Le ciel dans l’homme

L’homme de l’Antiquité se sent en harmonie avec le ciel, avec ses astres et ses constellations. Au VIIe siècle, Isidore de Séville reprend les idées platoniciennes et introduit le terme de "microcosme" : "Au sens allégorique, on peut dire que l’homme est le monde, parce qu’il est fait des quatre humeurs comme celui-ci est formé des quatre éléments. Les anciens avaient noté cette analogie et tandis qu’ils appelaient le monde cosmos, ils donnaient à l’homme le nom de microcosmos ou petit monde ."

Histoire des
deux cosmos
Cette pensée se développe durant l’Antiquité et le Moyen Âge, qui l’incorpore au christianisme. Ce lien intime entre vécu intérieur et vie extérieure du monde est alors particulièrement souligné par la mystique rhénane Hildegarde de Bingen : "L’homme a en lui-même le ciel et la terre", écrit-elle dans son Scivias. L’analogie entre l’homme et le cosmos y est présentée dans le détail : la tête de l’homme est ronde, comme le ciel ; il possède sept orifices (sept planètes) et deux yeux (le Soleil et la Lune) ; l’air circule dans sa poitrine, l’eau dans tout son corps ; les quatre saisons correspondent aux quatre âges de la vie humaine… Le thème de l’homme microcosme et macrocosme, sommet de la création divine, est également traité dans ses deux œuvres de littérature visionnaire, le Livre des mérites de la vie (Liber vitae meritorum, 1150-1163) et le Livre des Œuvres divines (Liber divinorum operum, 1163).
   

L'homme-zodiaque
à la saignée
L'homme zodiacal

Les XVe et XVIe siècles resteront imprégnés de cette idée d’un lien entre homme et cosmos. Giordano Bruno considère l’espace comme un corps vivant, dont l’âme se manifeste dans toutes ses parties. Sa pensée, comme le déclare Ernst Cassirer, "opère précisément la fusion des questions concernant l’homme et des questions concernant l’univers". À peu près à la même période, Robert Fludd, l’un des plus ardents porte-parole de ces conceptions mystiques, livre une très abondante et très représentative littérature.

Dans ces représentations, l’homme est souvent dans la même position, debout les jambes et les bras écartés, qui rappelle les célèbres dessins de Léonard de Vinci ou de Vitruve : "l’homme est mesure de toutes choses". La "divine forme humaine" représente l’harmonie, que ce soit celle du corps ou celle du cosmos, qui finalement se confondent du fait de l’étroite correspondance entre les deux.
Puisque correspondance il y a, tout ce qui se passe sur Terre doit avoir sa cause dans le ciel. Tout dans le ciel est donc signe à déchiffrer. Depuis l’Antiquité, chaque planète est liée à une divinité tutellaire, ce lien étant guidé le plus souvent par de simples analogies. Ainsi, la couleur rouge de Mars (aujourd’hui expliquée par la présence d’oxydes de fer) évoque le sang, donc la guerre : Mars, la planète comme le dieu, est associé aux conflits de toutes sortes.
Les amalgames entre la planète, le dieu qui lui est associé et les traits de caractère qui lui sont prêtés, sont de règle durant toute l’Antiquité. Le Moyen Âge étend ces analogies aux signes astrologiques, aux parties du corps, aux métaux, aux pierres précieuses, aux couleurs, aux parfums… Jusqu’à la Renaissance, un mélange de conceptions hermétiques, gnostiques et néoplatoniciennes imprègne toute conception du monde. C’est sur ces principes animistes, où domine l’idée de correspondances entre l’être humain et le ciel, que repose alors l’astrologie, traditionnellement divisée en astrologie judiciaire (l’astrologie proprement dite) et astrologie naturelle, elle-même divisée en deux branches, météorologique et médicale. Admettre l’influence des astres sur les conditions météorologiques semble en effet conduire nécessairement à étendre cette influence aux fonctions des êtres vivants.
  
L’Univers détrône le ciel

C'est alors que disparait la distinction entres mondes terrestre et céleste, et s'installe l'idée d'univers.
Alors que lunettes et télescopes dévoilent des horizons de plus en plus distants, la vision scientifique se met en place entre Copernic et Newton. Par nature très réductrice, elle frustre plus d’un esprit. Le ciel perd son mystère ; il n’échappe plus à nos lois, il n’est plus un "ailleurs" mais un domaine à explorer comme un autre. Ciel matériel et ciel spirituel sont dissociés. Le ciel des astronomes, celui que nous voyons au-dessus de nos têtes, devient celui des savants et des physiciens.

Ce tournant épistémologique peut sembler paradoxal, car l’inspiration issue de l’Antiquité reste active et joue parfois un rôle important chez ceux-là mêmes qui permettront sa disparition, en bouleversant la vision du monde et en créant la science proprement dite. Kepler l’illustre parfaitement : d’un côté, il raille les aspects mystiques de son contemporain Fludd en le situant dans la tradition des "alchimistes, hermétiques et paracelsiens", tandis que lui-même se situe à bon droit dans celle des mathématiciens ; de l’autre, il cherche à connaître les propriétés de "l’âme du monde" et dresse des horoscopes. Kepler, sans doute le dernier à pouvoir être à la fois astronome et astrologue, sera à son tour critiqué par Galilée.
  

Orion
La permanence des étoiles

"La science commença par les étoiles et l’humanité découvrait en elles les dominantes de l’inconscient, les "dieux" ainsi que les singulières qualités psychologiques du zodiaque : projection d’une doctrine complète du caractère humain", écrit Carl Gustav Jung (Psychologie et alchimie). Il n’est peut-être pas nécessaire d’aller aussi loin et de faire appel à la théorie des archétypes pour considérer la richesse d’évocation associée aux objets célestes, planètes et étoiles, système solaire, et aujourd’hui galaxies. Le symbolisme de l’étoile se retrouve sous des formes diverses dans toutes les religions, sectes, sociétés… de toutes civilisations, jusqu’au drapeau de l’Union européenne !

  
"C’est dans ton cœur que se trouvent les étoiles de ton destin", déclarait Schiller. Ce destin étant si incompréhensible, toute époque est tentée d’invoquer, pour l’expliquer, des forces ou des influences qui viennent d’ailleurs. Le ciel représente cet ailleurs : conjonctions favorables ou défavorables, bonnes ou mauvaises étoiles, cieux propices… Tandis que le ciel matériel est peu à peu occupé par des avions, des satellites, des fusées, le ciel imaginaire garde un pouvoir symbolique éternellement présent.
  

Après le modèle du système solaire, archétype fructueux à partir duquel fut bâti le modèle planétaire de l’atome, les concepts de trou noir, de big bang, ont largement essaimé aujourd’hui dans le langage quotidien. Nouvelles images mentales, nouveaux modèles possibles, sujets de métaphore, ces objets du ciel matériel habitent aussi le ciel imaginaire de notre culture, à côté du père Noël ou du croque-mitaine.