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Le bouddhisme en Chine

Bouddha assis
Bouddha assis

Bibliothèque nationale de France

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Né en Inde, le bouddhisme a connu un succès précoce en Chine. Pensée universelle, elle se propage par la pratique monacale, mais touche toutes les classes sociales.

Une nouvelle façon de concevoir l’existence

Dhâranî en sanscrit et en chinois
Dhâranî en sanscrit et en chinois |

Bibliothèque nationale de France

Le bouddhisme venu de l’Inde apporte une nouvelle façon de concevoir l’existence, alors que s’effondrent, aux alentours du 4e siècle apr. J.-C., tout le système de valeurs et la vision du monde qui avaient été forgés sous les Han.
En Inde, l’aventure bouddhique commence avec Gautama Sâkyamuni (vers 560-480 av. J.-C.), contemporain de Confucius. Prince héritier d’un petit royaume au pied de l’Himalaya, il abandonne brutalement sa vie de luxe et de plaisirs et devient un religieux mendiant après avoir eu la révélation que « tout est illusion ». À 35 ans, ayant atteint l’illumination sous l’arbre de l’Éveil (Bodhi), il est connu comme le Bouddha, l’« Éveillé ». Il passe ensuite le reste de sa vie à enseigner (sa prédication est le fameux Sermon de Bénarès) et meurt en parinirvâna à l’âge de 80 ans.
Le bouddhisme apparaît en Chine au 1er siècle de notre ère et son influence ne fait que croître, surtout à partir du 4e siècle. Favorisées par les classes dirigeantes, des sectes bouddhiques se développent et contribuent à la diffusion de cette religion qui se veut universelle : on assiste alors à un vaste mouvement de traductions, de travaux d’exégèse et d’histoire qui accompagne les pèlerinages, les peintures religieuses, la littérature populaire, la construction de monastère.

Porteurs de vajra dans le sûtra du diamant
Porteurs de vajra dans le sûtra du diamant |

Bibliothèque nationale de France 

Une religion universelle

« Tout est duhkha. La naissance est duhkha, la vieillesse est duhkha, la maladie est duhkha, la mort est duhkha ; être uni à ce que l’on n’aime pas est duhkha, être séparé de ce que l’on aime est duhkha, ne pas avoir ce que l’on désire est duhkha. »
L’Enseignement du Bouddha d’après les textes les plus anciens

Sûtra des noms des mille bouddhas
Sûtra des noms des mille bouddhas |

Bibliothèque nationale de France

Le message bouddhique se veut universel ; il intègre certains éléments de la pensée indienne, comme les notions de karma et de renaissance : les karma sont les actions réalisées par chaque être dans ses existences antérieures. Ils déterminent ce qu’il va devenir dans ses existences à venir car la vie n’est pas limitée par un commencement et une fin mais se présente comme une chaîne infinie d’existences sous des formes différentes (dieux, hommes, animaux, êtres infernaux…), selon le bon ou le mauvais karma accumulé au cours des existences antérieures. Le salut réside dans l’arrêt de ce cycle infernal, grâce à l’extinction du désir, qui est perçu comme duhkha, ou état perpétuel d’insatisfaction. Une fois le désir éteint, tout karma cesse de se produire et le cycle des renaissances prend fin, signe que le nirvâna a été atteint.
Pour y parvenir, l’enseignement originel du Bouddha propose huit « voies », le « sentier octuple ». Parmi celles-ci figure la discipline morale, dont les règles diffèrent entre moines et laïcs. La communauté monastique est en effet considérée comme une élite, elle seule peut parvenir à discipliner son corps et son esprit et parvenir à la sagesse (ou prajnâ) qui représente l’aboutissement du chemin spirituel bouddhique.

Recueil de gestuelle symbolique des mains
Recueil de gestuelle symbolique des mains |

Bibliothèque nationale de France 

C’est en réaction contre cette conception jugée trop étroite car réservée à l’élite monastique qu’une tendance nouvelle se forme aux environs de 250 av. J.-C. Elle est connue sous le nom de « Grand Véhicule » (Mahâyâna) par opposition à la précédente ou « Petit Véhicule » (Hînayâna). Cette dernière dénomination est maintenant souvent considérée comme dépréciative et est parfois remplacée par « Bouddhisme des anciens ».
Le Grand Véhicule prétend ouvrir la voie du salut à tous les êtres vivants, censés posséder en eux la nature-de-Bouddha, et propose un idéal de compassion universelle incarné par le bodhisattva, l’« être d’Éveil », qui s’abstient d’entrer lui-même en nirvâna, tant qu’il n’y a pas fait entrer tous les êtres. Le Mahâyâna a commencé par s’exprimer dans toute une littérature de sûtras, terme qui désigne à l’origine le « fil » du métier à tisser (même étymologie que le chinois jing) et qui, dans le bouddhisme, désigne tout texte considéré comme une parole authentique du Bouddha.

Premiers témoignages de la présence de bouddhistes en Chine

Les premiers témoignages de la présence de bouddhistes en Chine remontent au règne de l’empereur Mingdi (r. 57-75) de la dynastie des Han. Le bouddhisme chinois suivit d’abord de très près le modèle indien et de grandes écoles furent fondées par des moines traducteurs. Cette religion connut un âge d’or sous les Sui (581-618) – qui l’imposèrent au niveau de l’État – et les Tang (618-907). Tout en revendiquant leur ascendance au sage taoïste Laozi, la plupart des empereurs Tang protégèrent le bouddhisme et surveillèrent l’évolution des communautés monastiques en intervenant sur le nombre des ordinations.

Sûtra du diamant
Sûtra du diamant |

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La richesse ostentatoire des temples, qui accumulaient les dons monétaires ou fonciers sans payer d’impôt, a été une source d’irritation pour les adeptes des autres doctrines. Florissant au début des Tang, le bouddhisme fut surtout favorisé sous le règne de l’impératrice Wu Zetian ; peu après, les mesures contre cette religion s’accumulèrent et en 714, sous le règne de Xuanzong, l’une d’elle alla jusqu’à interdire d’exercer les professions de fondeurs de statues et de scribes de textes bouddhiques. En 845, un décret impérial ordonna la destruction de dizaines de milliers de temples et plus de 250 000 moines et nonnes furent défroqués. Bien que courte, cette période de persécution affaiblit – mais sans l’anéantir – la puissance du bouddhisme. L’éloignement géographique de Dunhuang permit à ce site d’échapper aux dévastations.

Le corpus bouddhique : préserver et édifier

Les sûtras, jing en chinois, consignent les sermons attribués au Bouddha Sakyamuni, et rapportent les plus anciens textes indiens. Ils constituent la première des catégories du Corpus bouddhique dit Tripitaka, ou Trois Corbeilles dont les deux autres sont les Vinaya [lü], écrits concernant la discipline monastique, et les Sastras ou Abhidharma [lun], les commentaires scolastiques.

Sûtra de l’ornementation fleurie
Sûtra de l’ornementation fleurie |

Bibliothèque nationale de France

Le Canon bouddhique acheva de se constituer à la fin des Tang, s’augmentant de quelques ajouts sous la dynastie des Song ; cet immense corpus est le fruit du patient travail de traduction réalisé à titre individuel, lors de sessions publiques ou encore par des bureaux officiels. Les éditions circulèrent abondamment sous forme manuscrite comme en témoignent les nombreux rouleaux de Dunhuang puis un immense projet d’impression de l’ensemble du corpus fut lancé à partir de 972 et terminé en 983 ; les publications se succédèrent ensuite, évoquées par la présence du Canon bouddhique de l’île de Qisha. Des sûtras isolés étaient aussi régulièrement imprimés, souvent très luxueusement.

Un art de l’image

Porteurs de vajra dans le sûtra du diamant
Porteurs de vajra dans le sûtra du diamant |

Bibliothèque nationale de France  

De rares rouleaux illustrés de la fin des Tang ou de la période des Cinq Dynasties ont été préservés, ces manuscrits à peintures et ces feuillets mobiles montrent combien les bouddhistes ont su développer un art de l’image accessible à toutes les couches de la population. Certains thèmes étaient particulièrement exploités par les prédicateurs qui « ne recouraient pas seulement au chant et à la danse […] mais aussi à l’illustration figurée, aux “aspects de scènes” (bianxiang) comme on les appelait : peintures murales […] images sur soie ou sur papier qu’ils déroulaient aux yeux des auditeurs, comme le faisaient encore tout récemment les conteurs et chanteurs publics non seulement en Chine, mais en maints autres pays d’Orient et d’Occident ». Des rouleaux illustrés, dépourvus de texte, cherchent à impressionner uniquement par leur impact visuel.

Sûtra de Guanyin
Sûtra de Guanyin |

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Assortis d’un commentaire oral, ils constituaient sans doute le moyen le plus efficace d’émouvoir un large public. La très grande expressivité du Sûtra de Guanyin, du Combat magique et du Sûtra des dix rois apporte la confirmation que ces rouleaux étaient destinés à la prédication en milieu populaire ; les peintures sont didactiques et démonstratives : d’un côté les croyants, les bons qui sont récompensés, de l’autre les mécréants, les méchants qui sont impitoyablement punis. On note cependant une différence dans les mises en page : le Sûtra de Guanyin accumule une série d’exemples sans suite chronologique servant juste à illustrer la description textuelle ; les autres marquent une progression ponctuée par des temps forts ; le rouleau du Combat magique développe une histoire entre deux protagonistes sans toutefois que les scènes s’enchaînent de manière continue. Elles illustrent des épisodes précis qui sont isolés les uns des autres par la représentation d’un arbre.

Une vision claire du monde après la mort

Le très saint bodhisattva Dizang
Le très saint bodhisattva Dizang |

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Dans un passage célèbre des Entretiens, Confucius manifeste son refus d’évoquer le monde de l’au-delà : « Zilu demanda comment servir les esprits et les dieux. Le Maître dit : “Vous ne savez pas encore servir les hommes, comment voudriez-vous servir les esprits ?” L’autre demanda : “Puis-je vous interroger sur la mort ?” Le Maître dit : “Vous ne comprenez pas encore la vie, comment voudriez-vous comprendre la mort ?” « (Lunyu, chapitre 11, traduction Ryckmans 1987, p. 60-61.) Les confucéens traitèrent le thème de la mort sous l’angle du rituel, décrivant avec soin les cérémonies funéraires et les tenues vestimentaires. Les taoïstes pratiquaient des rites mortuaires réservés aux seuls adeptes impliquant notamment des graphies hermétiques.
Contrairement à ces doctrines qui n’abordaient pas ouvertement le sujet, le bouddhisme présentait une vision extrêmement claire du monde post mortem : il en montrait à la fois la géographie précise et la logique. L’art bouddhique offrait quant à lui une visualisation du mystère de la mort et du passage vers l’au-delà. Par des images de compassion capables de susciter l’émotion, il manifestait sa reconnaissance de la souffrance humaine.

Sûtra des dix rois de l’enfer
Sûtra des dix rois de l’enfer |

Bibliothèque nationale de France

La religion bouddhique, ouverte à tous les êtres vivants sans restriction, n’oublie aucun individu pourvu qu’il en exprime ne serait-ce que le plus petit désir ; les moyens de salut sont à la portée de tous : il suffit de croire en Guanyin ou de prononcer les syllabes de son nom pour se soustraire à tous les dangers ; quelques offrandes faites au moment approprié permettent d’échapper aux pires châtiments de l’enfer. Des témoignages, notamment ceux du moine japonais Ennin (793-864), rapportent combien les sermons bouddhistes étaient populaires auprès des laïcs dans la société des Tang. Dans l’une de ses poésies, le lettré Han Yu (768-824) critique vigoureusement les clameurs des prédicateurs qui captent l’attention de foules nombreuses dans les rues de Chang’an. Les feuillets et rouleaux illustrés de Dunhuang, œuvres ordinaires de prosélytisme au 10e siècle, apportent la confirmation de cet effort accompli par le bouddhisme pour attirer à lui le public le plus large.

Guanyin (Avalokitesvara) aux mille mains et aux mille yeux
Guanyin (Avalokitesvara) aux mille mains et aux mille yeux |

Bibliohtèque nationale de France

Provenance

Cet article a été conçu dans le cadre de l’exposition  « Chine, l’Empire du trait » présentée à la Bibliothèque nationale de France en 2004.

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