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Wang Xizhi, prince des calligraphes

Estampage d'une gravure sur pierre représentant la réunion au Pavillon des orchidées
Estampage d'une gravure sur pierre représentant la réunion au Pavillon des orchidées

© Bibliothèque nationale de France

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L’histoire de la calligraphie chinoise est marquée par une longue évolution au cours de laquelle se sont imposées de brillantes figures. Tel est le cas de Wang Xizhi (321-379 ou 303-361), surnommé le prince des calligraphes, le saint ou le sage de la calligraphie, sorte de père fondateur de cet art conçu comme une forme d’expression individuelle.

Wang Xizhi fit, et fait encore l’objet d’une ferveur quasi religieuse unanimement partagée, particulièrement par les empereurs de la Chine impériale. Il incarna l’image idéale du lettré sachant, par le truchement de son pinceau, exprimer la profondeur de ses sentiments intimes. Il excella dans le style dit courant, xingshu, et dans le style cursif, caoshu.

Un lettré raffiné

L’homme vécut entre 303 et 361 et fit carrière au cours de la dynastie des Jin orientaux (317-420) ; issu d’une famille aristocratique de la province du Shandong, il émigra lorsque la cour dut fuir la Chine du Nord et établir sa nouvelle capitale dans le Sud, à Nanjing. Wang Xizhi obtint le grade de youjun jiangjun (général de l’armée de droite), titre par lequel il est souvent nommé ; il représente le type même du lettré méridional, avide de nature et de liberté, se faisant une règle de ne suivre que son inclination, pratiquant les arts raffinés de la poésie, de la musique et de la calligraphie. Attiré par le bouddhisme, il fut surtout un adepte de la secte taoïste du Maître céleste, Tianshi dao, comme le prouve aussi la syllabe « zhi » de son nom.
Il dut sa formation calligraphique première à une femme, Dame Wei, nommée aussi Épouse Li, cousine du célèbre calligraphe Wei Heng, de l’époque des Jin, qui avait lui-même suivi l’enseignement de Zhong You, autre maître réputé.

Lantingxu
Lantingxu |

© Bibliothèque nationale de France

Une renommée exceptionnelle

Wang Xizhi n’est pas le seul maître dont on ait conservé le souvenir au cours de cette époque où la calligraphie était une activité culturelle de premier plan. Sans doute resté le plus populaire, il demeure une figure patriarcale. Son style se généralisa et s’imposa comme un standard après la réunification de l’Empire chinois à partir de la fin du 6e siècle.
Wang Xizhi connut la gloire de son vivant, ses œuvres entrant simultanément dans les collections impériales et dans la légende. Il était déjà fidèlement copié par ses contemporains. La demande pour ses œuvres s’intensifia dans les décennies qui suivirent sa mort et les copies ainsi que les faux commencèrent à circuler.

Un style imposé comme standard

Loin de sombrer dans l’oubli après sa mort, l’œuvre de ce dernier continua d’être appréciée au sud de la Chine pendant deux siècles. Sous les Tang, son renom atteignit le Nord et s’imposa comme référence à tous les lettrés de l’Empire. Sa célébrité fut renforcée par son plus ardent admirateur, l’empereur Tang Taizong (r. 627-649), lui-même excellent calligraphe, pour qui Wang Xizhi représentait la quintessence de cet art. À partir de son règne, le style du maître fut imposé comme standard esthétique inégalé. L’empereur amassa une collection d’originaux de Wang d’une ampleur exceptionnelle : il commanda aussi aux meilleurs pinceaux de la cour un nombre important de doubles qui furent distribués comme modèles. L’un des ministres impériaux était le calligraphe Chu Suiliang (596-658), occupant la fonction d’expert des œuvres de Wang, réputé pour son discernement infaillible, il compila le premier grand catalogue comprenant deux-cent soixante-six calligraphies pouvant lui être attribuées.

L’inscription de la source chaude
L’inscription de la source chaude |

© Bibliothèque nationale de France

Un succès paradoxal

Le succès de l’œuvre de Wang Xizhi est très paradoxal. Le style de ce fin lettré épanchant ses sentiments les plus fugaces à la pointe de son pinceau devint un étalon catalogué, étatisé, copié et recopié de la manière la plus servile. Cet homme épris de liberté qui était d’obédience taoïste fut vénéré et imité des lettrés confucéens et des fonctionnaires d’État. Mais, comme le remarque très justement Hsiung Ping-ming : « Finalement les caractères de Wang Xizhi reflètent-ils l’esprit taoïste ou l’esprit confucéen ? […] le coup de pinceau de Wang est comme la théorie de la bonté de l’homme dont parle Meng zi ou la philosophie de la nature évoquée par Zhuang Zhou : de quelque point de vue que l’on en discute, c’est toujours aussi parfait […]. La calligraphie de Wang ne peut donc être limitée à la théorie d’une seule pensée ». Il ne se trouve guère de critiques à cet artiste universellement admiré.
Le second paradoxe concernant Wang Xizhi est qu’aucune œuvre du maître n’est parvenue jusqu’à nous. Nous ne disposons que de copies, voire de copies de copies, ou de gravures d’après copies, ou encore de montages d’œuvres qu’il ne composa jamais, pièces cependant très précieusement transmises entre générations. Une grande partie du mythe de Wang Xizhi repose sur la filiation et la transmission.

Préface des saints enseignements
Préface des saints enseignements |

© Bibliothèque nationale de France

Essai en mille caractères
Essai en mille caractères |

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Une légende : la Préface au Pavillon des Orchidées

L’empereur Taizong, de la dynastie des Tang, exigea que toutes les calligraphies autographes connues de Wang Xizhi soient réunies dans ses collections privées. Il instaura une sorte de monopole d’État sur ces œuvres et ceux qui en possédaient étaient contraints de les offrir ou de les dissimuler avec soin. Malgré sa quête à travers l’Empire, le plus célèbre des écrits échappait encore à l’empereur, le Lantingxu, la Préface au Pavillon des orchidées. Un mythe entoure sa récupération ainsi que sa disparition définitive. Ce document tant convoité, qui faisait cruellement défaut à la collection impériale, fut obtenu par un subterfuge : au 6e siècle, le texte était conservé par le moine Zhi Yong, descendant à la septième génération du maître qui, en mourant, le légua à son disciple. Ce dernier le dissimula derrière une poutre de sa maison et malgré les ordres impériaux feignit l’ignorance. L’empereur envoya un habile émissaire qui gagna jour après jour la confiance du moine, alors âgé de quatre-vingts ans, jusqu’à ce que, trompé dans sa vigilance, le possesseur exhibe son précieux rouleau. Profitant de son absence, l’émissaire impérial le déroba et le rapporta à l’empereur qui le récompensa largement ; le moine abusé ne survécut pas à cette perte irréparable.

Estampage d'une gravure sur pierre représentant la réunion au Pavillon des orchidées
Estampage d'une gravure sur pierre représentant la réunion au Pavillon des orchidées |

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Des copies de copies

La Préface disparut à nouveau. On raconte que cet original aurait été enterré dans le tombeau impérial. Entre-temps, Tang Taizong l’avait fait copier par les plus grands calligraphes de l’Empire. Il n’est pas certain, mais d’aucun l’affirment, que l’empereur le fit aussi graver sur pierre. La meilleure copie est la version dite Dingwu, issue d’une gravure sur pierre retrouvée au 11e siècle. Les nombreuses répliques qui circulèrent depuis le règne de Taizong furent à leur tour imitées : ainsi, un collectionneur du 13e siècle pouvait-il se vanter d’en posséder cent dix-sept copies.

Œuvre la plus célèbre, cette Préface rapporte qu’au soir d’une journée de loisir où une fine bande d’amis lettrés s’était livrée, au milieu d’un jardin idyllique, aux joies de la composition poétique, Wang voulut en immortaliser le souvenir en réunissant l’ensemble des poèmes. Sous l’effet de l’inspiration qui jaillit en cet instant privilégié, il composa la préface à l’anthologie. Jamais auparavant, semble-t-il, une telle adéquation entre les émotions personnelles et le style d’écriture ne s’était si parfaitement exprimée. Quant aux autres calligraphies du maître, il s’agit souvent de sa correspondance privée, genres épistolaire et calligraphique qui permettent de partager son intimité.

Un modèle inépuisable

L’empereur Taizong (939-997, r. 976), de la dynastie des Song du Nord, fut à l’origine d’un grand recueil de calligraphies gravées sur pierre et tirées en estampages, le Chunhua bige fatie, achevé en 992, constitué pour moitié de calligraphies de Wang Xizhi – dont cent soixante lettres – et de son fils Xianzhi. Par ce biais, la domination des Wang, encouragée par l’autorité impériale, continua à s’exercer sur le monde calligraphique. Le peintre et calligraphe Zhao Mengfu (1254-1322) rapporta que sous les Song du Nord tous les lettrés possédaient une copie de la Préface et que si elle venait à leur manquer, les collectionneurs n’hésitaient pas à la faire regraver. Ainsi se multiplièrent les versions d’inégale qualité. On raconte que l’empereur Gaozong (1107-1187, r. 1127-1162), de la dynastie des Song du Sud, qui supervisait étroitement l’apprentissage calligraphique de son fils, le futur empereur Xiaozong, lui aurait donné une copie de sa main de la Préface avec l’instruction de la recopier cinq cents fois. Lui-même pratiqua quotidiennement la calligraphie pendant un demi-siècle et considérait le Lantingxu comme un modèle inépuisable.
Les exemples de copies calligraphiques à usage religieux retrouvées à Dunhuang abondaient. Avec Wang Xizhi s’impose la copie à usage esthétique, sa Préface au Pavillon des orchidées a sans doute été l’un des textes le plus souvent copiés au monde.

Sûtra du diamant
Sûtra du diamant |

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