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Les impressions en caractères mobiles

Inscriptions oraculaires
Inscriptions oraculaires

Bibliothèque nationale de France

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Les premières tentatives d’imprimerie à caractères mobiles remontent en Chine au début du 2e millénaire. En argile, en bois ou en métal, les caractères se révélèrent toutefois inefficaces à transcrire les signes complexes de l’écriture chinoise avant le 20e siècle.

La prédominance de la technique xylographique jusqu’au début du 20e siècle ne doit pas faire oublier les expérimentations d’autres modes d’impression et particulièrement l’invention précoce des caractères mobiles. L’existence du sceau était propice à en faire germer l’idée. Par ailleurs, certaines inscriptions sur des bronzes de la haute antiquité avaient déjà été produites à l’aide de moules individuels.

Caractères en argile, en bois et en métal

Toutefois, la première tentative attestée concernant la fabrication et l’assemblage dans une forme de caractères indépendants en vue de l’impression de livres est due à Bi Sheng (circa 990-1051). Shen Gua (1031-1095) nous rapporte qu’il modelait chaque caractère avec de l’argile qu’il durcissait sur le feu. Avec ces caractères, il imprima un certain nombre d’ouvrages dont aucun ne nous est parvenu. Ce premier essai ne fut, semble-t-il, pas réitéré avant l’époque Qing. Les caractères mobiles en terre cuite furent à nouveau expérimentés par des imprimeurs tels que Xu Zhiding et Zhai Jinsheng. Ces caractères étaient fabriqués à partir d’un moule en cuivre. Xu Zhiding produisit même en 1718 des caractères en porcelaine. En effet le mode d’impression des feuillets restant celui développé pour la xylographie (la feuille de papier appliquée sur les caractères encrés posés à plat sur une table était frottée avec un frotton doux), des matériaux fragiles, inconcevables pour des presses occidentales, purent être employés.

La fabrication de caractères mobiles en bois est attestée dès les Song, mais on possède plus d’information pour l’époque des Yuan. Wang Zhen (circa 1290-1333) dans son ouvrage sur l’agriculture, le Nongshu, rapporte le détail de ses expérimentations : il fit graver des caractères sur une planche de bois ; ceux-ci étaient ensuite sciés en petits blocs individuels. De nombreuses éditions imprimées en caractères mobiles de bois virent le jour sous les Ming. Au cours de la dynastie suivante, ce procédé fut adopté par les Presses impériales notamment pour l’impression d’une partie des ouvrages du Siku quanshu, la « Bibliothèque complète des quatre magasins ». À cette occasion, Jin Jian (?-1794), surintendant aux Presses impériales, évalua dans un rapport au trône les coûts relatifs d’une impression par procédé xylographique ou typographique. L’empereur Shizong (ère Yongzheng) ayant consenti en 1733 à la création des caractères mobiles composa un poème dans lequel il nomma ceux-ci les « bijoux assemblés ». Ce terme fut repris dans le manuel où Jin Jian détaille les étapes de la fabrication des caractères, le Juzhenban chengshi, ainsi que pour le titre général d’une collection de 126 ouvrages de format identique imprimés selon cette technique entre 1773 et 1794.

La Grande Encyclopédie impériale illustrée des temps passé et présent
La Grande Encyclopédie impériale illustrée des temps passé et présent |

Bibliothèque nationale de France

Le développement des caractères mobiles de métal eut lieu dans la région de Wuxi, dans la province méridionale du Jiangsu à la fin du 15e siècle et au début du 16e siècle, période qui coïncide aussi avec le développement de la typographie en Europe. Deux familles de riches lettrés bibliophiles, les Hua et les An, s’adonnèrent de manière privée à la production d’éditions en caractères de bronze. On ne sait pas si le précurseur, Hua Sui (1439-1513), connaissait l’existence des caractères mobiles métalliques alors largement employés en Corée. La technique ne cessa de s’améliorer tant sur le plan de la graphie que sur celui du développement d’une encre appropriée au contact du métal, et les éditions publiées par An Guo (1481-1534) font figure de modèle.
À la suite des essais réussis par les imprimeurs d’époque Ming (1368-1644) d’éditions en caractères mobiles de cuivre, puis de la diffusion du procédé, les ateliers d’État s’engagèrent sous le patronage des empereurs Qing dans de vastes projets éditoriaux impliquant la création d’un nombre prodigieux de caractères métalliques. L’exemple le plus extraordinaire reste l’impression de « La Grande Encyclopédie impériale illustrée ».

Une technique coûteuse et peu efficace

Le coût d’investissement d’un jeu de caractères métalliques pour un éditeur est sans équivalent avec celui qu’entraîne l’impression par xylographie. Quelques éditeurs privés en acceptèrent pourtant les frais exorbitants. Pour donner un ordre de grandeur, le nombre total de caractères chinois différents qui composent le corpus des Treize Classiques s’élève à 6544. Si l’on ajoute les caractères nécessaires aux commentaires, et le fait qu’il faut disposer d’un certain nombre de jeux de caractères identiques, que ceux-ci doivent exister en au moins deux corps pour varier les effets typographiques notamment entre le texte et ses gloses, un éditeur peut facilement utiliser entre deux cent mille et quatre cent mille caractères d’imprimerie. Les caractères mobiles, particulièrement lorsqu’ils sont en métal, exigent un investissement financier initial considérable car la matière première est onéreuse et la fabrication difficile. De surcroît, le classement des caractères et la composition nécessitent une main d’œuvre nombreuse très qualifiée. Pour espérer une rentabilité, il est nécessaire de procéder en une seule fois à un fort tirage et de stocker les livres. L’amortissement des frais d’impression, au fur et à mesure de l’écoulement des stocks est parfois très long.

Planche xylographique prête à l'impression
Planche xylographique prête à l'impression |

© Nathalie Monnet

On comprend dès lors que ce procédé n’a pu être employé que par de riches bibliophiles financièrement désintéressés, par quelques excentriques, et par des éditeurs ou des groupements d’éditeurs publiant de forts tirages. Il intéressait aussi des projets impériaux disposant d’importants moyens financiers. Lors de la production d’éditions monumentales, ce procédé permettait d’éviter le stockage d’innombrables planches xylographiques.
En plus du coût élevé, des critères esthétiques ont sans doute freiné l’essor de ce type d’impression. Les lettrés chinois étaient accoutumés aux graphies élégantes, même dans des éditions xylographiques bon marché, que seules les éditions à caractères mobiles très soignées pouvaient offrir. Enfin, la xylographie reproduit les textes, parfois même le manuscrit original de l’auteur, avec une très grande fidélité. L’imprimerie par caractères mobiles exige une recomposition qui entraîne d’inévitables fautes typographiques.

Les missionnaires européens qui s’installèrent en Chine adoptèrent tout d’abord la xylographie. Toutefois, ils cherchèrent aussi à adapter les techniques typographiques occidentales à l’édition chinoise. Un missionnaire protestant, Robert Morrison, essaya de fondre des matrices à partir de 1807. Des fontes de caractères furent produites aussi hors de Chine, en Asie du Sud-Est et jusqu’en Europe.