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Art et politique sous les Qing

Édition impériale de l’Éloge de la ville de Moukden
Édition impériale de l’Éloge de la ville de Moukden

Bibliothèque nationale de France

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Sous la dynastie Qing (1644-1911), les souverains favorisèrent le livre et les Presses impériales, mais diffusèrent également l’idéologie impériale par le biais de l’image.

Les empereurs de la dynastie des Qing mobilisèrent des centaines de lettrés pour constituer les plus vastes compilations littéraires jamais réalisées au monde et accordèrent des moyens considérables aux Presses impériales. Commandés personnellement par les souverains, les ouvrages manuscrits ou imprimés faisaient souvent l’objet de leurs soins attentifs ; ils en suivaient la progression, intervenaient à l’occasion et se plaisaient à en composer les préfaces.

La représentation d’un État bien gouverné

Tableaux du labourage et du tissage : La trame
Tableaux du labourage et du tissage : La trame |

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Il est naturel, dans ces conditions, que des projets éditoriaux élaborés à l’ombre du pouvoir aient servi à renforcer l’autorité impériale en place, notamment en produisant des œuvres de prestige capables de diffuser un message politique par un biais artistique ; ces publications montrant combien les empereurs mandchous partageaient les valeurs culturelles des Chinois – pour qui l’écrit est le critère même de la civilisation – leur permettaient d’asseoir leur légitimité. Ces ouvrages illustrent par l’image le thème du bon gouvernement de l’Empire des Qing et démontrent au fil des pages que, d’une part, l’État est bien administré à l’intérieur puisque la paix y règne et que les activités nécessaires à la vie se déroulent selon l’ordre naturel et, d’autre part, que la conduite politique et militaire dans les marges du pays est juste puisque tous les peuples « sous le ciel » apportent des tributs au grand Empire central et unifié.

Les messages politiques passent par l’image

Édition impériale de l’Éloge de la ville de Moukden
Édition impériale de l’Éloge de la ville de Moukden |

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Les messages politiques peuvent être formulés avec des mots, comme dans l’Éloge de la ville de Moukden, mais ils passent aussi plus subtilement par l’illustration. Deux ouvrages, l’un de Kangxi, l’autre de Qianlong, soucieux d’attacher leur nom à des thèmes picturaux très anciens, régénèrent des sujets traditionnels vieux de plusieurs siècles, puisque l’idée de représenter des peuples tributaires remonte au 6e siècle et que les séries de peintures montrant les activités agricoles et séricicoles se basent sur un recueil du 12e siècle. Dans les albums, notamment sous les Ming, les artistes chinois ont largement exploité les différentes alliances possibles entre la poésie, la calligraphie et la peinture : l’image renforce le pouvoir des mots, celui-ci est appuyé par la prosodie qui se déclame et se mémorise facilement et la calligraphie rend cet ensemble harmonieux. C’est dans cette tradition que prend place l’album de Kangxi.

Le Tableau des peuples tributaires ne s’exprime pas en vers délicats parce que l’ouvrage répond à un besoin encyclopédique ambitieux ; son traitement pictural et sa conception systématique le rattachent aux recueils de bronzes car tout comme Qianlong entendait disposer d’un catalogue montrant avec précision toutes les pièces de sa formidable collection, la plus grande jamais constituée, cet empereur voulait aussi répertorier tous les peuples de l’univers qui faisaient allégeance au plus formidable Empire du monde – les frontières de ce pays immense, faut-il le rappeler, n’ayant jamais été aussi étendues que sous son règne. Ces publications de prestige manifestaient de manière éclatante la vérité qu’elles voulaient transmettre, les images s’ajoutant au pouvoir des mots en faisaient des témoins durables pour les siècles à venir. Les splendides copies sur soie étaient destinées à garnir les étagères des bibliothèques impériales, mais, recopiées au trait, elles furent également diffusées par les Presses impériales.

Tableau des peuples tributaires de la grande dynastie impériale des Qing
Tableau des peuples tributaires de la grande dynastie impériale des Qing |

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Tableau des peuples tributaires de la grande dynastie impériale des Qing
Tableau des peuples tributaires de la grande dynastie impériale des Qing |

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L’éloge des capitales

Les empereurs mandchous de la dynastie des Quing firent réaliser des œuvres, fascinantes à plus d’un titre, qui sont des panégyriques littéraires ou picturaux à la gloire de leurs trois capitales et par conséquent du monarque absolu qui les occupe.

Yuanmingyuan, le jardin de la Clarté parfaite
Yuanmingyuan, le jardin de la Clarté parfaite |

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Les trois capitales des Qing (1644-1911), en Chine du Nord

La dynastie mandchoue établit trois capitales réparties dans les régions septentrionales de l’Empire : l’une était située sur les terres ancestrales qui virent se développer la puissance des Mandchous, autour de la ville de Moukden, selon la prononciation locale, appelée actuellement Shenyang, en Mandchourie.

Paysage chinois
Paysage chinois |

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Paysage chinois
Paysage chinois |

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Une autre fut établie en Mongolie intérieure, sur le territoire de Chengde ou Rehe – le Jehol rapporté par les récits des Européens –, à proximité des vastes steppes où avaient lieu les grandes chasses impériales d’automne engageant jusqu’à 10 000 participants. Kangxi y fit bâtir, à partir d’une simple résidence temporaire parmi d’autres, le « hameau de montagne pour fuir la chaleur ». Sous ce nom modeste se cachait une splendide résidence dans un vaste parc savamment aménagé, idéal pour échapper non seulement à l’été caniculaire de Pékin mais également à l’étiquette rigide imposée dans la Cité interdite. Kangxi y renouait avec les préceptes de simplicité de ses ancêtres et pratiquait les activités martiales favorites de ce peuple de nomades. Depuis ce lieu paisible où il résidait de nombreux mois durant, il continuait à diriger les affaires du pays, n’étant qu’à une journée de cheval du centre administratif de Pékin.

Marche ordinaire de l’empereur de la Chine lorsqu’il passe dans la ville de Péking
Marche ordinaire de l’empereur de la Chine lorsqu’il passe dans la ville de Péking |

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Pékin était la troisième capitale que l’empereur occupait lorsqu’il rentrait de ses chasses ou de ses voyages d’inspection dans le Sud : sis en territoire traditionnellement chinois, Pékin fut édifié à partir de 1406 et habité par vingt-quatre souverains de la dynastie précédente des Ming. Les empereurs y disposaient de deux complexes de palais, dont l’un occupant 720 000 m2, aménagé selon un axe qui s’étendait du sud vers le nord, était ceint d’une muraille rouge haute d’une dizaine de mètres, qui lui valut le nom de Zijincheng, « Cité pourpre interdite ». Des quartiers réservés aux soldats mandchous et à leurs familles réparties en « bannières », l’encerclaient, tandis que la ville chinoise s’étendait plus au sud.

Carte complète de la capitale
Carte complète de la capitale |

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Carte générale des quartiers des huit bannières
Carte générale des quartiers des huit bannières |

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Mais, ayant passé quelques mois d’hiver dans cette austère et grandiose architecture toute empreinte de cérémonial, les maîtres de l’Empire préféraient demeurer à une dizaine de kilomètres du centre, dans l’admirable résidence que l’on a, en Occident, pris l’habitude de nommer Palais d’été, constitué de nombreuses villas disséminées dans un parc, édifiées pendant plusieurs générations. L’exiguïté des jardins privés dans la Cité interdite contrastait avec l’étendue des parcs de Jehol ou du Palais d’été. Au-delà de leur intérêt politique ou architectural, l’évocation de ces capitales est ici d’ordre littéraire et artistique parce qu’elles furent immortalisées par d’importantes œuvres impériales.

Chengde

Édition impériale des Trente-six vues et des poésies du Hameau de montagne pour fuir la chaleur
Édition impériale des Trente-six vues et des poésies du Hameau de montagne pour fuir la chaleur |

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Pour ce qui est de Chengde, que Kangxi affectionnait particulièrement, le souverain demanda à ses peintres de restituer, dans des tableaux, les plus beaux points de vue scéniques de son domaine. Il accompagna les images de poésies que ces lieux de beauté et de sérénité lui inspiraient, s’inscrivant dans la pure tradition chinoise développée par les lettrés dans les albums depuis les Ming. Les poèmes accompagnés de dessins furent publiés en version chinoise ainsi que mandchoue. Kangxi, d’une grande curiosité intellectuelle, ordonna au missionnaire Matteo Ripa d’en réaliser les planches selon la technique encore inconnue en Chine de la gravure à l’eau-forte, première tentative de marier deux grandes traditions artistiques.

Éloge de la ville de Moukden (Shenyang)

Édition impériale de l’Éloge de la ville de Moukden
Édition impériale de l’Éloge de la ville de Moukden |

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Quant à la capitale de Shenyang, elle fut le sujet d’un poème épique composé en mandchou par l’empereur Qianlong, petit-fils de Kangxi, ode tout à la gloire du berceau de la culture de ses ancêtres, mais fortement imprégnée d’idéologie politique confucéenne. L’œuvre fut également diffusée dans l’Empire d’une manière encore inédite sous forme d’un étonnant exercice de styles calligraphiques : le même texte, répété trente-deux fois dans des graphies très imaginatives, circula dans des versions en chacune des deux langues officielles, afin peut-être de donner quelques lettres de noblesse à une calligraphie mandchoue inexistante en la plaçant sur un pied d’égalité avec la chinoise. Cet Éloge de la ville de Moukden est un texte portant sur la fondation, la montée en puissance et l’accession au pouvoir suprême des « Très Purs », dont le contenu s’inspire d’une idéologie politique chinoise deux fois millénaire.

Pékin : l’apothéose d’un règne

Première série des cérémonies du soixantième anniversaire de l’empereur Kangxi
Première série des cérémonies du soixantième anniversaire de l’empereur Kangxi |

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Première série des cérémonies du soixantième anniversaire de l’empereur Kangxi
Première série des cérémonies du soixantième anniversaire de l’empereur Kangxi |

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Enfin, la troisième capitale, Pékin, fut peinte sur de grands métrages de soie pour commémorer l’extraordinaire célébration en 1713 du soixantième anniversaire de son souverain Kangxi. La procession de l’auguste palanquin à travers les rues de la ville peut être suivie pas à pas sur deux immenses rouleaux où se manifeste l’allégresse obligée de tout un peuple. La Bibliothèque conserve, depuis plus de deux siècles, un rouleau envoyé au ministre Bertin qui est un extrait. Le dessin original continu, de quelque soixante mètres de long, fut intégralement recopié au trait noir dans des livres pouvant s’enorgueillir de contenir la plus grande illustration au monde.

Un autre document d’intérêt exceptionnel fut consacré à la gloire du fameux Palais d’été situé dans le faubourg nord-ouest de Pékin. Qianlong qui, à la suite de ses prédécesseurs, en poursuivit les aménagements, commanda à ses peintres de cour de réaliser un album sur soie de format exceptionnel qu’il accompagna de ses poésies aux allusions savantes, trop raffinées pour être complètement intelligibles. Cet ouvrage lui fut présenté en 1747, dans la même décennie où était produit l’Éloge de la ville de Moukden. Sur une parcelle du Palais d’été, constitué en fait de trois complexes de jardins et de villas, fut également bâtie pour le plaisir solitaire du Fils du Ciel une suite de bâtiments et de jardins de style italo-français, agrémentés de fontaines et buffets d’eau que l’empereur ordonna de graver en taille-douce sur vingt planches.

Tableau commémoratif de la noble Dame Lai accueillant le palanquin impérial
Tableau commémoratif de la noble Dame Lai accueillant le palanquin impérial |

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Le soixantième anniversaire de l’empereur Kangxi

L’empereur Kangxi, né en 1654, fêta en grande pompe son soixantième anniversaire par une entrée triomphale dans Pékin, le 11 avril 1713. Une période de soixante ans marque, en Chine, l’accomplissement d’un cycle complet, comme chez nous un siècle. En célébrant la remarquable longévité de l’empereur Kangxi, signe céleste manifeste d’une vie réussie, on faisait en même temps l’éloge de son règne. Un imposant ouvrage commémoratif, dont un extrait de l’édition imprimée et une déclinaison en peinture conservent la mémoire de l’événement.

Palais européens du Yuanmingyuan, le jardin de la Clarté parfaite
Palais européens du Yuanmingyuan, le jardin de la Clarté parfaite |

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Provenance

Cet article a été conçu dans le cadre de l’exposition « Chine, l’Empire du trait » présentée à la Bibliothèque nationale de France en 2004. 

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