Le bel après-minuit

Plus blanche que la neige et les cristaux de sel
La flore de la nuit épanouit ses pétales
Et grandit remplissant les espaces du ciel
Où tel cheval d’azur hennit rue et détale.

Vers des prairies semées de récentes étoiles
A travers des moissons d’astres et de reflets
Du feu de quatre fers éclaboussant les voiles
Il plonge au plus profond des ténèbres de lait

Mais la lune à cette heure en robe de mariée
Traîne à ses talons blancs la nébuleuse et blanc
blanc comme le matin sur la mer pétrifiée
Le bélier de l’aurore apprête son élan

La comète à son front a mis ses étincelles
Belle négresse ô lune où vas-tu d’un pas lent
Retrouver ton époux aux yeux de mirabelle
Dont Vénus bassina le lit d’un corps galant

Champagnes ruisselez dans les constellations
Si les vins sont pareils aux étoiles liquides
Retrouvons ô Bourgogne en toi la création
Des monstres fabuleux de l’éther et du vide

Nous ferons apparaître en pressant les raisins
Mercure et Jupiter et le Cancer et l’Ourse
En dépit des flambeaux reflétés
dans le vin
Et du soleil baigné dans la fraîcheur
des sources


Rober Desnos
"le Bel après-minuit"
Destinée arbitraire, Ed. Gallimard, 1975

Mystère du ciel

En revenant du bal, je m’assis à la fenêtre et je contemplai le ciel : il me sembla que les nuages étaient d’immenses têtes de vieillards assis à une table et qu’on leur apportait un oiseau blanc paré de ses plumes. Un grand fleuve traversait le ciel. L’un des vieillards baissait les yeux vers moi, il allait même me parler quand l’enchantement se dissipa, laissant les pures étoiles scintillantes.


Max Jaco
Le Cornet à dés, Ed. Gallimard 1945


La Grande Ourse

La Grande Ourse
donne le sein
à ses étoiles
ventre en l’air. 

Et grogne
et grogne !

Gare à vous,
jeune étoiles
trop tendres !


F. G. Lorca

Heureuse la nuit dont tremblait la Grande Ourse
sous des cimes renversées dans un canal quand
   j’écoutais
à travers tes chuchotements se lever ma fièvre.

 


Jean Grosjean
La Gloire, extrait
L’hiver
Ed. Gallimard, 1964

Les étoiles familières de nos latitudes penchent
Penchent sur le ciel
L’étoile Polaire descend de plus en plus sur l’horizon
    nord
Orion – ma constellation – est au zénith


Blaise Cendrars
Extrait
Au cœur du Monde
Ed. Gallimard, 1947

Sur le large fil de la Voie lactée
Qui ne tremble pas plus qu’une branche sous le vent,
Minuit,
Attendu tellement par les malheureux,
Etend
Sa chemise blanche de bienheureux
  dont les pans
Embués de lune, de songe
  et de bois traversés
Tombent jusque sur notre vie,
  fragiles sur des êtres fragiles.


Armand Robin
Minuit, extrait
Le monde d’une voix
Ed. Gallimard, 1970

Une étoile monte au loin,
Vive et nue comme une plainte.
Sous e velours des soupirs
L’esprit dévale en silence
Les cascades du sommeil.


Maurice Fombeure
Images de la nuit
A dos d’orseau
Ed. Gallimard, 1945

Pas à pas
le ciel troublant me suit
et s’étonne
avec moi


J.-P. Berthet
Fin de nuit, extrait
Poésies vivantes
Ed. Possible, 1979

La terre file son chemin
Et tourne
autour de son idée
Mais force champs, villes, jardins
A garder l’immobilité.


Jules Supervielle
Gravitations
Editions Gallimard, 1925

D’immenses soleils vagabondent
et l’espace n’est plus qu’un merveilleux mouvement de lumière.


Aldébaran
" Je suis danseur ", extrait
La mort en ce jardin où je m’éveille
Coll. Sud, 1980

la lune bleue
à l’horizon du ciel
lentement se lève offerte
au rêve continu
du paysage.
la lune bleue
à l’horizon du soir
lentement se lève
comme un nouveau rêve d’Angoisse
offert au paysage.
la lune bleue
à l’horizon du paysage
lentement se lève
lentement offerte
au rêve noir du nouveau poète
qui lentement marche
parmi l’agonie du paysage.


Aldébaran
La mort en ce jardin où je m’éveille
Coll. Sud, 1980

En attendant
de me mêler
à cette chose
sans nom,
Je l’appelle
encore l’Espace.
Le mot
rafraîchit ma
pensée,
et je marche.

Jean Tardieu
L’espace, extrait
La part de l’ombre,
Ed. Gallimard, 1967

Pareille à ces bateaux qui, sur l’océan,
glissent,
Chaque soir appareille,
au ras de l’eau, la lune.
Et sa clarté la suit,
comme un filet tranquille
Où les étoiles bleues
se prennent une à une.


Guy Lavaud
Poème de partout et de toujours
Ed. Arnaud colin, 1978

C’est toi Aton, tu vis éternellement
Tu as créé le ciel lointain
pour te lever en lui
et voir tout ce que tu as créé.
Tu es tout seul et des millions d’êtres
vivent par toi, et reçoivent de toi
des souffles de vie pour leurs narines.
Avoir tes rayons, toutes les fleurs
vivent,
elles qui poussent sur le sol et prospèrent
par ton apparition ; elles s’enivrent de ta
face.
Tous les animaux sautent sur leurs
pieds :
les oiseaux, qui étain dans leurs nids,
volent
joyeusement ; leurs ailes, qui étaient
repliées,
s’ouvrent pour adorer Aton vivant.


Akhenaton
Hymne au disque solaire Aton, extrait
Trad. Par A. Moret
Ed. Albin Michel, 1937

J’ai ma maison dans le vent sans mémoire,
J’ai mon savoir dans les livres du vent,
Comme la mer j’ai dans le vent ma gloire,
Comme le vent j’ai ma fin dans le vent.


Lanza del Vasto
La maison dans le vent,
Le chiffre des choses
Ed. Denoël, 1953

Le nuage

Le nuage dit
à l’indien :
"Tire sur moi
tes flèches,
Je ne sentirai rien."
"C’est vrai, rien
ne t’ébrèche,
Répond le sauvage,
Mais vois mes tatouages !
Rien de pareil
sur les nuages."


Robert Desnos
Le nuage
Destinée arbitraire
Ed. Gallimard, 1975

Un nuage, un nuage,
où s’endorment
les images
du monde que j’ai
quitté
un nuage
un nuage,
immobile dans l’été.


Henri Thomas
Poésies
Ed. Gallimard, 1970

Le ciel apprend par cœur les couleurs du matin
Le toit gris l’arbre vert le blé blond le chat noir
Il n’a pas de mémoire il compte sur ses mains
Le toit blond l’arbre gris le blé noir le chat vert 

Le ciel est chargé de dire à la nuit noire
comment était le jour tout frais débarbouillé
Mais il perd en chemin ses soucis la mémoire
il rentre à la maison, il a tout embrouillé 

Le toit vert l’arbre noir le chat blond le blé gris
Le ciel plie ses draps bleus tendant de retrouver
ce qu’il couvrait le jour d’un grand regard surpris
le monde très précis qu’il croit avoir rêvé

Le toit noir l’arbre blond le chat gris le blé vert
Le ciel n’en finit plus d’imaginer le jour
Il cherche dans la nuit songeant les yeux ouverts
aux couleurs que le noir évapore toujours.


Claude Roy

Le vent court à brise
  abattue
il court il court à perdre
  haleine

Pauvre vent perdu et
  jamais au but
où cours-tu si vite à
  travers la plaine

Où je cours si vite où je
  cours si vite
Le vent en bégaye
  d’émotion et
  d’indignation
Se donner tant de mal et
  de gymnastique
Et qu’on vous pose après
  de pareilles questions

A quoi bon souffler si
  fort et si bête
et puis s’en aller sans
  rien emporter
Quelle vie de chien qui
  toujours halète
qui tire la langue de chien
  fatigué

Jusqu’au bout du monde
  il faut que tu ailles
poussant ton charroi
  de vent qui rabâche
Vente vent têtu de sac et
  de paille


Claude Roy
Lieder du vent à décorner les bœufs, extrait
Poésies
Ed. Gallimard, 1970

Le soleil qui se lève
chaque matin à l’est
et plonge tous les soirs
à l’ouest
sous le drap
bien tiré de l’horizon
poursuit son destin
circulaire


Michel Leiris
La Néréide de la mer rouge,
Haut mal,
Ed. Gallimard, 1943

Et la tornade qui
avait avalé comme
un vol de grenouille son
troupeau de
toitures et de
cheminée respira
bruyamment une
pensée que le
prophètes n’avaient
jamais su deviner


Aimé Césaire
Soleil non coupé, extrait
Ed. K., 1948

La nuit se couche au bord des routes
comme un grand chien très doux
et tu cherches à apaiser les étoiles
en les prenant dans tes cils. 

Les montagnes qui avancent avec l’ombre
stationnent au-dessus des arbres
à qui elles font toucher le ciel
sans qu’aucun de leurs fruits ne tombe.

Seul, le ruisseau continue à couler,
heureux enfin d’être entendu des herbes
et de pouvoir aider la terre à tourner
à l’intérieur du silence.

A la place où ton sommeil
devient mince comme du verre,
un rêve s’inscrit en lettres
qui éclairent l’étendue de mon sang.


Lucien Becker
Plein d’amour,
Ed. Gallimard, 1954