Le confucianisme

Bibliothèque nationale de France
Les Entretiens de Confucius
Ban Gu (32-92) résuma ainsi le Lunyu, les Entretiens de Confucius, dans la section bibliographique Yiwenzhi de l’Histoire dynastique des Han : « Les Entretiens sont les réponses faites par Kong zi (c’est-à-dire Confucius) à ses disciples et à ses contemporains, ainsi que les discussions entre disciples et les paroles entendues du maître. À cette époque, chaque disciple avait ses propres notes. Après la mort du maître, ses disciples les réunirent ensemble et en firent une compilation, c’est pourquoi cela s’appela les Entretiens ». Ce recueil des phrases prononcées par Confucius (dates conventionnelles 551-479 avant notre ère) en diverses occasions, recueillies par ses disciples et transcrites, soit à la mort du maître soit à la génération suivante, est un texte très court, environ douze mille caractères, en regard du rôle qu’il a joué dans l’histoire intellectuelle de la Chine et de l’Extrême-Orient sinisé.
Ces notes, dont il existait trois versions sous les Han, n’ont cessé d’être étudiées et expliquées. Le brillant érudit Zheng Xuan (127-200), dont la plupart des gloses des Classiques figurent dans les éditions qui firent autorité jusqu’à nos jours, composa également un commentaire pour les Entretiens. Toutefois, ces notes qu’il rédigea vers l’année 184 sont à compter au nombre des écrits perdus au cours des siècles. On sait que Zheng Xuan, avant de rédiger ses commentaires, consultait toutes les versions disponibles en caractères anciens et modernes. Ses explications sont importantes pour comprendre la manière dont on envisageait la figure de Confucius et les Entretiens il y a quelque dix-huit siècles. Les savants d’époque Qing tentèrent une reconstitution partielle. Des découvertes au 20e siècle ont permis d’en exhumer un peu plus d’une trentaine de fragments qui comblent une lacune quant à un commentaire qui joua un rôle important sous les Han et les Six Dynasties. Les manuscrits de Dunhuang ont livré un certain nombre de copies fragmentaires de ce texte classique par divers commentateurs, surtout He Yan (190-249). Parmi la cinquantaine de rouleaux partiels de la collection parisienne, seul celui-ci a conservé le commentaire de Zheng Xuan.
Ce rouleau, qui contient seulement quelques chapitres, est ouvert ici à la fin du chapitre 10 dont quelques extraits tirés de la traduction de Pierre Ryckmans donnent une idée de la teneur : « Un gentilhomme [...] Même si le riz est fin, il ne se gave pas. Même si la viande est délicate, il ne se gave pas. Si les mets sont moisis ou rances, si le poisson est gâté et la viande avariée, il n’y touche pas [...]. Même quand la viande est abondante, il ne doit pas manger plus de viande que de riz. Pour le vin, par contre, il n’y a pas de limite, du moment qu’il garde sa tête. Il ne consomme ni vins de boutique ni charcuteries du marché. Il ne refuse pas les assaisonnements au gingembre, mais il n’en abuse pas. Lors des sacrifices d’État, il ne garde pas la viande jusqu’au lendemain. Quant à la viande des sacrifices ordinaires, il ne la garde pas plus de trois jours. Après trois jours, il n’y touche plus. Il ne bavarde pas en mangeant. Il ne parle pas au lit. Même s’il n’a que du riz grossier et un brouet de légumes, il récite ses prières avant le repas, et il le fait dévotement. Si la natte est de travers, il ne s’assied pas. Quand il participe à un banquet au village, il attend pour se retirer que les aînés se soient retirés [...]. Le seigneur Ji Kang lui envoya une médecine. Il se prosterna et l’accepta. Il dit : “N’en connaissant pas les vertus, je n’ose y toucher.” »
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Confucius (551?-479? av. J.-C.)
Les Chinois appellent parfois Confucius Le faîte du genre humain, Le comble de la sainteté, ou Le maître et le modèle des emprereurs même.
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Le confucianisme s’est élaboré à partir de la pensée de Confucius et d’un corpus de sources plus anciennes. Elle repose sur la prise de conscience d’un déclin, par rapport à l’époque mythique des premiers rois de la dynastie des Zhou, représentant un « âge d’or » politique et culturel. Pour retrouver ce temps mythique, le souverain doit se montrer moralement exemplaire, il doit être capable d’attirer à lui les talents et de s’entourer de sages conseillers pour gouverner. Ceux-ci forment la classe des lettrés fonctionnaires, ils doivent être éduqués dans le corpus des « Classiques » qui a pris forme au cours des siècles.
Le lettré fonctionnaire et son univers littéraire
Augmenté parcimonieusement au fil du temps pour aboutir au chiffre de treize Classiques au 12e siècle, les Shisan jing, le corpus est constitué d’un ensemble hétérogène de traditions transmises oralement puis fixées par écrit à des époques très diverses, les plus anciennes au début, les plus tardives à la fin du premier millénaire avant notre ère. Au début de notre ère, elles représentèrent l’héritage des valeurs fondamentales du passé légué par les souverains sages, transmis précieusement par les érudits et les maîtres, Confucius (551-479 avant notre ère ?) intervenant seulement comme un garant de la pureté de la transmission.

Mémoire sur les rites
Consacrés aux rites, ces écrits rapportent de nombreux usages rituels anciens, des prescriptions, des anecdotes, et des textes philosophiques. Les valeurs du confucianisme y sont particulièrement représentées, et la figure ou les paroles de Confucius apparaissent dans la plupart de ces monographies. Deux chapitres de ce recueil, le Juste milieu et la Grande étude furent plus tard réunis par le philosophe néoconfucianiste Zhu Xi aux Entretiens de Confucius et au Mencius pour constituer l’entité canonique des Si shu, Quatre livres, moelle épinière de la pensée confucianiste, dont l’importance pour l’histoire de la philosophie chinoise fut extrême.
Soigneusement préparé, comme en témoignent les marges tracées avec soin, ce rouleau présente une écriture de bonne qualité. Le texte, accompagné du commentaire de Zheng Xuan (127-200) en petits caractères, a fait l’objet de relectures attentives et a probablement servi de manuel scolaire. Certains ajouts sont visibles sur ce manuscrit qui a reçu une ponctuation à l’encre rouge. De nombreux mots erronés ont été masqués par de la peinture jaune et une correction a été effectuée par-dessus.
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Les « Classiques »
Ce qu’il est convenu d’appeler confucianisme mais qui en chinois se dit rujiao, la doctrine des « faibles », celle des lettrés, est un système de pensée qui remonte à la haute antiquité. Confucius lui-même se référait déjà à l’autorité de certains textes du corpus. Les plus anciens sont le Yijing, Livre des mutations, le Shujing, Classique des documents, le Shijing, Classique des odes auxquels s’ajoutent des Chroniques de la période dite des « Printemps et Automnes » dans l’État de Lu, chronique des années 722 à 468 avant notre ère, ainsi que des ouvrages de rituel et un recueil sur la musique non conservé, qui tous ont été composés à l’époque pré-impériale, et sont donc antérieurs à 221 avant notre ère. Sous le règne de Han Wudi (140-88 avant notre ère), le confucianisme fut officiellement reconnu comme une doctrine d’État, et un corpus fixé à cinq textes désormais nommés Jing, Classiques, vit le jour. Un texte de Piété filiale (Xiaojing) et les Entretiens de Kong Zi (le Lunyu), autrement dit les écrits de Confucius, furent ajoutés sous les Han postérieurs (25-220), pour former un ensemble de sept Classiques. À partir des Tang, le corpus s’élargit à neuf textes canons puis passa à douze et enfin à treize : le rituel est représenté par trois ouvrages, les Chroniques des Printemps et Automnes comprennent trois versions commentées, auxquels s’ajoute un lexique ancien, le Erya et, sous les Song, le Canon est augmenté du texte du philosophe Meng Zi, Mencius (vers 370 – vers 290 avant notre ère). Ce corpus compte un nombre de mots relativement peu important, un peu moins de 590 000, nécessitant la connaissance de 6 544 caractères différents dont 1 500 sont des noms propres.

Planches des Sept Classiques
La tradition consistant à illustrer des portions du corpus canonique remonte à l’époque des Han. Sous les Song, chaque école de province en possédait une gravure sur pierre destinée à fournir une aide à l’enseignement des Classiques dont la terminologie technique était devenue abstruse.
Ce livre, devenu rare sous les Ming, fit l’objet d’une splendide regravure que sa page de titre annonçait « fidèle à l’original des Song ». On note l’excellente qualité du papier et de la gravure tout autant que le format exceptionnel, l’importance iconographique et la variété et la complexité de la mise en page. Pratiquement chaque feuillet est pour moitié illustré, la totalité de l’ouvrage contenant plus d’un demi-millier d’images. L’ensemble manifeste une très grande inventivité graphique, les dessins et schémas se présentant selon une disposition et un compartimentage toujours renouvelés. Les tableaux figuratifs ou les diagrammes concernent la représentation des astres, des frontières territoriales, de la hiérarchie des fonctionnaires, des formes des vêtements et des objets, de l’habitation, de la nourriture, des boissons, etc. Ces représentations graphiques très diverses se rangent dans la catégorie chinoise des illustrations « tu », « tableaux ». Les titres de ces derniers sont généralement inscrits au bandeau supérieur et se détachent en blanc sur fond noir. Ces effets contrastés ont été obtenus en évidant d’une part la partie textuelle, d’autre part le fond d’une même pièce de bois ; lors de l’encrage, les caractères en relief sur la planche, gravée en épargne, s’impriment en noir sur fond blanc, les caractères évidés, gravés en intaille ou en réserve, en blanc sur fond noir. La sûreté du trait et la complexité de la composition graphique témoignent du haut niveau technique atteint par les graveurs ; textes et légendes s’inscrivent parfois en étroites colonnes de plus de quarante caractères.
Le recueil est ici ouvert au Classique des rites des Zhou, le Zhouli. L’illustration de la page de droite montre les objets nécessaires au fonctionnaire chargé des liqueurs sacrificielles. Au-dessus de la première image se trouve le terme technique définissant l’objet dessiné, et au-dessous sa définition tirée du Zhouli, ici un gobelet de laque orné d’une huître destiné au vin du sacrifice. Sur la page de gauche, on voit notamment un quadrige utilisé pour se rendre aux cérémonies, surmonté d’un dais et décoré de plaques de jades, le Jin che yu lu zhi tu du ministère chargé de l’administration des chars des fonctionnaires.
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Gloses et commentaires
La plupart des textes proscrits par le Premier Empereur réapparurent sous des formes graphiques devenues obsolètes au cours du règne de Jing di (157-141 avant notre ère), au sein d’une société ayant beaucoup évolué. À partir des Han, ces textes difficilement compréhensibles s’entourent de gloses. Des écoles de commentateurs « lettrés au vaste savoir » animent la controverse autour des versions et des traditions divergentes. Les interprétations autorisées se transmettent de génération en génération. La littérature scolastique prend corps, formée d’un vaste ensemble de notes orthodoxes qui enrobent ce corpus et l’alourdit considérablement. On ne saurait sous-estimer la place de l’exégèse dans la littérature traditionnelle : puisque les œuvres du passé expriment un message de perfection qui doit être transmis à la postérité, un individu, et plus encore un empereur, se doit d’en favoriser la transmission ou d’en établir un commentaire qui le rende intelligible aux contemporains. Plutôt que de créer des textes nouveaux, de nombreux érudits s’employèrent à cette noble tâche. Les gloses propres à chaque texte seront officiellement fixées et ne changeront que très peu.
Les Quatre livres

Édition impériale des Six Classiques en écriture sigillaire
Cette édition impériale des Six Classiques commandée par l'empereur Kangxi (1662-1722) regroupe le Zhouyi (Livre des mutations), le Shangshu (Livre des annales), le Maoshi (Classique des odes), le Chunqiu (Chroniques des Printemps et des Automnes), le Zhouli (Rituel des Zhou) et le Yili (Livre du cérémonial). Mis à part la liste des éditeurs écrite en caractères réguliers, le livre est entièrement composé en style sigillaire. Bien imprimé sur un papier blanc de qualité, il était à l'évidence destiné à garnir les étagères des bibliothèques de lettrés.
L'invention et l'imposition de l'écriture en petite sigillaire, sont attribuées au règne unificateur du Premier Empereur. Les caractères de ce style, aux traits d'épaisseur uniforme, inventés alors que le pinceau n'avait pas encore toute la souplesse qu'il acquerra par la suite, s'inscrivent dans un rectangle vertical dont ils remplissent l'espace, quel que soit le nombre de traits.
Le style sigillaire ne fut pas abandonné malgré les évolutions graphiques et fut réservé à des usages particuliers. Au cours du temps, il fut employé pour les titres et inscriptions courtes, et plus particulièrement les têtes de stèles. Sous les dynasties Ming et Qing, il devint à la mode pour les sceaux et ne servit que très rarement à transcrire des textes entiers. Cette édition se veut archaïsante à plus d'un titre. Elle reprend un découpage des Six Classiques qui date de la Chine médiévale et ne retient que les textes, libérés de leur gaine scolastique. En caractères difficiles à déchiffrer, sans ponctuation ni commentaire, cette publication est une sorte de livre bijou pour fin lettré, épigraphiste et bibliophile à ses heures, comme il en existait beaucoup à cette époque antiquisante, passionnée d'érudition ; les couvertures originales sont en soie bleu marine et portent un titre transcrit de la main du père Amiot (1718-1793), qui envoya depuis la Chine de nombreux volumes à la Bibliothèque du roi.
Le livre est ici ouvert au Classique des rites des Zhou.
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Un corpus parallèle
À ce premier ensemble canonique s’ajoutera un second corpus parallèle qui ne sera jamais aussi rigidement codifié mais dont la connaissance s’imposera universellement au sein de la classe lettrée.
En font notamment partie le Chuci, ou Élégies du royaume de Chu, un corpus poétique d’importance considérable, et le Wenxuan, une anthologie littéraire du 6e siècle devenue l’indispensable complément aux Classiques et comportant des sujets moins pesants. On peut encore ajouter le corpus poétique particulièrement brillant sous les Tang, avec un exemple pris parmi les poésies de Bai Juyi.

Édition impériale de l’Éloge de la ville de Moukden
Cette composition a l’ambition de faire à la fois œuvre poétique, politique et de piété envers les ancêtres fondateurs. Bien que traduite sous le titre d’Éloge de la ville de Moukden, elle se rattache au genre chinois du fu, les rhapsodies, tout particulièrement à celles portant sur les capitales de l’Est et de l’Ouest composées aux 2e et 3e siècles, rapportées dans l’anthologie Wenxuan. Pour constituer cette ode célébrant l’établissement de la dynastie, Qianlong s’appropria le modèle de fondation instauré par la dynastie des Zhou quelque vingt-cinq siècles plus tôt, vers le 12e siècle avant notre ère. Les concepts fondamentaux de l’idéologie politique transmis par le plus ancien recueil poétique chinois, le Livre des Odes furent véhiculés, du premier millénaire avant notre ère à la fin de l’Empire, par l’intermédiaire du corpus classique, qui s’est imposé à toutes les dynasties jusqu’aux Qing, soit durant trois millénaires. Les principes reposaient sur la mobilité du mandat céleste, que le Ciel attribue à un peuple et ses chefs selon le mérite et les vertus accumulés, l’obtention du pouvoir suprême s’effectuant sans effusion de sang. Qianlong retrace ici l’élévation d’une petite peuplade jusqu’au faîte du pouvoir. Cette appropriation du mythe chinois montre que les Mandchous n’avaient pas encore opéré de relecture historique et que le modèle civilisateur chinois était tout puissant. Comme pour toutes les dynasties antérieures, l’insertion des Qing dans la théorie du mandat céleste permettait de convaincre la population chinoise de la légitimité de leur occupation du trône. Cette réécriture des événements montre son caractère artificiel moulé dans l’idéologie confucéenne du bon gouvernement. Qianlong s’attarde longuement sur les fondements qui ont permis à un petit peuple de nomades de prospérer au point de devenir la plus grande puissance sous le ciel, en évoquant la géomancie du lieu, sa disposition par rapport à la carte céleste, ses richesses et sa fertilité, présentant cette steppe aride comme un pays de cocagne qui n’engendra que des hommes d’exception. Rédigée à l’occasion d’un pèlerinage aux tombeaux de ses ancêtres, cette ode rappelle les valeurs de frugalité et d’austérité des premiers temps.
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Provenance
Cet article a été conçu dans le cadre de l’exposition « Chine, l’Empire du trait » présentée à la Bibliothèque nationale de France en 2004.
Lien permanent
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