Les couleurs symboliques
cartes thématiques, XVIIIe-XXe siècle


Outline of botanical geography, par A. K. Johnston
Les cartes par aires colorées s'affirment comme instruments des sciences naturelles et humaines qui se construisent aux XVIIIe et XIXe siècles. La couleur joue un rôle essentiel dans l'élaboration de ces cartes thématiques qui expriment, sur un fond repère, la distribution de phénomènes particuliers. La carte gravée sur bois ou cuivre et imprimée en traits noirs possède une capacité informationnelle limitée ; la couleur est mieux adaptée aux données de variation zonale continue que les trames de points ou de lignes.
La couleur perd peu à peu son rôle décoratif pour devenir une variable indispensable et significative. D'abord coûteuse, son prix de revient diminue après 1845 avec la mise au point des procédés de chromolithographie. Modernes peintres de l'espace, les cartographes font éclater le carcan des teintes réalistes de la topographie. Ils instituent de multiples codes abstraits, tout en sollicitant encore les réflexes de la lecture naturelle. Appliquée à l'âge des terrains, aux nuances climatiques, aux formations végétales, aux langues et aux peuples, et à d'autres phénomènes localisables, la couleur déploie son extraordinaire polysémie et renouvelle ainsi le langage des géographes.
L'emploi de la couleur favorise l'expression cartographique des phénomènes politiques que domine en Europe, pendant une vaste période (1815-1945), "l'esprit de frontière". La fixation des frontières est aussi au cœur des préoccupations des mouvements d'indépendance américains et elle monopolise l'attention des nations européennes qui se partagent l'Afrique, l'Asie et l'Océanie. Pour traduire ces évolutions, la carte en couleurs devient l'instrument privilégié de l'enseignement et de la propagande qui utilise volontiers la caricature.
Quelques pièces majeures                    
 

Carte géologique
de la France
Cartes géologiques
L'idée de figurer des affleurements rocheux par des aires colorées est émise dès 1684 par l'Anglais Martin Lister, mais elle n'est appliquée que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. La couleur devient une composante essentielle du langage visuel développé par la géologie moderne. Dans les cartes, vues et coupes, elle traduit la nature des roches, puis l'âge des terrains, selon un code que les géologues tentent de fixer lors du congrès international de Bologne en 1881.
 
 

Carte de la végétation
de la France, feuille de
Nice, par Paul Ozenda
Climats et végétation
En climatologie et biogéographie, l'emploi de la couleur résulte d'une synthèse intellectuelle : la plage de couleur résume une somme d'observations ponctuelles dont on infère une unité zonale, l'aire climatique ou végétale. Les conventions de couleurs restaurent une symbolique ancienne : l'association du rouge à la chaleur, du jaune à la sécheresse, du bleu à l'humide ou au froid. Ces choix ont été transposés de la cartographie des climats à celle des plantes, tandis que se développait l'analyse des interactions entre milieux et espèces végétales.
  
 

"Was von der Entente übrig"..."und
die Zügel losliesse!",
par F. Klimesch

Cartes politiques
Dès l'impression des premières cartes politiques, la couleur exprime la souveraineté, illustre les conflits territoriaux et rend compte de l'expansion coloniale. Le rouge, couleur par excellence de l'expression des phénomènes politiques, est le plus souvent associé au bleu, au vert ou au noir suivant le sujet à illustrer et l'orientation donnée par l'auteur. Au-delà de leur signification première, les couleurs employées en cartographie politique ne sont jamais neutres. En effet l'auteur utilise et manipule tout un code symbolique sans cesse renouvelé.