faisaient la cour le Résident de Venise. D’abord que M. de Guerchi prononça mon nom j’ai vu le Résident étonné, car le Procurateur dans sa lettre m’avait nommé Casanova ; la reine m’ayant d’abord demandé de quelle province de France j’étais, et ayant su par ma réponse que j’étais vénitien, [biffé : n’étant Français que pour m’être naturalisé], elle regarda le résident de Venise, qui par une révérence montra qu’il n’avait rien à dire contre. Elle me demanda si je connaissais les ambassadeurs qui étaient partis six semaines auparavant, et je lui ai répondu qu’ayant passé trois jours à Lyon avec eux, M. de Morosini m’avait donné des lettres pour Mil. D’Egremont, et pour le Résident. Elle me dit que Monsieur Querini l’avait fait beaucoup rire. Il m’a dit, me dit-elle en riant, que je suis un petit diable.
– Il a voulu dire, Madame, que V. M. a de l’esprit comme un ange.
J’aurais voulu qu’elle m’eût demandé par quelle raison celui qui me présentait n’était pas M. Zuccato, car je lui aurais répondu de façon que le résident n’aurait pas eu beaucoup de plaisir. Après la cour je suis rentré dans ma chaise à porteurs qui me transporta au Soho Square chez Mistress Cornelis où j’étais invité à dîner. Un homme habillé pour aller à la cour n’oserait pas marcher à pied par les rues de Londres ; un portefaix, un fainéant, un polisson de la lie du peuple lui jetterait de la boue, lui rirait au nez, le heurterait pour l’exciter à lui dire quelque chose de désagréable pour avoir une raison de se battre à coups de poings. L’esprit démocratique existe dans le peuple anglais, même beaucoup plus qu’actuellement dans le français ; mais la force de la constitution le tient soumis. L’esprit de rébellion enfin existe dans toute grande ville, et le grand ouvrage du sage gouvernement est celui de le tenir endormi, car s’il se réveille c’est un torrent que nulle digue peut retenir. » (Histoire de ma vie, III, p. 138-140)

Vol. VIII, fol. 10 : Naturalisation française
Naturalisation française de Casanova

Vol. VIII, fol. 9v : Naturalisation française

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À Londres, Casanova se fait présenter au roi George III et à la reine : à une question que celle-ci lui adresse, le mémorialiste répond qu’il est vénitien « n’étant Français que pour m’être naturalisé ». Il a biffé ultérieurement cette phrase.

Transcription du texte :
« [J’ai connu le lendemain à table de cet ambassadeur] le chevalier d’Éon son secrétaire d’Ambassade, qui dans la suite fit tant parler toute l’Europe. C’était une femme qui avant d’entrer dans la diplomatique avait été capitaine de Dragons. Malgré beaucoup d’esprit ministériel, et les manières d’homme, je l’ai soupçonné quelque chose de moins d’homme. Sa comédie a commencé peu de temps après au départ de Londres de M. de Guerchi, qui eut un congé. Dans cette semaine je suis allé me faire connaître de tous les banquiers entres les mains desquels j’avais cent mille écus pour le moins. Ils acceptèrent les traites, et en force des lettres de recommandation de M. Tourton, et Baur ils m’offrirent leurs services particuliers. Je suis allé aux théâtres de Covengarde, de Drurilaine, inconnu de tout le monde, et à dîner aux tavernes pour m’habituer peu à peu aux mœurs anglaises. Le matin j’allais à la Bourse, où je faisais des connaissances ; ce fut là que le négociant Bosanquet, auquel je m’étais recommandé pour avoir un bon domestique, qui parlât outre l’anglais, l’italien ou le français, me donna un nègre qu’il me garantit être fidèle. Ce fut Bosanquet qui me donna un cuisinier anglais qui parlait français, qui entra d’abord chez moi avec toute sa famille, et ce fut lui qui m’introduisit dans plusieurs confréries singulières, dont je parlerai en temps, et lieu. Dans cette semaine j’ai aussi voulu connaître les Begno choisis, où un homme riche va se baigner, souper et coucher avec une fille de joie précieuse. C’est une partie magnifique qui coûte en tout six guinées ; l’économie peut la réduire à quatre ; mais l’économie gâte les plaisirs.
Le Dimanche à onze heures je me suis mis avec élégance, et ayant mes belles bagues, mes montres, et mon ordre en sautoir ruban ponceau, je suis allé à la cour, où j’ai approché le comte de Guerchi à la dernière antichambre. Je suis entré avec lui, et il me présenta à George III qui me parla ; mais si bas, que je n’ai pu y répondre que par une incli-[nation de tête. Mais la reine y suppléa.] »

Vol. VIII, fol. 9v : Naturalisation française
Naturalisation française de Casanova (suite)

Vol. VIII, fol. 10 : Naturalisation française

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Transcription du texte :

« Je fus enchanté de voir entre ceux qui lui faisaient la cour le Résident de Venise. D’abord que M. de Guerchi prononça mon nom j’ai vu le Résident étonné, car le Procurateur dans sa lettre m’avait nommé Casanova ; la reine m’ayant d’abord demandé de quelle province de France j’étais, et ayant su par ma réponse que j’étais vénitien, [biffé : n’étant Français que pour m’être naturalisé], elle regarda le résident de Venise, qui par une révérence montra qu’il n’avait rien à dire contre. Elle me demanda si je connaissais les ambassadeurs qui étaient partis six semaines auparavant, et je lui ai répondu qu’ayant passé trois jours à Lyon avec eux, M. de Morosini m’avait donné des lettres pour Mil. D’Egremont, et pour le Résident. Elle me dit que Monsieur Querini l’avait fait beaucoup rire. Il m’a dit, me dit-elle en riant, que je suis un petit diable.
– Il a voulu dire, Madame, que V. M. a de l’esprit comme un ange.
J’aurais voulu qu’elle m’eût demandé par quelle raison celui qui me présentait n’était pas M. Zuccato, car je lui aurais répondu de façon que le résident n’aurait pas eu beaucoup de plaisir. Après la cour je suis rentré dans ma chaise à porteurs qui me transporta au Soho Square chez Mistress Cornelis où j’étais invité à dîner. Un homme habillé pour aller à la cour n’oserait pas marcher à pied par les rues de Londres ; un portefaix, un fainéant, un polisson de la lie du peuple lui jetterait de la boue, lui rirait au nez, le heurterait pour l’exciter à lui dire quelque chose de désagréable pour avoir une raison de se battre à coups de poings. L’esprit démocratique existe dans le peuple anglais, même beaucoup plus qu’actuellement dans le français ; mais la force de la constitution le tient soumis. L’esprit de rébellion enfin existe dans toute grande ville, et le grand ouvrage du sage gouvernement est celui de le tenir endormi, car s’il se réveille c’est un torrent que nulle digue peut retenir. » (Histoire de ma vie, III, p. 138-140)

Vol. VIII, fol. 10 : Naturalisation française
Emprisonnement à Londres

Vol. VIII, fol. 104v : Emprisonnement à Londres

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Les brillants moments sont toutefois entrecoupés de périodes sombres. À Londres, Casanova expérimente, à 38 ans, l’horreur d’être systématiquement refusé : c’est l’épisode malheureux avec une courtisane, la Charpillon, qui le conduit en prison pour une fausse accusation, et va même le mener au bord du suicide.

Transcription du texte :

« [Je vois dans l’instant des gens armés de pistolets deux à droite, deux à gauche, et deux autres qui avaient arrêté lavoiture ; je les entends crier :
– Par ordre du roi.
Mes gens leur demandent ce qu’ils voulaient, et un d’eux répond me conduire en prison à Neugate, le dimanche ne garantissant pas les criminels. Je] demande quel était mon crime ; on me répond que je le saurais en prison. Mon nègre dit que j’avais le droit de le savoir avant d’y aller ; on lui répond que le juge dormait alors ; et il réplique que j’attendrais qu’il se levât, et les passants qui au bruit s’étaient arrêtés crient que j’avais raison. Le chef de sbires se soumet, et me conduit chez lui à la cité. Je me suis vu dans une grande chambre rez-de-chaussée, où il n’y avait que des bancs, et des grandes tables. Mes domestiques après avoir renvoyé la voiture vinrent me tenir compagnie, où les six sbires, se faisant une loi de ne pas me quitter me firent dire que je devais leur faire porter à boire et à manger. J’ai ordonné à Jarba de les contenter et d’être doux, et poli. Je devais me disposer à passer là cinq heures. L’heure de l’audience était à sept.
N’ayant commis aucun crime, je ne pouvais être là qu’en conséquence d’une calomnie, et sachant qu’à Londres il y avait bonne justice, j’avais l’âme fort tranquille, souffrant en paix un malheur, qui ne pouvait être que passager. Si j’avais suivi l’ancienne maxime, qui m’était connue, de ne jamais répondre pendant la nuit à une voix inconnue qui appelle, j’aurais évité ce malheur ; mais la faute étant faite, je ne pouvais qu’avoir patience. Je m’amusais à faire des réflexions comiques sur mon passage de la plus brillante assemblée de Londresà l’infâme compagnie dans laquelle je me voyais paré comme j’étais.
Le jour à la fin parut, et le maître du cabaret où j’étais descendit pour voir qui était le criminel qui avait passé la nuit chez lui. La colère dans laquelle il se mit contre les satellites, qui ne l’avaient pas fait réveiller pour me faire donner une chambre, me fit encore rire, car il se voyait par là frustré d’une guinée au moins qu’il m’aurait fait payer pour sa politesse. On vint enfin avertir que le Sergens-fils siégeait, et qu’il était temps de me traduire à sa présence. »

Vol. VIII, fol. 104v : Emprisonnement à Londres
Emprisonnement à Londres (suite)

Vol. VIII, fol. 105 : Emprisonnement à Londres

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« On fit venir une chaise pour m’y transporter, car habillé comme j’étais, la canaille m’aurait jeté de la boue si j’y fusse allé à pieds. J’entre dans une grande salle où je me vois entre cinquante ou soixante personnes qui fixent d’abord leurs yeux sur le barbare qui ose se montrer avec un si impertinent luxe.
Au bout de cette salle je vois assis sur un fauteuil éminent celui qui apparemment devait m’informer de mon crime. C’était le sergens fil que j’aime mieux nommer le lieutenant criminel. On lui lisait des dénonciations, on lui parlait, il répondait, et il dépêchait en dictant ses sentences, car le pauvre homme était aveugle. Il avait un bandeau noir large de deux pouces qui lui ceignait toute la tête, et lui couvrait les yeux. N’y voyant pas il lui était égal de les tenir couverts. Quelqu’un qui était à mon côté me consola me disant que c’était un juge intègre, homme d’esprit, très aimable, auteur de plusieurs romans célèbres. Cet homme enfin était Mister Filding.
Quand mon tour vint, le secrétaire qui était à son côté le lui dit à l’oreille, et, comme il y a apparence, la dénonciation me nommant Casanova Italien, il m’appela par ce même nom, me disant en parfaite langue italienne de m’avancer vers lui parce qu’il avait à me parler. J’ai alors percé la foule, et arrivé à la barre je lui ai dit Eccomi Signore.
Tout le dialogue suivant entre cet honnête magistrat et moi fut fait en italien, et je l’ai dans le même jour transcrit mot pour mot. J’en donne au lecteur avec plaisir la très fidèle traduction littérale.
– Monsieur de Casanova vénitien, vous êtes condamné aux prisons de S. M. le roi de la Grande-Bretagne pour tout le reste de vos jours.
– Je suis curieux, monsieur, de savoir par quel crime je suis condamné. Voudriez-vous bien me le communiquer ?
[– Votre curiosité est juste, seigneur vénitien. Dans notre pays la justice ne se croit pas maîtresse de condamner quelqu’un sans lui faire savoir son crime. Vous êtes accusé, et l’accusation est confirmée par deux témoins, que vous voulez balafrer la figure d’une fille. C’est elle qui demande à la justice d’être garantie de cet outrage, et la justice doit l’en garantir, vous condamnant à la prison. Disposez-vous donc à y aller.
– Monsieur, c’est une calomnie. Il se peut cependant, qu’examinant sa propre conduite elle craigne que je puisse penser à commettre ce crime. Je peux vous jurer que je n’ai jamais pensé à une pareille scélératesse.
– Elle a deux témoins.
– Ils sont faux. Qui est cette fille ?
– C’est miss Charpillon.
– Je la connais, et je ne lui ai jamais donné que des marques de ma tendresse.
– Ce n’est donc pas vrai, que vous veuillez la défigurer ?
– C’est faux.
– Dans ce cas je vous fais mon compliment. Vous irez dîner chez vous ; mais vous devez donner deux cautions. Deux chefs de maison doivent nous répondre que vous ne commettrez jamais ce crime.
– Qui osera assurer que je ne le commettrai jamais   ] » (Histoire de ma vie, III, p. 268-270)

Vol. VIII, fol. 105 : Emprisonnement à Londres
Emprisonnement à Londres

Vol. VIII, fol. 104v : Emprisonnement à Londres

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Les brillants moments sont toutefois entrecoupés de périodes sombres. À Londres, Casanova expérimente, à 38 ans, l’horreur d’être systématiquement refusé : c’est l’épisode malheureux avec une courtisane, la Charpillon, qui le conduit en prison pour une fausse accusation, et va même le mener au bord du suicide.

Transcription du texte :

« [Je vois dans l’instant des gens armés de pistolets deux à droite, deux à gauche, et deux autres qui avaient arrêté lavoiture ; je les entends crier :
– Par ordre du roi.
Mes gens leur demandent ce qu’ils voulaient, et un d’eux répond me conduire en prison à Neugate, le dimanche ne garantissant pas les criminels. Je] demande quel était mon crime ; on me répond que je le saurais en prison. Mon nègre dit que j’avais le droit de le savoir avant d’y aller ; on lui répond que le juge dormait alors ; et il réplique que j’attendrais qu’il se levât, et les passants qui au bruit s’étaient arrêtés crient que j’avais raison. Le chef de sbires se soumet, et me conduit chez lui à la cité. Je me suis vu dans une grande chambre rez-de-chaussée, où il n’y avait que des bancs, et des grandes tables. Mes domestiques après avoir renvoyé la voiture vinrent me tenir compagnie, où les six sbires, se faisant une loi de ne pas me quitter me firent dire que je devais leur faire porter à boire et à manger. J’ai ordonné à Jarba de les contenter et d’être doux, et poli. Je devais me disposer à passer là cinq heures. L’heure de l’audience était à sept.
N’ayant commis aucun crime, je ne pouvais être là qu’en conséquence d’une calomnie, et sachant qu’à Londres il y avait bonne justice, j’avais l’âme fort tranquille, souffrant en paix un malheur, qui ne pouvait être que passager. Si j’avais suivi l’ancienne maxime, qui m’était connue, de ne jamais répondre pendant la nuit à une voix inconnue qui appelle, j’aurais évité ce malheur ; mais la faute étant faite, je ne pouvais qu’avoir patience. Je m’amusais à faire des réflexions comiques sur mon passage de la plus brillante assemblée de Londresà l’infâme compagnie dans laquelle je me voyais paré comme j’étais.
Le jour à la fin parut, et le maître du cabaret où j’étais descendit pour voir qui était le criminel qui avait passé la nuit chez lui. La colère dans laquelle il se mit contre les satellites, qui ne l’avaient pas fait réveiller pour me faire donner une chambre, me fit encore rire, car il se voyait par là frustré d’une guinée au moins qu’il m’aurait fait payer pour sa politesse. On vint enfin avertir que le Sergens-fils siégeait, et qu’il était temps de me traduire à sa présence. »

Vol. VIII, fol. 104v : Emprisonnement à Londres
Emprisonnement à Londres (suite)

Vol. VIII, fol. 105 : Emprisonnement à Londres

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« On fit venir une chaise pour m’y transporter, car habillé comme j’étais, la canaille m’aurait jeté de la boue si j’y fusse allé à pieds. J’entre dans une grande salle où je me vois entre cinquante ou soixante personnes qui fixent d’abord leurs yeux sur le barbare qui ose se montrer avec un si impertinent luxe.
Au bout de cette salle je vois assis sur un fauteuil éminent celui qui apparemment devait m’informer de mon crime. C’était le sergens fil que j’aime mieux nommer le lieutenant criminel. On lui lisait des dénonciations, on lui parlait, il répondait, et il dépêchait en dictant ses sentences, car le pauvre homme était aveugle. Il avait un bandeau noir large de deux pouces qui lui ceignait toute la tête, et lui couvrait les yeux. N’y voyant pas il lui était égal de les tenir couverts. Quelqu’un qui était à mon côté me consola me disant que c’était un juge intègre, homme d’esprit, très aimable, auteur de plusieurs romans célèbres. Cet homme enfin était Mister Filding.
Quand mon tour vint, le secrétaire qui était à son côté le lui dit à l’oreille, et, comme il y a apparence, la dénonciation me nommant Casanova Italien, il m’appela par ce même nom, me disant en parfaite langue italienne de m’avancer vers lui parce qu’il avait à me parler. J’ai alors percé la foule, et arrivé à la barre je lui ai dit Eccomi Signore.
Tout le dialogue suivant entre cet honnête magistrat et moi fut fait en italien, et je l’ai dans le même jour transcrit mot pour mot. J’en donne au lecteur avec plaisir la très fidèle traduction littérale.
– Monsieur de Casanova vénitien, vous êtes condamné aux prisons de S. M. le roi de la Grande-Bretagne pour tout le reste de vos jours.
– Je suis curieux, monsieur, de savoir par quel crime je suis condamné. Voudriez-vous bien me le communiquer ?
[– Votre curiosité est juste, seigneur vénitien. Dans notre pays la justice ne se croit pas maîtresse de condamner quelqu’un sans lui faire savoir son crime. Vous êtes accusé, et l’accusation est confirmée par deux témoins, que vous voulez balafrer la figure d’une fille. C’est elle qui demande à la justice d’être garantie de cet outrage, et la justice doit l’en garantir, vous condamnant à la prison. Disposez-vous donc à y aller.
– Monsieur, c’est une calomnie. Il se peut cependant, qu’examinant sa propre conduite elle craigne que je puisse penser à commettre ce crime. Je peux vous jurer que je n’ai jamais pensé à une pareille scélératesse.
– Elle a deux témoins.
– Ils sont faux. Qui est cette fille ?
– C’est miss Charpillon.
– Je la connais, et je ne lui ai jamais donné que des marques de ma tendresse.
– Ce n’est donc pas vrai, que vous veuillez la défigurer ?
– C’est faux.
– Dans ce cas je vous fais mon compliment. Vous irez dîner chez vous ; mais vous devez donner deux cautions. Deux chefs de maison doivent nous répondre que vous ne commettrez jamais ce crime.
– Qui osera assurer que je ne le commettrai jamais   ] » (Histoire de ma vie, III, p. 268-270)

Vol. VIII, fol. 105 : Emprisonnement à Londres
« Miss Charpillon est plus putain que sa mère. »

Vol. VIII, fol. 109v : La Charpillon

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Pour se venger des procédés de la courtisane qui l’a mené au bord du suicide, Casanova achète un perroquet qu’il dresse à prononcer cette insulte contre elle, puis l’expose en public, à la Bourse de Londres.

Transcription du texte :

« J’ai laissé là ce coquin après avoir donné par pure charité une guinée à sa femme. Elle m’a donné un exemplaire d’un ouvrage de son mari dont le titre était Le Secret des Francs-Maçons trahi. Il était moine à Pise sa patrie, et il en était parti avec elle qui était religieuse. Il l’avait épousée à Londres.
Dans ces jours-ci, M. de Saa lui-même, ce qui m’a surpris très fort, me remit une lettre de ma chère Pauline qui me confirmait le malheur de mon fidèle Clairmon. Elle était déjà devenue la femme du comte Al. Ce qui me surprit encore plus fut qu’il me jura qu’il savait qui elle était jusque dès son arrivée à Londres. C’est la marotte de presque tous les ministres de vouloir se faire croire plus savants qu’ils ne sont. M. de Saa cependant était un parfait honnête homme. La Charpillon l’avait à peu près traité comme moi.
Mais voici un événement qui doit intéresser tout lecteur de bonne humeur.
Allant me promener un matin par la ville, je suis passé par un endroit qu’on appelait le marché aux perroquets. En voyant un joli dans une cage toute neuve j’ai demandé quelle langue il parlait, et on me répondit qu’étant tout jeune il n’en parlait aucune. J’ai donné les dix pièces qu’on en demandait, et je l’ai envoyé chez moi. Décidé à lui apprendre quelques paroles intéressantes, j’ai pensé à le placer près de mon lit, et à lui répéter à tout moment Miss Charpillon est plus putain que sa mère. J’ai entrepris cette plaisanterie ainsi pour rire, et certainement sans aucun méchant dessein. En moins de deux semaines le perroquet complaisant apprit si bien ces six paroles qu’il les répétait du matin au soir avec cela d’avantage qu’après les avoir prononcées il donnait dans un grand éclat de rire, ce que je n’avais pas eu intention de lui apprendre.
Ce fut Goudar qui me dit un jour que si j’envoyais mon perroquet à la Bourse, j’aurais pu certainement le faire vendre pour cinquante guinées. »

Vol. VIII, fol. 109v : La Charpillon
« Miss Charpillon est plus putain que sa mère. » (suite)

Vol. VIII, fol. 110 : La Charpillon

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Transcription du texte :

« J’ai d’abord saisi sa belle idée, non pas par sentiment d’avarice ; mais pour avoir le plaisir d’appeler p... la coquine qui m’avait si malmené ; et me mettre à l’abri de la loi qui sur cet article-là est fort sévère.
J’ai donc chargé de ce soin Jarbe, qui étant Indien mon perroquet devenait une marchandise de son cru.
Les deux ou trois premiers jours, mon perroquet parlant français n’a pas eu une grande audience ; mais d’abord que quelqu’un qui connaissait l’héroïne fit attention à l’éloge que l’indiscret oiseau lui faisait, le cercle grossit, et on commença à marchander pour l’acquisition de la cage. Cinquante guinées paraissaient trop. Mon nègre désirait que je livrasse le tout à meilleur marché ; mais je n’y ai jamais consenti. J’étais devenu amoureux de mon vengeur. Combien j’ai ri quand au bout de sept à huit jours Goudar me conta l’effet qu’avait fait dans la famille de la Charpillon le bavardage de mon perroquet exposé en vente à la Bourse de Londres. Celui qui le vendait étant mon nègre, on ne doutait pas qu’il ne fût à moi, et que je fusse son maître de langue. Il me dit que la fille non seulement n’était point du tout sensible à cette histoire ; mais qu’elle la trouvait fort jolie, et en riait toute la journée. Les désespérées étaient les tantes, et la mère, qui avaient consulté sur cette affaire plusieurs avocats, qui leur avaient tous répondu qu’il n’y avait point de lois faites pour venger une calomnie dont l’auteur serait un perroquet ; mais qu’elles pourraient me faire coûter fort cher cette plaisanterie si elles pussent prouver que le perroquet était mon élève. Par cette raison Goudar m’avertit que je devais me garder de me vanter que l’oiseau était mon écolier, car deux témoins pourraient me perdre.
La facilité de trouver des faux témoins à Londres est quelque chose de fort scandaleux. J’ai vu un jour un écriteau à une fenêtre, où on lisait en lettres majuscules le mot témoin, pas davantage. Cela voulait dire que la personne qui logeait dans l’appartement faisait le métier de témoin. » (Histoire de ma vie, III, p. 274-275)

Vol. VIII, fol. 110 : La Charpillon
« Miss Charpillon est plus putain que sa mère. »

Vol. VIII, fol. 109v : La Charpillon

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Pour se venger des procédés de la courtisane qui l’a mené au bord du suicide, Casanova achète un perroquet qu’il dresse à prononcer cette insulte contre elle, puis l’expose en public, à la Bourse de Londres.

Transcription du texte :

« J’ai laissé là ce coquin après avoir donné par pure charité une guinée à sa femme. Elle m’a donné un exemplaire d’un ouvrage de son mari dont le titre était Le Secret des Francs-Maçons trahi. Il était moine à Pise sa patrie, et il en était parti avec elle qui était religieuse. Il l’avait épousée à Londres.
Dans ces jours-ci, M. de Saa lui-même, ce qui m’a surpris très fort, me remit une lettre de ma chère Pauline qui me confirmait le malheur de mon fidèle Clairmon. Elle était déjà devenue la femme du comte Al. Ce qui me surprit encore plus fut qu’il me jura qu’il savait qui elle était jusque dès son arrivée à Londres. C’est la marotte de presque tous les ministres de vouloir se faire croire plus savants qu’ils ne sont. M. de Saa cependant était un parfait honnête homme. La Charpillon l’avait à peu près traité comme moi.
Mais voici un événement qui doit intéresser tout lecteur de bonne humeur.
Allant me promener un matin par la ville, je suis passé par un endroit qu’on appelait le marché aux perroquets. En voyant un joli dans une cage toute neuve j’ai demandé quelle langue il parlait, et on me répondit qu’étant tout jeune il n’en parlait aucune. J’ai donné les dix pièces qu’on en demandait, et je l’ai envoyé chez moi. Décidé à lui apprendre quelques paroles intéressantes, j’ai pensé à le placer près de mon lit, et à lui répéter à tout moment Miss Charpillon est plus putain que sa mère. J’ai entrepris cette plaisanterie ainsi pour rire, et certainement sans aucun méchant dessein. En moins de deux semaines le perroquet complaisant apprit si bien ces six paroles qu’il les répétait du matin au soir avec cela d’avantage qu’après les avoir prononcées il donnait dans un grand éclat de rire, ce que je n’avais pas eu intention de lui apprendre.
Ce fut Goudar qui me dit un jour que si j’envoyais mon perroquet à la Bourse, j’aurais pu certainement le faire vendre pour cinquante guinées. »

Vol. VIII, fol. 109v : La Charpillon
« Miss Charpillon est plus putain que sa mère. » (suite)

Vol. VIII, fol. 110 : La Charpillon

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Transcription du texte :

« J’ai d’abord saisi sa belle idée, non pas par sentiment d’avarice ; mais pour avoir le plaisir d’appeler p... la coquine qui m’avait si malmené ; et me mettre à l’abri de la loi qui sur cet article-là est fort sévère.
J’ai donc chargé de ce soin Jarbe, qui étant Indien mon perroquet devenait une marchandise de son cru.
Les deux ou trois premiers jours, mon perroquet parlant français n’a pas eu une grande audience ; mais d’abord que quelqu’un qui connaissait l’héroïne fit attention à l’éloge que l’indiscret oiseau lui faisait, le cercle grossit, et on commença à marchander pour l’acquisition de la cage. Cinquante guinées paraissaient trop. Mon nègre désirait que je livrasse le tout à meilleur marché ; mais je n’y ai jamais consenti. J’étais devenu amoureux de mon vengeur. Combien j’ai ri quand au bout de sept à huit jours Goudar me conta l’effet qu’avait fait dans la famille de la Charpillon le bavardage de mon perroquet exposé en vente à la Bourse de Londres. Celui qui le vendait étant mon nègre, on ne doutait pas qu’il ne fût à moi, et que je fusse son maître de langue. Il me dit que la fille non seulement n’était point du tout sensible à cette histoire ; mais qu’elle la trouvait fort jolie, et en riait toute la journée. Les désespérées étaient les tantes, et la mère, qui avaient consulté sur cette affaire plusieurs avocats, qui leur avaient tous répondu qu’il n’y avait point de lois faites pour venger une calomnie dont l’auteur serait un perroquet ; mais qu’elles pourraient me faire coûter fort cher cette plaisanterie si elles pussent prouver que le perroquet était mon élève. Par cette raison Goudar m’avertit que je devais me garder de me vanter que l’oiseau était mon écolier, car deux témoins pourraient me perdre.
La facilité de trouver des faux témoins à Londres est quelque chose de fort scandaleux. J’ai vu un jour un écriteau à une fenêtre, où on lisait en lettres majuscules le mot témoin, pas davantage. Cela voulait dire que la personne qui logeait dans l’appartement faisait le métier de témoin. » (Histoire de ma vie, III, p. 274-275)

Vol. VIII, fol. 110 : La Charpillon
Entretien avec Frédéric II

Vol. VIII, fol. 173v : Entretien avec Frédéric II

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La rencontre de Casanova avec Frédéric II de Prusse se situe dans les jardins de Sans souci. À l’étonnement de pouvoir aborder si facilement un souverain – c’est la première fois que le mémorialiste s’entretient avec un roi – s’ajoute celui de la façon dont Frédéric II mène le dialogue : brusques sauts d’un sujet à l’autre, du fonctionnement des jets d’eau à Versailles à la loterie, la fiscalité ou la marine à Venise…

Transcription du texte :

« [– Moi, inconnu, écrire à un roi avec lequel je n’ai aucun rapport ! Je n’ai point d’idée d’une démarche pareille.]
– Ne désirez-vous pas de lui parler ? Voilà le rapport. Votre lettre ne doit contenir que la déclaration de votre désir.
– Me répondra-t-il ?
– N’en doutez pas. Il répond à tout le monde. Il vous écrira où, et à quelle heure il lui plaira de vous recevoir. Faites cela. Sa Majesté est actuellement à Sans Souci. Je suis curieux de l’espèce d’entretien que vous aurez avec ce monarque, qui, comme vous voyez, agit d’une façon qui démontre qu’il ne craint pas qu’on lui en impose.
Je n’ai pas tardé un seul jour. Je lui ai écrit dans le style le plus simple, quoique très respectueux. Je lui ai demandé quand, et où je pourrais me présenter à sa majesté, et je me suis signé vénitien datant ma lettre de l’auberge où je logeais. Le surlendemain j’ai reçu une lettre écrite par la main d’un secrétaire ; mais signée Frédéric. Il m’écrivait que le roi avait reçu ma lettre, et qu’il lui avait ordonné de me faire savoir que sa majesté se trouverait dans le jardin de Sans souci à quatre heures.
J’y vais à trois habillé de noir. J’entre par une petite porte dans la cour du château, et je ne vois personne, pas une sentinelle, pas un portier, un laquais. Tout était dans le plus grand silence. Je monte un court escalier, j’ouvre une porte, et je me vois dans une galerie de tableaux. L’homme qui en était le gardien s’offre à me servir, mais je le remercie lui disant que j’attendais le roi qui m’avait écrit qu’il serait au jardin. Il est, me dit-il, à son petit concert, où il joue de la flûte comme tous les jours d’abord après son dîner. Vous a-t-il dit l’heure ?
– Oui, à quatre heures. Il l’aura oublié peut-être.
– Le roi n’oublie jamais. Il descendra à quatre heures, et vous ferez bien d’aller l’attendre au jardin.
J’y vais, et peu de temps après je le vois suivi de son lecteur Cat, et d’une jolie épagneule. À peine m’a-t-il vu, il m’approche, et ôtant son vieux chapeau d’un air grivois, me nommant par mon nom, il me demande d’un ton effrayant ce que je voulais de lui. » 

Vol. VIII, fol. 173v : Entretien avec Frédéric II
Entretien avec Frédéric II (suite)

Vol. VIII, fol. 174 : Entretien avec Frédéric II

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Transcription du texte :

« Surpris par cet accueil, je reste court, je le regarde, et je ne lui réponds rien.
– Eh bien ! Parlez donc. N’est-ce pas vous qui m’avez écrit ?
– Oui Sire ; mais je ne me souviens plus de rien. J’ai cru que la majesté du roi ne m’éblouirait pas. Cela ne m’arrivera pas une autre fois. Milord Maréchal aurait dû m’avertir.
– Il vous connaît donc ? Promenons-nous. De quoi vouliez-vous me parler ? Que dites-vous de ce jardin ?
En même temps qu’il me demande de quoi je veux lui parler, il m’ordonne de lui parler de son jardin. J’aurais répondu à un autre que je ne me connaissais pas en jardins ; mais à un roi qui me supposait connaisseur j’aurais eu l’air de lui donner un démenti. M’exposant donc au risque de lui donner un essai de mon mauvais goût, je lui ai répondu que je le trouvais superbe. Mais, me dit-il, les jardins de Versailles sont bien plus beaux.
– Sans doute Sire, quand ce ne serait qu’en conséquence des eaux.
– C’est vrai ; mais s’il n’y a pas ici des eaux ce n’est pas ma faute. J’ai dépensé trois cent mille écus en vain pour les faire venir.
– Trois cent mille écus ? Si Votre Majesté les a dépensés tout d’un coup, les eaux devraient y être.
– Ah ah ! Je vois que vous êtes architecte hydraulique.
Fallait-il lui dire qu’il se trompait ? J’eus peur de lui déplaire. J’ai baissé la tête. C’est ne dire ni oui, ni non. Mais le roi ne se soucia pas Dieu merci de m’entretenir sur cette science, dont j’ignorais tous les principes. Sans s’arrêter un seul moment, il me demanda quelles étaient les forces de la République de Venise sur mer en temps de guerre.
– Vingt vaisseaux de haut bord, Sire, et une grande quantité de galères.
– Et en troupes de terre ?
– Soixante et dix mille hommes. Sire, tous ses sujets, ne prenant qu’un seul homme par village.
[– Cela n’est pas vrai. Vous voulez apparemment me faire rire me contant ces fables. Mais vous êtes sûrement financier. Dites-moi ce que vous pensez de l’impôt.
C’était le premier entretien que j’avais avec un roi. Faisant attention à son style, à ses incartades, à ses sauts rapides j’ai cru d’être appelé à jouer une scène de comédie italienne à l’improviste où si l’acteur reste court le parterre le siffle. J’ai donc répondu à ce fier roi prenant la morgue du financier, et en faisant la grimace, que je pourrais lui parler de la théorie de l’impôt.
– C’est ce que je veux, car la pratique ne vous regarde pas.
– Il y a trois espèces d’impôts par rapport aux effets, dont l’une est ruineuse, l’autre nécessaire malheureusement, et la troisième toujours excellente.
– J’aime bien ça. Allez toujours.
– L’impôt ruineux est le royal, le nécessaire est le militaire, l’excellent est le populaire.
– Qu’est-ce que tout cela ?
J’avais besoin d’aller par les longues, car je composais.
– L’impôt royal, Sire, est celui que le monarque ne met sur ses sujets que pour remplir ses coffres.
– Et il est toujours ruineux, dites-vous.
– Sans doute Sire, car il détruit la circulation âme du commerce, et soutien de l’État.
– Mais vous trouvez le militaire nécessaire.
– Mais malheureusement, car la guerre est sans doute un malheur.
– Ça se peut. Et le populaire ?
– Toujours excellent, car le roi le prend de ses sujets d’une main, et le verse de l’autre dans leur sein par des établissements très utiles, et des règlements faits pour augmenter leur bonheur.
– Vous connaissez sans doute Calsabigi ?
– Je dois le connaître, Sire. Il y a sept ans que nous avons établi à Paris la loterie de Gênes.
– Et dans quelle espèce placez-vous cet impôt, car vous m’accorderez que c’en est un.
– Oui, Sire. C’est un impôt de l’espèce excellente quand le roi en destine le gain pour suppléer à quelqu’établissement utile.
– Mais le roi peut y perdre.
– Une fois en dix.] » (Histoire de ma vie, III, p. 351-352)

Vol. VIII, fol. 174 : Entretien avec Frédéric II
Entretien avec Frédéric II

Vol. VIII, fol. 173v : Entretien avec Frédéric II

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La rencontre de Casanova avec Frédéric II de Prusse se situe dans les jardins de Sans souci. À l’étonnement de pouvoir aborder si facilement un souverain – c’est la première fois que le mémorialiste s’entretient avec un roi – s’ajoute celui de la façon dont Frédéric II mène le dialogue : brusques sauts d’un sujet à l’autre, du fonctionnement des jets d’eau à Versailles à la loterie, la fiscalité ou la marine à Venise…

Transcription du texte :

« [– Moi, inconnu, écrire à un roi avec lequel je n’ai aucun rapport ! Je n’ai point d’idée d’une démarche pareille.]
– Ne désirez-vous pas de lui parler ? Voilà le rapport. Votre lettre ne doit contenir que la déclaration de votre désir.
– Me répondra-t-il ?
– N’en doutez pas. Il répond à tout le monde. Il vous écrira où, et à quelle heure il lui plaira de vous recevoir. Faites cela. Sa Majesté est actuellement à Sans Souci. Je suis curieux de l’espèce d’entretien que vous aurez avec ce monarque, qui, comme vous voyez, agit d’une façon qui démontre qu’il ne craint pas qu’on lui en impose.
Je n’ai pas tardé un seul jour. Je lui ai écrit dans le style le plus simple, quoique très respectueux. Je lui ai demandé quand, et où je pourrais me présenter à sa majesté, et je me suis signé vénitien datant ma lettre de l’auberge où je logeais. Le surlendemain j’ai reçu une lettre écrite par la main d’un secrétaire ; mais signée Frédéric. Il m’écrivait que le roi avait reçu ma lettre, et qu’il lui avait ordonné de me faire savoir que sa majesté se trouverait dans le jardin de Sans souci à quatre heures.
J’y vais à trois habillé de noir. J’entre par une petite porte dans la cour du château, et je ne vois personne, pas une sentinelle, pas un portier, un laquais. Tout était dans le plus grand silence. Je monte un court escalier, j’ouvre une porte, et je me vois dans une galerie de tableaux. L’homme qui en était le gardien s’offre à me servir, mais je le remercie lui disant que j’attendais le roi qui m’avait écrit qu’il serait au jardin. Il est, me dit-il, à son petit concert, où il joue de la flûte comme tous les jours d’abord après son dîner. Vous a-t-il dit l’heure ?
– Oui, à quatre heures. Il l’aura oublié peut-être.
– Le roi n’oublie jamais. Il descendra à quatre heures, et vous ferez bien d’aller l’attendre au jardin.
J’y vais, et peu de temps après je le vois suivi de son lecteur Cat, et d’une jolie épagneule. À peine m’a-t-il vu, il m’approche, et ôtant son vieux chapeau d’un air grivois, me nommant par mon nom, il me demande d’un ton effrayant ce que je voulais de lui. » 

Vol. VIII, fol. 173v : Entretien avec Frédéric II
Entretien avec Frédéric II (suite)

Vol. VIII, fol. 174 : Entretien avec Frédéric II

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Transcription du texte :

« Surpris par cet accueil, je reste court, je le regarde, et je ne lui réponds rien.
– Eh bien ! Parlez donc. N’est-ce pas vous qui m’avez écrit ?
– Oui Sire ; mais je ne me souviens plus de rien. J’ai cru que la majesté du roi ne m’éblouirait pas. Cela ne m’arrivera pas une autre fois. Milord Maréchal aurait dû m’avertir.
– Il vous connaît donc ? Promenons-nous. De quoi vouliez-vous me parler ? Que dites-vous de ce jardin ?
En même temps qu’il me demande de quoi je veux lui parler, il m’ordonne de lui parler de son jardin. J’aurais répondu à un autre que je ne me connaissais pas en jardins ; mais à un roi qui me supposait connaisseur j’aurais eu l’air de lui donner un démenti. M’exposant donc au risque de lui donner un essai de mon mauvais goût, je lui ai répondu que je le trouvais superbe. Mais, me dit-il, les jardins de Versailles sont bien plus beaux.
– Sans doute Sire, quand ce ne serait qu’en conséquence des eaux.
– C’est vrai ; mais s’il n’y a pas ici des eaux ce n’est pas ma faute. J’ai dépensé trois cent mille écus en vain pour les faire venir.
– Trois cent mille écus ? Si Votre Majesté les a dépensés tout d’un coup, les eaux devraient y être.
– Ah ah ! Je vois que vous êtes architecte hydraulique.
Fallait-il lui dire qu’il se trompait ? J’eus peur de lui déplaire. J’ai baissé la tête. C’est ne dire ni oui, ni non. Mais le roi ne se soucia pas Dieu merci de m’entretenir sur cette science, dont j’ignorais tous les principes. Sans s’arrêter un seul moment, il me demanda quelles étaient les forces de la République de Venise sur mer en temps de guerre.
– Vingt vaisseaux de haut bord, Sire, et une grande quantité de galères.
– Et en troupes de terre ?
– Soixante et dix mille hommes. Sire, tous ses sujets, ne prenant qu’un seul homme par village.
[– Cela n’est pas vrai. Vous voulez apparemment me faire rire me contant ces fables. Mais vous êtes sûrement financier. Dites-moi ce que vous pensez de l’impôt.
C’était le premier entretien que j’avais avec un roi. Faisant attention à son style, à ses incartades, à ses sauts rapides j’ai cru d’être appelé à jouer une scène de comédie italienne à l’improviste où si l’acteur reste court le parterre le siffle. J’ai donc répondu à ce fier roi prenant la morgue du financier, et en faisant la grimace, que je pourrais lui parler de la théorie de l’impôt.
– C’est ce que je veux, car la pratique ne vous regarde pas.
– Il y a trois espèces d’impôts par rapport aux effets, dont l’une est ruineuse, l’autre nécessaire malheureusement, et la troisième toujours excellente.
– J’aime bien ça. Allez toujours.
– L’impôt ruineux est le royal, le nécessaire est le militaire, l’excellent est le populaire.
– Qu’est-ce que tout cela ?
J’avais besoin d’aller par les longues, car je composais.
– L’impôt royal, Sire, est celui que le monarque ne met sur ses sujets que pour remplir ses coffres.
– Et il est toujours ruineux, dites-vous.
– Sans doute Sire, car il détruit la circulation âme du commerce, et soutien de l’État.
– Mais vous trouvez le militaire nécessaire.
– Mais malheureusement, car la guerre est sans doute un malheur.
– Ça se peut. Et le populaire ?
– Toujours excellent, car le roi le prend de ses sujets d’une main, et le verse de l’autre dans leur sein par des établissements très utiles, et des règlements faits pour augmenter leur bonheur.
– Vous connaissez sans doute Calsabigi ?
– Je dois le connaître, Sire. Il y a sept ans que nous avons établi à Paris la loterie de Gênes.
– Et dans quelle espèce placez-vous cet impôt, car vous m’accorderez que c’en est un.
– Oui, Sire. C’est un impôt de l’espèce excellente quand le roi en destine le gain pour suppléer à quelqu’établissement utile.
– Mais le roi peut y perdre.
– Une fois en dix.] » (Histoire de ma vie, III, p. 351-352)

Vol. VIII, fol. 174 : Entretien avec Frédéric II
Duel avec Braniski

Vol. VIII, fol. 245v : « Mon duel avec Braniski »

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Comme l’indique le sommaire, c’est dans ce chapitre que figure en particulier le récit du duel avec le comte Braniski. Cet épisode, dont Casanova faisait aussi volontiers le récit que celui de sa fuite des Plombs, a contribué à sa célébrité.

Transcription du texte :

« [Braniski à ma proposition me regarde de travers, et me] dit d’un ton colère qu’il s’était rendu là avec moi pour se battre, et non pas pour parlementer. Je dis alors au général qu’il pourra témoigner qu’autant qu’il pouvait dépendre de moi je voulais éviter le duel. Il se retire, tenant sa tête entre ses mains. Braniski me presse de choisir. Je jette ma fourrure, et j’empoigne le pistolet premier venu. Braniski, prenant l’autre, me dit qu’il me garantissait sur son honneur l’arme que j’avais dans ma main parfaite. Je lui réponds que j’allais en faire l’essai contre sa tête. À cette terrible réponse il pâlit, il jette son épée à un de ses pages, et me fait voir sa poitrine toute nue. Je me vois forcé à en faire autant avec regret, car mon épée était ma seule arme après le pistolet. Je lui montre ma poitrine aussi, et je recule cinq ou six pas : le postoli en fait autant. Nous ne pouvions pas reculer davantage. Le voyant ferme comme moi la bouche du pistolet contre terre, j’ôte mon chapeau de la main gauche, lui demandant l’honneur de tirer sur moi le premier, et je me couvre. Le postoli au lieu de tirer d’abord, perdit deux ou trois secondes à s’allonger, et à cacher sa tête derrière la couche de son pistolet ; mais la circonstance ne m’ordonnait pas d’attendre toutes ses commodités. J’ai tiré sur lui précisément dans le même instant qu’il tira sur moi, et cela fut évident, car tous les gens des maisons voisines dirent qu’ils n’entendirent qu’un seul coup. Quand je l’ai vu tombé, j’ai vite mis dans ma poche ma main gauche que j’ai sentie blessée, et jetant le pistolet j’ai couru à lui ; mais quelle ne fut pas ma surprise quand j’ai vu trois sabres nus élevés contre moi entre les mains de trois nobles bourreaux, qui m’auraient haché dans l’instant à genoux comme je m’étais jeté, si le Postoli d’une voix [foudroyante ne les avait pétrifiés en leur criant canaille, respectez cet honnête homme.] »

Vol. VIII, fol. 245v : « Mon duel avec Braniski »
Duel avec Braniski (suite)

Vol. VIII, fol. 246 : « Mon duel avec Braniski »

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Transcription du texte :

« Ils se retirèrent alors, et je suis allé l’aider à se relever lui mettant ma main droite sous l’aisselle tandis que le général l’aidait de l’autre côté. Nous le conduisîmes ainsi à l’auberge distante de cent pas du jardin. Ce seigneur marchait se tenant très courbé, et m’examinant de côté avec attention, puisqu’il ne pouvait pas comprendre d’où pouvait sortir le sang qu’il voyait ruisseler sur mes culottes et sur mes bas blancs.
À peine entrés dans l’auberge, le Postoli se jette sur un grand fauteuil, il s’étend, on le déboutonne, on lève sa chemise jusqu’à l’estomac, et il se voit lui-même blessé à mort. Ma balle était entrée dans son ventre à la septième vraie côte à droite, et était sortie sous la dernière fausse à gauche. Les deux trous étaient distants l’un de l’autre de dix pouces. Le spectacle était alarmant : on jugeait les intestins percés, et l’homme mort. Le Postoli me regarde, et me dit vous m’avez tué, et sauvez-vous, car vous perdrez la tête sur l’échafaud : vous êtes dans la starostie, je suis grand officier de la couronne, et voici le cordon de l’Aigle Blanc. Sauvez-vous d’abord, et si vous n’avez pas d’argent prenez ma bourse. La voici.
La grosse bourse tombe, je la remets dans sa poche en le remerciant, et en lui disant que je n’en avais pas besoin, puisque si j’étais coupable de mort j’allais dans l’instant porter ma tête aux pieds du trône. Je lui dis que j’espérais que sa blessure ne serait pas mortelle, et que j’étais au désespoir de ce qu’il m’avait obligé à faire. Je lui donne un baiser sur le front, je sors de l’auberge, et je ne vois ni voiture, ni chevaux, ni domestiques. Ils étaient partis tous pour [aller chercher médecin, chirurgien, prêtres, parents, et amis. Je me vois seul, et sans épée dans une campagne couverte de neige, blessé, et ne sachant pas le chemin pour retourner à Varsovie. Je vois de loin un traîneau à deux chevaux, je crie à haute voix, le paysan s’arrête, je lui montre un ducat, et je lui dis Varsaw]. » (Histoire de ma vie, III, p. 463)

Vol. VIII, fol. 246 : « Mon duel avec Braniski »
Duel avec Braniski

Vol. VIII, fol. 245v : « Mon duel avec Braniski »

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Comme l’indique le sommaire, c’est dans ce chapitre que figure en particulier le récit du duel avec le comte Braniski. Cet épisode, dont Casanova faisait aussi volontiers le récit que celui de sa fuite des Plombs, a contribué à sa célébrité.

Transcription du texte :

« [Braniski à ma proposition me regarde de travers, et me] dit d’un ton colère qu’il s’était rendu là avec moi pour se battre, et non pas pour parlementer. Je dis alors au général qu’il pourra témoigner qu’autant qu’il pouvait dépendre de moi je voulais éviter le duel. Il se retire, tenant sa tête entre ses mains. Braniski me presse de choisir. Je jette ma fourrure, et j’empoigne le pistolet premier venu. Braniski, prenant l’autre, me dit qu’il me garantissait sur son honneur l’arme que j’avais dans ma main parfaite. Je lui réponds que j’allais en faire l’essai contre sa tête. À cette terrible réponse il pâlit, il jette son épée à un de ses pages, et me fait voir sa poitrine toute nue. Je me vois forcé à en faire autant avec regret, car mon épée était ma seule arme après le pistolet. Je lui montre ma poitrine aussi, et je recule cinq ou six pas : le postoli en fait autant. Nous ne pouvions pas reculer davantage. Le voyant ferme comme moi la bouche du pistolet contre terre, j’ôte mon chapeau de la main gauche, lui demandant l’honneur de tirer sur moi le premier, et je me couvre. Le postoli au lieu de tirer d’abord, perdit deux ou trois secondes à s’allonger, et à cacher sa tête derrière la couche de son pistolet ; mais la circonstance ne m’ordonnait pas d’attendre toutes ses commodités. J’ai tiré sur lui précisément dans le même instant qu’il tira sur moi, et cela fut évident, car tous les gens des maisons voisines dirent qu’ils n’entendirent qu’un seul coup. Quand je l’ai vu tombé, j’ai vite mis dans ma poche ma main gauche que j’ai sentie blessée, et jetant le pistolet j’ai couru à lui ; mais quelle ne fut pas ma surprise quand j’ai vu trois sabres nus élevés contre moi entre les mains de trois nobles bourreaux, qui m’auraient haché dans l’instant à genoux comme je m’étais jeté, si le Postoli d’une voix [foudroyante ne les avait pétrifiés en leur criant canaille, respectez cet honnête homme.] »

Vol. VIII, fol. 245v : « Mon duel avec Braniski »
Duel avec Braniski (suite)

Vol. VIII, fol. 246 : « Mon duel avec Braniski »

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Transcription du texte :

« Ils se retirèrent alors, et je suis allé l’aider à se relever lui mettant ma main droite sous l’aisselle tandis que le général l’aidait de l’autre côté. Nous le conduisîmes ainsi à l’auberge distante de cent pas du jardin. Ce seigneur marchait se tenant très courbé, et m’examinant de côté avec attention, puisqu’il ne pouvait pas comprendre d’où pouvait sortir le sang qu’il voyait ruisseler sur mes culottes et sur mes bas blancs.
À peine entrés dans l’auberge, le Postoli se jette sur un grand fauteuil, il s’étend, on le déboutonne, on lève sa chemise jusqu’à l’estomac, et il se voit lui-même blessé à mort. Ma balle était entrée dans son ventre à la septième vraie côte à droite, et était sortie sous la dernière fausse à gauche. Les deux trous étaient distants l’un de l’autre de dix pouces. Le spectacle était alarmant : on jugeait les intestins percés, et l’homme mort. Le Postoli me regarde, et me dit vous m’avez tué, et sauvez-vous, car vous perdrez la tête sur l’échafaud : vous êtes dans la starostie, je suis grand officier de la couronne, et voici le cordon de l’Aigle Blanc. Sauvez-vous d’abord, et si vous n’avez pas d’argent prenez ma bourse. La voici.
La grosse bourse tombe, je la remets dans sa poche en le remerciant, et en lui disant que je n’en avais pas besoin, puisque si j’étais coupable de mort j’allais dans l’instant porter ma tête aux pieds du trône. Je lui dis que j’espérais que sa blessure ne serait pas mortelle, et que j’étais au désespoir de ce qu’il m’avait obligé à faire. Je lui donne un baiser sur le front, je sors de l’auberge, et je ne vois ni voiture, ni chevaux, ni domestiques. Ils étaient partis tous pour [aller chercher médecin, chirurgien, prêtres, parents, et amis. Je me vois seul, et sans épée dans une campagne couverte de neige, blessé, et ne sachant pas le chemin pour retourner à Varsovie. Je vois de loin un traîneau à deux chevaux, je crie à haute voix, le paysan s’arrête, je lui montre un ducat, et je lui dis Varsaw]. » (Histoire de ma vie, III, p. 463)

Vol. VIII, fol. 246 : « Mon duel avec Braniski »
Histoire de ma vie

Histoire de ma vie

Histoire de ma vie
Danser le fandango avec Donna Ignacia

Vol. IX, fol. 77 : Danser le fandango avec Donna Ignacia

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Tout au long de son récit, Casanova ne cesse de montrer son goût pour la danse, qu’il fasse à Constantinople une démonstration de furlane, ou qu’il s’essaie au fandango à peine arrivé en Espagne.

Transcription du texte :

« Chapitre V
Mes amours avec Donna lgnazia. Mon emprisonnement à Buon Ritiro. Mon triomphe.
Un inquisiteur d’État de Venise me recommande à l’ambassadeur.
1768

J’entre dans la salle avec la belle Donna Ignacia, nous y faisons plusieurs tours, nous rencontrons partout la garde des soldats, la baïonnette au bout de ses fusils qui se promenait à pas lents partout pour être prête à s’emparer de ceux qui troubleraient la paix par des disputes. Nous dansons jusqu’à dix heures des menuets, et des contredanses, puis nous allons souper gardant tous les deux le silence, elle pour ne pas m’enhardir, peut-être, à lui manquer de respect, moi parce que, ne parlant que très peu l’espagnol, je ne savais que lui dire. Après souper, je vais à la loge où je devais voir la Pichona, et je ne vois que des masques que je ne connaissais pas. Nous nous remettons à danser jusqu’à ce qu’enfin la permission du Fandango arrive, et me voilà avec ma pareja, qui le dansait à merveille, et qui s’étonne de se voir si bien accompagnée par un étranger. À la fin de cette séduisante danse, qui nous avait mis en feu tous les deux, je la conduis dans l’endroit où l’on servait des rafraîchissements, je lui demande si elle était contente de moi, et je lui dis qu’elle m’avait rendu si amoureux d’elle, que j’en mourrais, si elle ne trouvait le moyen de me rendre heureux, et ne me l’indiquait, en l’assurant que j’étais homme à braver tous les risques. Elle me répond qu’elle ne pouvait penser à me rendre heureux qu’en devenant heureuse elle-même, et qu’elle [m’écrirait comment cela pouvait dépendre de moi dans une lettre qu’elle coudrait entre la doublure, et le dessus du capuchon du domino ; et que je devais donc différer à envoyer le prendre jusqu’à la journée suivante.] » (Histoire de ma vie, III, p. 587-588)

Vol. IX, fol. 77 : Danser le fandango avec Donna Ignacia
Histoire de ma vie

Histoire de ma vie

Histoire de ma vie
Danser le fandango avec Donna Ignacia

Vol. IX, fol. 77 : Danser le fandango avec Donna Ignacia

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Tout au long de son récit, Casanova ne cesse de montrer son goût pour la danse, qu’il fasse à Constantinople une démonstration de furlane, ou qu’il s’essaie au fandango à peine arrivé en Espagne.

Transcription du texte :

« Chapitre V
Mes amours avec Donna lgnazia. Mon emprisonnement à Buon Ritiro. Mon triomphe.
Un inquisiteur d’État de Venise me recommande à l’ambassadeur.
1768

J’entre dans la salle avec la belle Donna Ignacia, nous y faisons plusieurs tours, nous rencontrons partout la garde des soldats, la baïonnette au bout de ses fusils qui se promenait à pas lents partout pour être prête à s’emparer de ceux qui troubleraient la paix par des disputes. Nous dansons jusqu’à dix heures des menuets, et des contredanses, puis nous allons souper gardant tous les deux le silence, elle pour ne pas m’enhardir, peut-être, à lui manquer de respect, moi parce que, ne parlant que très peu l’espagnol, je ne savais que lui dire. Après souper, je vais à la loge où je devais voir la Pichona, et je ne vois que des masques que je ne connaissais pas. Nous nous remettons à danser jusqu’à ce qu’enfin la permission du Fandango arrive, et me voilà avec ma pareja, qui le dansait à merveille, et qui s’étonne de se voir si bien accompagnée par un étranger. À la fin de cette séduisante danse, qui nous avait mis en feu tous les deux, je la conduis dans l’endroit où l’on servait des rafraîchissements, je lui demande si elle était contente de moi, et je lui dis qu’elle m’avait rendu si amoureux d’elle, que j’en mourrais, si elle ne trouvait le moyen de me rendre heureux, et ne me l’indiquait, en l’assurant que j’étais homme à braver tous les risques. Elle me répond qu’elle ne pouvait penser à me rendre heureux qu’en devenant heureuse elle-même, et qu’elle [m’écrirait comment cela pouvait dépendre de moi dans une lettre qu’elle coudrait entre la doublure, et le dessus du capuchon du domino ; et que je devais donc différer à envoyer le prendre jusqu’à la journée suivante.] » (Histoire de ma vie, III, p. 587-588)

Vol. IX, fol. 77 : Danser le fandango avec Donna Ignacia
Visite au peintre Mengs

Vol. IX, fol. 104v : Visite au peintre Mengs

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Raphaël Mengs, que Casanova avait rencontré sept ans plus tôt, à Rome, directeur de l’Académie de peinture, a été appelé par Charles II à Madrid où il est peintre de la cour : le mémorialiste en fait ici un portrait des plus vivants.

Transcription du texte :

« [J’ai osé un jour lui dire que la main d’une figure principale que je voyais sur un de ses tableaux me paraissait manquée parce que le quatrième doigt était plus court  ue l’index. Il me dit qu’il devait l’être, et il me montra sa main ; je me suis mis à rire en lui montrant la mienne, et lui disant que j’étais sûr que ma main était faite comme celle de tous les enfants descendant d’Adam.
– De qui prétendez-vous donc que je descende ?
– Je n’en sais rien ; mais il est certain que vous n’êtes pas de mon espèce.
– C’est vous qui n’êtes pas de la mienne, ni de celle des] autres hommes, car la main de l’homme, et de la femme est généralement faite comme la mienne.
– Je parie cent pistoles que vous avez tort.
Il se lève alors, jetant contre terre sa palette et ses pinceaux, il sonne, ses domestiques montent il regarde leurs mains, et il enrage de les voir toutes avec le quatrième doigt plus long que l’index. Dans ce moment-là, chose fort rare, je l’ai vu rire, et finir la dispute par un bon mot. Je suis charmé de pouvoir me vanter d’être unique en quelque chose.
Une chose sensée que Mengs me dit un jour, et que je n’ai jamais oubliée fut celle-ci. Il avait peint une Magdelaine, qui à la vérité était d’une beauté surprenante. Il y avait dix à douze jours qu’il me disait tous les matins ce soir ce tableau sera fini : il y travaillait jusqu’au soir, et le lendemain je le trouvais occupé au travail du même tableau. Je lui ai demandé un jour s’il s’était donc trompé la veille quand il m’avait dit que le tableau était déjà fini. Non, me dit-il, car il pouvait paraître fini aux yeux de quatre-vingt-dix-neuf de cent connaisseurs qui l’auraient examiné ; mais celui qui m’intéresse le plus est le centième, et je le regarde avec ses yeux. Apprenez qu’au monde il n’y a de tableau fini que relativement. Cette Magdelaine ne sera jamais finie, que lorsque je cesserai d’y travailler, mais elle ne le sera pas réellement, car il est certain que si j’y travaillais un jour de plus elle serait plus finie. Sachez que dans votre Pétrarque même il n’y a pas un seul sonnet qu’on puisse appeler réellement fini. Rien n’est parfait au monde de ce qui sort de la main, ou de l’esprit des hommes, excepté un calcul arithmétique. »

Vol. IX, fol. 104v : Visite au peintre Mengs
Visite au peintre Mengs (suite)

Vol. IX, fol. 105 : Visite au peintre Mengs

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Transcription du texte :

« [J’ai embrassé mon cher Mengs après l’avoir entendu me parler] ainsi ; mais je ne l’ai pas embrassé un autre jour qu’il me dit qu’il désirait d’avoir été Raffael d’Urbin. C’était son grand peintre.
– Comment lui dis-je, pouvez-vous désirer d’avoir été ? Ce désir est contre nature, car ayant existé vous n’existeriez pas. Vous ne pouvez nourrir ce désir qu’en vous figurant d’en jouir à la gloire du Paradis, et dans ce cas-là je vous félicite.
– Point du tout, je voudrais avoir été Raffael, et je ne me soucierais pas d’exister aujourd’hui ni en corps, ni en âme.
– C’est absurde. Pensez-y. Vous ne pouvez pas avoir ce désir, et être pourvu de la faculté de penser.
Il se mit en colère ; il me dit des injures, qui m’ont fait rire. Une autre fois il mit en comparaison le travail d’un poète qui composait une tragédie avec celui d’un peintre qui composait un tableau, où toute la tragédie était peinte dans une seule scène. Après avoir fait l’analyse d’une quantité de différences j’ai conclu en lui disant que le poète tragique était obligé à employer toute l’attention de son âme jusque dans les plus menus détails tandis que le peintre pouvait employer les couleurs sur les superficies des objets en raisonnant sur plusieurs matières avec ses amis qui se tenaient à l’entour de lui ; cela démontre, lui dis-je, que votre tableau est plus l’ouvrage de vos mains, qu’une production de votre âme. Cette circonstance en démontre l’infériorité. Trouvez-moi un poète qui puisse ordonner à son cuisinier ce qu’il veut manger à souper en faisant des vers épiques.
Mengs convaincu devenait brutal ; il s’appelait insulté. Cet homme cependant qui mourut avant l’âge de cinquante ans passera à la postérité comme philosophe, grand stoïcien, savant, et orné de toutes les vertus ; et cela en grâce de sa vie qu’un de ses adorateurs écrivit en la faisant imprimer [en grand in-quarto en très beaux caractères, dédiée au roi d’Espagne. C’est un tissu de mensonges. Laissons-le là à présent, et parlons de mes affaires. Je parlerai de Mengs encore lorsque je le trouverai à Rome dans deux ou trois ans.] » (Histoire de ma vie, III, p. 627-628)

Vol. IX, fol. 105 : Visite au peintre Mengs
Visite au peintre Mengs

Vol. IX, fol. 104v : Visite au peintre Mengs

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Raphaël Mengs, que Casanova avait rencontré sept ans plus tôt, à Rome, directeur de l’Académie de peinture, a été appelé par Charles II à Madrid où il est peintre de la cour : le mémorialiste en fait ici un portrait des plus vivants.

Transcription du texte :

« [J’ai osé un jour lui dire que la main d’une figure principale que je voyais sur un de ses tableaux me paraissait manquée parce que le quatrième doigt était plus court  ue l’index. Il me dit qu’il devait l’être, et il me montra sa main ; je me suis mis à rire en lui montrant la mienne, et lui disant que j’étais sûr que ma main était faite comme celle de tous les enfants descendant d’Adam.
– De qui prétendez-vous donc que je descende ?
– Je n’en sais rien ; mais il est certain que vous n’êtes pas de mon espèce.
– C’est vous qui n’êtes pas de la mienne, ni de celle des] autres hommes, car la main de l’homme, et de la femme est généralement faite comme la mienne.
– Je parie cent pistoles que vous avez tort.
Il se lève alors, jetant contre terre sa palette et ses pinceaux, il sonne, ses domestiques montent il regarde leurs mains, et il enrage de les voir toutes avec le quatrième doigt plus long que l’index. Dans ce moment-là, chose fort rare, je l’ai vu rire, et finir la dispute par un bon mot. Je suis charmé de pouvoir me vanter d’être unique en quelque chose.
Une chose sensée que Mengs me dit un jour, et que je n’ai jamais oubliée fut celle-ci. Il avait peint une Magdelaine, qui à la vérité était d’une beauté surprenante. Il y avait dix à douze jours qu’il me disait tous les matins ce soir ce tableau sera fini : il y travaillait jusqu’au soir, et le lendemain je le trouvais occupé au travail du même tableau. Je lui ai demandé un jour s’il s’était donc trompé la veille quand il m’avait dit que le tableau était déjà fini. Non, me dit-il, car il pouvait paraître fini aux yeux de quatre-vingt-dix-neuf de cent connaisseurs qui l’auraient examiné ; mais celui qui m’intéresse le plus est le centième, et je le regarde avec ses yeux. Apprenez qu’au monde il n’y a de tableau fini que relativement. Cette Magdelaine ne sera jamais finie, que lorsque je cesserai d’y travailler, mais elle ne le sera pas réellement, car il est certain que si j’y travaillais un jour de plus elle serait plus finie. Sachez que dans votre Pétrarque même il n’y a pas un seul sonnet qu’on puisse appeler réellement fini. Rien n’est parfait au monde de ce qui sort de la main, ou de l’esprit des hommes, excepté un calcul arithmétique. »

Vol. IX, fol. 104v : Visite au peintre Mengs
Visite au peintre Mengs (suite)

Vol. IX, fol. 105 : Visite au peintre Mengs

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Transcription du texte :

« [J’ai embrassé mon cher Mengs après l’avoir entendu me parler] ainsi ; mais je ne l’ai pas embrassé un autre jour qu’il me dit qu’il désirait d’avoir été Raffael d’Urbin. C’était son grand peintre.
– Comment lui dis-je, pouvez-vous désirer d’avoir été ? Ce désir est contre nature, car ayant existé vous n’existeriez pas. Vous ne pouvez nourrir ce désir qu’en vous figurant d’en jouir à la gloire du Paradis, et dans ce cas-là je vous félicite.
– Point du tout, je voudrais avoir été Raffael, et je ne me soucierais pas d’exister aujourd’hui ni en corps, ni en âme.
– C’est absurde. Pensez-y. Vous ne pouvez pas avoir ce désir, et être pourvu de la faculté de penser.
Il se mit en colère ; il me dit des injures, qui m’ont fait rire. Une autre fois il mit en comparaison le travail d’un poète qui composait une tragédie avec celui d’un peintre qui composait un tableau, où toute la tragédie était peinte dans une seule scène. Après avoir fait l’analyse d’une quantité de différences j’ai conclu en lui disant que le poète tragique était obligé à employer toute l’attention de son âme jusque dans les plus menus détails tandis que le peintre pouvait employer les couleurs sur les superficies des objets en raisonnant sur plusieurs matières avec ses amis qui se tenaient à l’entour de lui ; cela démontre, lui dis-je, que votre tableau est plus l’ouvrage de vos mains, qu’une production de votre âme. Cette circonstance en démontre l’infériorité. Trouvez-moi un poète qui puisse ordonner à son cuisinier ce qu’il veut manger à souper en faisant des vers épiques.
Mengs convaincu devenait brutal ; il s’appelait insulté. Cet homme cependant qui mourut avant l’âge de cinquante ans passera à la postérité comme philosophe, grand stoïcien, savant, et orné de toutes les vertus ; et cela en grâce de sa vie qu’un de ses adorateurs écrivit en la faisant imprimer [en grand in-quarto en très beaux caractères, dédiée au roi d’Espagne. C’est un tissu de mensonges. Laissons-le là à présent, et parlons de mes affaires. Je parlerai de Mengs encore lorsque je le trouverai à Rome dans deux ou trois ans.] » (Histoire de ma vie, III, p. 627-628)

Vol. IX, fol. 105 : Visite au peintre Mengs
Arrestation en Espagne

Vol. IX, fol. 154v : Arrestation en Espagne

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Casanova ne se sépare pas de ses cahiers et papiers qui voyagent avec lui : en Espagne, leur masse surprend le sbire venu procéder à son arrestation.

Transcription du texte :

« [Je conte à ce bon vieillard tout ce qui venait de m’arriver, et en même temps. Je me rassure que le coup de feu m’avait manqué ; mais je trouve évidemment deux trous dans la redingote au-dessous de l’aisselle.
– Je vais me coucher, lui dis-je, et je vous laisse aussi la redingote. Demain matin ce sera vous-même en qualité de témoin qui viendrez avec moi devant le magistrat compétent pour dénoncer cet assassinat, car s’il y a un homme de tué, l’on verra que je n’ai fait cela que pour défendre ma vie.
– Je crois que vous feriez mieux à partir d’abord.]
– Vous croyez donc que l’affaire n’est pas comme je vous l’ai rendue ?
– Je crois tout ; mais partez, car je vois d’où ce coup part, et Dieu sait ce qui va vous arriver.
– Il ne m’arrivera rien. Si je partais, on me jugerait coupable. Ayez soin de cette épée, et de ce manteau. On a voulu m’assassiner. C’est aux assassins à avoir peur.
Je vais me coucher, et à sept heures du matin j’entends frapper à ma porte. Je vais ouvrir, et un officier entre avec l’hôte.
– Donnez-moi, me dit-il, tous vos papiers, habillez-vous, et venez avec moi. Si vous résistez, je ferai monter mes gens.
– Par ordre de qui venez-vous me demander mes papiers ?
– Par ordre du gouvernement. On vous les rendra s’il n’y a rien qui puisse empêcher de vous les rendre.
– Et où irai-je avec vous ?
– Aux arrêts à la citadelle.
J’ouvre ma malle, et cet homme reste étonné de voir qu’elle était deux tiers au moins remplie de cahiers. J’ôte mes habits, et mes chemises, que je consigne à l’hôte, et je lui abandonne la malle en lui donnant les clefs. Il me dit de mettre dans un portemanteau ce qui peut m’être nécessaire pour la nuit, et il ordonne à l’hôte de m’envoyer un lit. Il me demande si j’ai des papiers dans les poches, et je lui réponds que non, lui faisant voir que je n’avais que mes passeports. Il me dit avec un sourire amer que c’était principalement mes passeports qu’il voulait avoir.
– Mes passeports sont sacrés ; je ne les donnerai qu’au gouverneur général, ou vous m’arracherez la vie. Respectez votre Roi : voilà son passeport, voilà celui du comte d’Aranda, et voilà celui de l’ambassadeur de Venise. On vous ordonne de me respecter. »

Vol. IX, fol. 154v : Arrestation en Espagne
Arrestation en Espagne (suite)

Vol. IX, fol. 155 : Arrestation en Espagne

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Transcription du texte :

« [Vous] ne les aurez qu’après que vous m’aurez fait lier bras et jambes.
– Modérez-vous. En me les donnant, c’est comme si vous les donniez à S. E ., et si vous résistez, je ne vous ferai pas lier bras, et jambes, mais je vous ferai conduire au palais, où vous serez obligé de les donner en public. Donnez-les-moi, et je vous ferai quittance.
L’hôte me dit qu’il valait mieux céder, que je ne risquais rien, et que mes passeports ne pouvaient que m’être favorables, et je fus persuadé. Il me fit quittance, que j’ai mise dans mon portefeuille qu’il m’a laissé par charité, et je suis parti de l’auberge avec lui, n’étant suivi de six sbires que de loin. Me souvenant de Madrid, je me trouvais traité humainement. L’officier m’ayant dit que je pouvais ordonner à l’hôte de m’envoyer à manger, je lui ai dit de m’envoyer à dîner et à souper. Il me prêta un manteau, car je n’ai pas voulu le mien percé en deux endroits par une balle, et chemin faisant j’ai raconté à ce chef de sbires tout ce qui m’était arrivé à minuit. Il m’écouta attentivement sans jamais me répondre un seul mot.
À la citadelle, il me consigna à un officier militaire, qui me mit dans une chambre sans meubles à un premier étage, dont les fenêtres sans grille donnaient sur la place. Un soldat m’y enferma. Un moment après un soldat me porta mon sac de nuit, et un quart d’heure après on me porta un lit excellent avec une couverture de damas cramoisi outre deux autres, car le 16 de Novembre le froid commençait à se faire sentir. Resté seul, me voilà occupé par les réflexions. » (Histoire de ma vie, III, p. 692-693)

Vol. IX, fol. 155 : Arrestation en Espagne
Arrestation en Espagne

Vol. IX, fol. 154v : Arrestation en Espagne

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Casanova ne se sépare pas de ses cahiers et papiers qui voyagent avec lui : en Espagne, leur masse surprend le sbire venu procéder à son arrestation.

Transcription du texte :

« [Je conte à ce bon vieillard tout ce qui venait de m’arriver, et en même temps. Je me rassure que le coup de feu m’avait manqué ; mais je trouve évidemment deux trous dans la redingote au-dessous de l’aisselle.
– Je vais me coucher, lui dis-je, et je vous laisse aussi la redingote. Demain matin ce sera vous-même en qualité de témoin qui viendrez avec moi devant le magistrat compétent pour dénoncer cet assassinat, car s’il y a un homme de tué, l’on verra que je n’ai fait cela que pour défendre ma vie.
– Je crois que vous feriez mieux à partir d’abord.]
– Vous croyez donc que l’affaire n’est pas comme je vous l’ai rendue ?
– Je crois tout ; mais partez, car je vois d’où ce coup part, et Dieu sait ce qui va vous arriver.
– Il ne m’arrivera rien. Si je partais, on me jugerait coupable. Ayez soin de cette épée, et de ce manteau. On a voulu m’assassiner. C’est aux assassins à avoir peur.
Je vais me coucher, et à sept heures du matin j’entends frapper à ma porte. Je vais ouvrir, et un officier entre avec l’hôte.
– Donnez-moi, me dit-il, tous vos papiers, habillez-vous, et venez avec moi. Si vous résistez, je ferai monter mes gens.
– Par ordre de qui venez-vous me demander mes papiers ?
– Par ordre du gouvernement. On vous les rendra s’il n’y a rien qui puisse empêcher de vous les rendre.
– Et où irai-je avec vous ?
– Aux arrêts à la citadelle.
J’ouvre ma malle, et cet homme reste étonné de voir qu’elle était deux tiers au moins remplie de cahiers. J’ôte mes habits, et mes chemises, que je consigne à l’hôte, et je lui abandonne la malle en lui donnant les clefs. Il me dit de mettre dans un portemanteau ce qui peut m’être nécessaire pour la nuit, et il ordonne à l’hôte de m’envoyer un lit. Il me demande si j’ai des papiers dans les poches, et je lui réponds que non, lui faisant voir que je n’avais que mes passeports. Il me dit avec un sourire amer que c’était principalement mes passeports qu’il voulait avoir.
– Mes passeports sont sacrés ; je ne les donnerai qu’au gouverneur général, ou vous m’arracherez la vie. Respectez votre Roi : voilà son passeport, voilà celui du comte d’Aranda, et voilà celui de l’ambassadeur de Venise. On vous ordonne de me respecter. »

Vol. IX, fol. 154v : Arrestation en Espagne
Arrestation en Espagne (suite)

Vol. IX, fol. 155 : Arrestation en Espagne

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Transcription du texte :

« [Vous] ne les aurez qu’après que vous m’aurez fait lier bras et jambes.
– Modérez-vous. En me les donnant, c’est comme si vous les donniez à S. E ., et si vous résistez, je ne vous ferai pas lier bras, et jambes, mais je vous ferai conduire au palais, où vous serez obligé de les donner en public. Donnez-les-moi, et je vous ferai quittance.
L’hôte me dit qu’il valait mieux céder, que je ne risquais rien, et que mes passeports ne pouvaient que m’être favorables, et je fus persuadé. Il me fit quittance, que j’ai mise dans mon portefeuille qu’il m’a laissé par charité, et je suis parti de l’auberge avec lui, n’étant suivi de six sbires que de loin. Me souvenant de Madrid, je me trouvais traité humainement. L’officier m’ayant dit que je pouvais ordonner à l’hôte de m’envoyer à manger, je lui ai dit de m’envoyer à dîner et à souper. Il me prêta un manteau, car je n’ai pas voulu le mien percé en deux endroits par une balle, et chemin faisant j’ai raconté à ce chef de sbires tout ce qui m’était arrivé à minuit. Il m’écouta attentivement sans jamais me répondre un seul mot.
À la citadelle, il me consigna à un officier militaire, qui me mit dans une chambre sans meubles à un premier étage, dont les fenêtres sans grille donnaient sur la place. Un soldat m’y enferma. Un moment après un soldat me porta mon sac de nuit, et un quart d’heure après on me porta un lit excellent avec une couverture de damas cramoisi outre deux autres, car le 16 de Novembre le froid commençait à se faire sentir. Resté seul, me voilà occupé par les réflexions. » (Histoire de ma vie, III, p. 692-693)

Vol. IX, fol. 155 : Arrestation en Espagne
Fin du manuscrit

Vol. X, fol. 132v : Fin du manuscrit

Plus de détails sur la page

C’est sur le souvenir d’Irène, une actrice retrouvée après plusieurs années, et sur sa fille, que s’achève le manuscrit d’Histoire de ma vie.

Transcription du texte :

« [Un beau matin, elle se rencontra avec le baron Pitoni] qui aimant autant que moi les petites filles, prit du goût pour celle d’Irène, et pria la mère de lui faire quelquefois le même honneur qu’elle me faisait. Je l’ai encouragée à recevoir l’offre, et le baron en devint amoureux. Ce fut un bonheur pour Irène, car vers la fin du carnaval elle fut accusée, et le baron l’aurait abandonnée à la rigueur des lois de la police, si étant devenu son ami, il ne l’eût avertie de cesser de jouer. On n’a pas pu la mettre à l’amende, car quand on est allé pour la surprendre on ne trouva personne.
Au commencement du carême elle partit avec toute la troupe, et trois ans après je l’ai vue à Padoue où j’ai fait avec sa fille une connaissance beaucoup plus tendre. » (Histoire de ma vie, III, p. 1053)

Vol. X, fol. 132v : Fin du manuscrit
Histoire de ma vie

Histoire de ma vie

Histoire de ma vie
Fin du manuscrit

Vol. X, fol. 132v : Fin du manuscrit

Plus de détails sur la page

C’est sur le souvenir d’Irène, une actrice retrouvée après plusieurs années, et sur sa fille, que s’achève le manuscrit d’Histoire de ma vie.

Transcription du texte :

« [Un beau matin, elle se rencontra avec le baron Pitoni] qui aimant autant que moi les petites filles, prit du goût pour celle d’Irène, et pria la mère de lui faire quelquefois le même honneur qu’elle me faisait. Je l’ai encouragée à recevoir l’offre, et le baron en devint amoureux. Ce fut un bonheur pour Irène, car vers la fin du carnaval elle fut accusée, et le baron l’aurait abandonnée à la rigueur des lois de la police, si étant devenu son ami, il ne l’eût avertie de cesser de jouer. On n’a pas pu la mettre à l’amende, car quand on est allé pour la surprendre on ne trouva personne.
Au commencement du carême elle partit avec toute la troupe, et trois ans après je l’ai vue à Padoue où j’ai fait avec sa fille une connaissance beaucoup plus tendre. » (Histoire de ma vie, III, p. 1053)

Vol. X, fol. 132v : Fin du manuscrit
Histoire de ma vie

Histoire de ma vie

Histoire de ma vie
Casanova XII (couverture verso)
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Depuis 1785, Casanova est bibliothécaire au château de Dux, en Bohême. Il a accepté la proposition du comte de Waldstein, seul moyen de survie économique, et mis un terme à sa vie d’aventures. Isolé la plus grande partie de l’année, il s’adonne à partir de 1789, pour ne pas sombrer dans la mélancolie, à la rédaction en français de ses mémoires, et y consacre l’essentiel de son temps. Il y travaille jusqu’à sa mort et forge, au fil de quelque 3 700 pages, ce personnage de légende. Bien qu’il ait toujours été publié en douze volumes, le manuscrit d’Histoire de ma vie en compte dix, comme si Casanova, en organisant son texte, avait voulu en faire une sorte de Decameron.