L'ordre de la création

 

  " L’Ordre et la Vérité sont nés de l’Ardeur qui s’allume. De là est née la Nuit. De là l’Océan et ses ondes. De l’Océan avec ses ondes naquit l’Année, qui répartit jours et nuits, régissant tout ce qui cligne des yeux. L’Ordonnateur a mis en forme le Soleil et la Lune, en rang de priorité ; le Ciel et la Terre ; l’Espace aérien ; enfin la Lumière. "
Rigveda, X, 190.

   

La création du Ciel et
de la Terre
L’ordre védique de la Création diffère radicalement de celui prôné par la tradition judéo-chrétienne : le premier jour, Dieu a créé la matière et la lumière à partir du chaos ; le deuxième, il a créé l’espace par séparation du ciel et des eaux ; le troisième, il a séparé la terre et les eaux ; le quatrième, il a créé les luminaires célestes, le cinquième les poissons et les oiseaux, le sixième les animaux terrestres et l’homme ; enfin, au septième jour, Dieu s’est reposé et a contemplé son œuvre.

Sur le plan astronomique, on peut remarquer que, dans la Genèse, la séparation de la lumière et des ténèbres est accomplie dès le premier jour, le Soleil et la Lune n’apparaissant qu’au quatrième. La lumière du premier jour n’est donc pas celle des astres. Le texte biblique traduit ainsi une croyance très ancienne, selon laquelle la lumière et les ténèbres sont indépendantes des corps célestes : le Soleil, la Lune et les étoiles n’existent pas pour donner la lumière mais seulement pour l’accroître, pour distinguer le jour et la nuit, pour marquer le passage des saisons, etc. "Nous devons nous rappeler que la lumière du jour est une chose et la lumière du soleil, de la lune et des étoiles une autre – le soleil paraît pour donner un éclat supplémentaire à la lumière du jour", remarque saint Ambroise dans son Hexaméron.


La création des
luminaires
Cette façon de voir est illustrée de manière frappante dans les mosaïques de la basilique Saint-Marc à Venise, les fresques du baptistère de Florence ou celles de la basilique Saint-François à Assise : toutes représentent le Créateur plaçant dans les cieux deux disques de taille égale, que leur couleur ou une simple inscription permettent d’idenfier.
   
L’ordre de la Création : parallèle entre mythes et sciences

Si les récits mythiques ou religieux parlent de la création du monde (par un ou plusieurs dieux), les "récits" scientifiques ont pour seule ambition de décrire la formation et l’évolution du contenu de l’Univers. Malgré tout, il existe entre ces deux approches de nombreux parallèles.
Ainsi la création du monde selon la Chronique de Nuremberg peut être comparée à l'évolution cosmique selon les modèles du Big Bang.

   
La création du monde selon la Chronique de Nuremberg

Somme des connaissances historiques et géographiques à la veille de la Renaissance et plus grand incunable illustré, la célèbre Chronique de Nuremberg est l’œuvre de l’humaniste et érudit Hartmann Schedel (1440-1514), médecin à Nuremberg ;
Encyclopédie cosmographique ornée de 1 089 gravures décrivant les âges du monde depuis la Création, l’ouvrage s’ouvre sur le récit de l’heptaméron biblique.

L’évolution cosmique selon les modèles de big bang

La chronologie de l’Univers est aujourd’hui assez bien établie dans le cadre des modèles de big bang. Les astrophysiciens estiment avoir reconstitué de façon plausible une histoire cosmique longue de 15 milliards d’années, en remontant dans le passé jusqu’au premier dix-milliardième de seconde. À cette époque, l’Univers était si dense et si chaud qu’il était opaque. Environ 1 million d’années plus tard, il a émis sa première lumière, que l’on capte aujourd’hui dans les radiotélescopes. 1 milliard d’années après se sont formées les premières galaxies, dont sans doute la nôtre. Au sein de la Voie lactée, plusieurs générations d’étoiles se sont succédé. Le Soleil s’est condensé une dizaine de milliards d’années plus tard, soit, en reprenant le chronomètre à partir du présent, il y a 5 milliards d’années. Assez rapidement, les planètes se sont agglomérées, les datations les plus précises sur l’âge de la Terre indiquant 4,56 milliards d’années. La vie aquatique a surgi dès que l’intense bombardement météoritique initial a cessé et que la Terre s’est refroidie : des organismes monocellulaires sont apparus dans les océans il y a 3,5 milliards d’années. Puis tout s’est précipité. Il y a 600 millions d’années sont apparus les premiers vertébrés, il y a 200 millions d’années les premiers mammifères. L’apparition de notre espèce, Homo sapiens, est récente : 10 millions d’années. Tel est le nouvel heptaméron de la cosmologie moderne.

   


Premier jour
Le premier jour
"Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre."
La main de Dieu jaillit du ciel pour séparer la lumière et les ténèbres. C’est la première différenciation du vide, ne mettant encore en jeu aucune substance matérielle.

Naissance de
l'espace-temps
Naissance de l'espace temps
Dans la théorie de l'inflation chaotique, le vide quantique explose à la fin de l'ère de Planck et engendre un ou plusieurs univers en expansion rapide. Seule une simulation sur ordinateur permet de visualiser un tel processus.
      


Deuxième jour
Le deuxième jour
La main de Dieu sépare le firmament des eaux inférieures, différenciant les composantes substantielles du vide.

Naissance de la
lumière
Naissance de la lumière
La "carte cobe" représente l’état de l’Univers jeune d’un million d’années, à l’époque où il n’était qu’une soupe extraordinairement lisse et homogène. Aucune structure astronomique de type étoile, galaxie, planète, n’existait. Seuls de très légers frissonnements agitaient la soupe. En effet, la carte cobe exhibe de minuscules inhomogénéités de température (codées par des couleurs). Toutefois, l’écart entre la région la plus chaude et la région la plus froide n’est que d’un cent millième de degré. Ces variations sont liées à des variations de densité : les régions les plus froides sont aussi les moins denses. On voit donc là l’origine de toutes les structures astronomiques, en quelque sorte les fœtus de galaxies !
      


Troisième jour
Le troisième jour
La main de Dieu réunit les eaux sous le firmament en un lieu, de sorte que la terre sèche peut apparaître, le monde étant dès lors divisé entre la terre et les mers. Jusqu’ici, la terre, l’eau et les autres éléments étant encore mêlés en un chaos, le nombre de sphères figurées dans les diagrammes est indéterminé – deux, cinq ou quatre selon la fantaisie de l’illustrateur, dont la tâche consiste à montrer l’invisible.

Naissance des
galaxies
Naissance des galaxies
Ces images prises par le télescope Hubble en 1996 révèlent ce qui pourrait être les "briques de construction" des galaxies dans l’Univers primitif. Prises avec la Wide Field Planetary Camera 2, elles montrent un regroupement de dix-huit amas d’étoiles géants d’environ 2 000 années-lumière de diamètre, suffisamment proches l’un de l’autre (2 millions d’années-lumière) pour qu’ils finissent par fusionner et former un objet de la taille d’une galaxie. Situés à 11 milliards d’années-lumière, ils datent donc d’une époque où l’on croit que les premières galaxies se sont formées. Ce résultat ajoute du poids à la théorie de formation des galaxies selon laquelle ces dernières se constituent par regroupements d’amas d’étoiles, et non par fragmentation d’un vaste nuage protogalactique.
Si ce plan de construction est correct, notre propre galaxie, la Voie lactée, contient les pièces du processus d’assemblage, sous forme de vieux amas globulaires.
      


Quatrième jour
Le quatrième jour
Le quatrième jour, le temps entre en jeu, et de nouveaux modes de perception sont requis. Les corps célestes entament leur course circulaire dans le ciel et commencent à marquer le passage du temps. Le monde est partagé en régions identifiables. On reconnaît le diagramme familier de l’univers géocentrique de Ptolémée. Au milieu se tient la Terre, la tête en bas. Puis viennent trois sphères non nommées pour les trois éléments eau, air, feu. Ensuite viennent les sept sphères des planètes – en commençant par la Lune, puis Mercure et Vénus, ensuite le Soleil, enfin les sphères de Mars, Jupiter et Saturne. Le français planète est dérivé du grec planêtes (asteres), qui signifie "astre errant", par opposition aux étoiles fixes qui maintiennent leurs positions relatives nuit après nuit. Puisque les étoiles fixes doivent aussi entrer dans ce schéma, est dessinée, en dehors de la sphère planétaire, la sphère qui contient les constellations, décorée d’étoiles équidistantes entre elles. Toutes les étoiles sont à égale distance de la Terre. Il y a enfin une sphère représentant le Premier Moteur, la cause sans cause antécédente dite Cause Première, qui marque la frontière entre l’univers, fini, et l’empyrée, infini, et qui assure aux sphères inférieures un mouvement circulaire uniforme.

Naissance des
étoiles
Naissance des étoiles
Entre les étoiles, toutes les galaxies sont remplies de vastes nuages de gaz et de poussières. Ceux de la galaxie, éclairés par les étoiles avoisinantes, apparaissent comme de magnifiques nébuleuses que les astronomes photographient, analysent et cataloguent depuis maintenant plus d’un siècle.
Elles se distinguent par leur densité, leur pression, leur température, leur composition chimique. Souvent, les régions intérieures nous restent invisibles à cause de l’obscurcissement par la poussière qu’elles contiennent.
Leur intérieur est alors sondé par l’intermédiaire du rayonnement infrarouge qu’émet cette poussière.
Nombre d’entre elles sont des sites de formation d’étoiles.
      


Cinquième jour
Le cinquième jour
Les créatures de la terre, de la mer et de l’air, que Dieu a créées le cinquième jour, peuplent la Terre.

Naissance des
planètes
Naissance des planètes
L’étoile, située dans la constellation de l’Atelier de Peintre, dans l’hémisphère austral, est entourée d’un disque de gaz et de poussières analogues à celui du système solaire primitif, mais vingt fois plus grand. Une ou plusieurs planètes se sont peut-être déjà formées dans le disque, tandis que d’innombrables comètes semblent se volatiliser en tombant sur l’étoile centrale.
      


Sixième jour
Le sixième jour
Acte de création d’Adam, point culminant de l’heptaméron. Jusqu’ici, le Démiurge avait été représenté par une main sans visage, simple instrument. Maintenant, Il est représenté en entier, faisant surgir avec sa main gauche le premier homme à partir d’une poignée de glaise, tandis que sa main droite le bénit. Dieu et la créature façonnée à son image se font face dans une attitude de caritas, tandis que les bêtes de l’Éden musardent dans une nature paisible qui s’étend sans perturbation jusqu’à l’horizon.

Naissance
de la vie
Naissance de la vie
Ces colonies de bactéries en bâtonnets ont été isolées dans des roches datant de 3,465 milliards d’années dans le Nord-Ouest australien.
De tels assemblages de cellules procaryotes démontrent que des micro-organismes étaient déjà largement répandus sur Terre à l’époque archéenne, et que les bactéries autotrophes, productrices d’oxygène, ont pu ensuite évoluer à partir de ces organismes promitifs.
      


Septième jour
Le septième jour
Ayant accompli sa tâche, Dieu se repose dans toute sa gloire et contemple son œuvre. C’est le septième jour. Le tableau de l’univers est devenu "complet" dans l’espace et dans le temps. Sous les pieds de Dieu tourbillonne le cosmos qu’il a mis en mouvement le quatrième jour. De part et d’autre de son trône, et protégeant l’œuf cosmique, sont les neuf ordres des anges, énumérés à gauche. Des quatre coins du monde soufflent les vents cardinaux.

Naissance de
la conscience
Naissance de la conscience
Superposition IRM et TEP, coupe axiale.
      

La Création dans une édition renaissante des Métamorphoses
d'Ovide
L'Heptaméron Renaissant

Avec la Renaissance, un nouveau désir de syncrétisme voit le jour. Les principaux récits de la création (la Genèse, le Timée, la Théogonie, les Métamorphoses) sont amalgamés pour produire un récit unique les embrassant tous. La création devient une métaphore du temps, une tentative pour rendre le paradoxe du temps intelligible à l'esprit mortel.


La Sepmaine
de Du Bartas
Le terme Heptaméron (de hepta, sept, et de hêmera, "jour") apparaît pour la première fois en 1559 sous la plume de Marguerite de Navarre. En 1578, Guillaume Salluste du Bartas utilise le même titre, mais dans sa version latine : La Sepmaine. Il s'agit d'une adaptation épique de la Genèse, inspirée notamment d'Ovide. Dans le Premier Jour, Bartas tente de décrire le chaos par un désordre verbal, jouant avec les mots en usant de termes antinomiques : "Ce premier monde était une forme sans forme / Une pile confuse, un mélange difforme, / D'abîmes un abîme, un corps mal compassé, / Un Chaos de Chaos, un tas mal entassé."
   

Les composantes materielle et spirituelle
de l'Univers selon
Fludd

L'orgue de la Création
de Kircher
Robert Fludd, médecin londonien au XVIIe siècle, publie une encyclopédie du savoir humain en quatre volumes. Le premier traité s'intitule Récit de la structure du macrocosme et de l'origine de ses créatures, divisé en sept livres. L'heptaméron de Fludd est un curieux mélange de science physique et d'occultisme.
Le jésuite allemand Athanasius Kircher, grand encyclopédiste, publie en 1650 Musurgia Universalis. Dans un chapitre volumineux, le Père Kircher donne sa version de l'hexaméron en termes musicaux, à la suite de la tradition pythagoricienne et platonicienne selon laquelle le cosmos est une harmonie de composantes discordantes.
Le Monde est comparé à un orgue actionné par Dieu.

La mise en espace de la création

À l’aspect temporel de la Création s’ajoute parfois une dimension spatiale, qui apparaît de façon plus ou moins explicite dans les représentations des XVIe et XVIIe siècles.