Barthélémy l'Anglais,
"Livre des propriétés des choses".
F. 226v: la terre, ses fleuves et ses rivières.
Paris, BnF, Mss, Français 9140.
 

 
La cartographie médiévale

La représentation de la terre habitée prend schématiquement la forme dite du "T dans l’O".

La hampe du T figure la Méditerranée (la nôtre) ; l'une des branches horizontales, le Tanay (le Don), limite traditionnelle entre l'Europe et l'Asie ; l'autre branche, le Nil, partage ordinaire de l'Asie et de l'Afrique. Le O signifie l'Océan circulaire qui entoure la terre, avec pour seule légende le nom de chacune des parties du monde, accompagné parfois de celui des fils de Noé supposé l'avoir peuplé : À Sem l'aîné l'Asie, à Cham l'Afrique, à Japhet l'Europe.

Une image simple, hiérarchisée, à l'intérieur de laquelle l'Asie, de par son étendue, sa situation à la fois orientale et sommitale, qui renferme souvent à l'extrémité du monde l'espace inaccessible du Paradis terrestre, occupe une position dominante et partant joue un rôle privilégié.

La forme traditionnelle du TO avec d'autres images plus élaborées, tend à disparaître derrière la complexité du tracé, tandis que les légendes et les vignettes occupent une place de plus en plus importante.

À l'intérieur de ces trois parties du monde s’insèrent des représentations orographiques, des montagnes sous forme de chaînes ou de massifs qui constituent comme l'ossature de la Terre ; des fleuves, qui "parcourent la Terre comme les veines d'un grand corps", signifiés par deux traits parallèles, souvent coloriés ; mais surtout des vignettes urbaines, agrémentées de tours, de murailles ou d'églises, évoquant les cités, comme autant d'empreintes de l'homme sur la terre ; jusqu'à la présence des hommes eux-mêmes dans leur diversité et leur étrangeté.

La construction fait appel moins à l'expérience qu'à l'érudition. Cette "géographie" avant la lettre est éminemment livresque, héritage de la géographie antique à laquelle se mêlent des réminiscences bibliques et des remaniements propres aux préoccupations de l'heure. Un espace à l'intérieur duquel se juxtaposent ainsi le passé et le présent. De cette façon les mappemondes renvoient au regard des hommes, non seulement l'image de l'espace qui leur est propre, mais également leur histoire. Elles déroulent la marche de l'aventure humaine inaugurée au paradis terrestre à l'Orient, poursuivie au cours des siècles jusqu'à atteindre maintenant l'extrême Occident ; une histoire dont les villes, Babylone, Jérusalem, Alexandrie, Carthage, Rome ou Saint-Jacques-de-Compostelle marquent les étapes principales.

Une approche à la fois cosmographique et historique, complétée d'une lecture "ethnographique" du centre à la périphérie où s’égrènent, aux marges du monde, des théories de monstruosités physiques, sociales ou morales, chargées de confronter l'humanité à elle-même. Un merveilleux, aussi fascinant que terrifiant, puisqu'il révèle, au sens où le définissent à la fin du XIIe siècle ou au début du XIIIe siècle, Giraud le Cambrien dans sa "Topographia hibernica" ou Gervais de Tilbury dans les "Otia imperialia", une sorte de débridement de la nature qui échappe à notre entendement :

"Chaque fois que la nature, comme si elle était lasse de ses occupations sérieuses et véritables, s'éloigne un peu de son cours, dans ses contrées reculées, elle s'amuse en quelque sorte par des fantaisies discrètes et cachées."

Comme si le monde par une sorte de polymorphie inépuisable, livrait ainsi l'un de ses secrets.