i la carte s’oppose au calque, c’est qu’elle est tout  entière tournée vers une expérimentation en prise sur le réel. La carte ne reproduit pas un inconscient fermé sur lui-même, elle le construit…

…La carte est ouverte, elle est connectable dans toutes ses dimensions, démontable, renversable, susceptible de recevoir constamment des modifications. Elle peut être déchirée, renversée, s’adapter à des montages de toute nature, être mise en chantier par un individu, un groupe, une formation sociale. On peu la dessiner sur un mur, la concevoir comme une œuvre d’art, la construire comme une action politique ou comme une médiation.

Une carte a des entrées multiples, contrairement au calque qui revient toujours « au même »".

Gilles Deleuze et Félix Gattari
Mille Plateaux

Ed. de Minuit, 1980.

Pour Deleuze et Gattari, une carte n’est pas la reproduction de la réalité ; elle est une manière de l’explorer, et cette exploration ne se limite pas à la géographie.

Les premières cartes rendent compte de la manière dont les hommes se représentaient le monde ; elles cherchent à trouver sens et explication aux mystères de l’Univers.

Depuis, les cartes n’ont cessé de tracer des chemins : cartes marines, cartes du ciel, cartes des sentiments...

Mais, dit le petit Prince, " l’essentiel est invisible pour les yeux ". Et si les cartes permettaient aussi d’explorer l’invisible ? C'est ce que propose cet atelier en prenant appui sur des extraits du merveilleux livre de Georges Pérec Espèces d'espaces, aux éditions Galilée.


L'homme éclaté :
 

L'homme éclaté

"Je me sers peu de mon quartier. C’est seulement par hasard que quelques-uns de mes amis vivent dans le même quartier que moi. Par rapport à mon logis, mes principaux centres d’intérêt sont plutôt excentriques. Je n’ai rien contre le fait de bouger, au contraire.
Pourquoi ne pas privilégier la dispersion ? Au lieu de vivre dans un lieu unique, en cherchant vainement à s’y rassembler, pourquoi n’aurait-on pas, éparpillés dans Paris, cinq ou six chambres ? J’irais dormir à Denfert, j’écrirais place Voltaire, j’écouterais de la musique place Clichy, je ferais l’amour à la poterne des peupliers, je mangerais rue de la Tombe-Issoire, je lirais près du parc Monceau, etc. Est-ce plus stupide, en fin de compte, que de mettre tous les marchands de meubles faubourg Saint-Antoine, tous les marchands de verrerie rue du Paradis, tous les tailleurs rue du Sentier, tous les Juifs rue des Rosiers, tous les étudiants au quartier Latin, tous les éditeurs à Saint-Sulpice, tous les médecins dans Harley Street, tous les Noirs à Harlem ?"

Georges Pérec
Espèces d'espaces

Ed. Galilée.

 
Et vous, si vous privilégiez la dispersion, quelle serait la carte de votre journée ?
Eparpillez vos chambres sur la carte de votre ville ou, pourquoi pas, sur la carte du monde.

- Dessinez la carte ;
- Rédigez le guide mode d’emploi de vos divers lieux de vie.

Mémoire :

   

La carte de la mémoire

"J’aimerais qu’il existe de lieux stables, immobiles, intangibles, intouchés et presque intouchables, immuables, enracinés ; des lieux qui seraient des références, des points de départ, des sources :
Mon pays natal, le berceau de ma famille, la maison où je serais né, l’arbre que j’aurais vu grandir (que mon père aurait planté le jour de ma naissance), le grenier de mon enfance empli de souvenirs intacts.
De tels lieux n’existent pas, et c’est parce qu’ils n’existent pas que l’espace devient question, cesse d’être évidence, cesse d’être incorporé, cesse d’être approprié. L’espace est un doute : il me faut sans cesse le marquer, le désigner ; il n’est jamais à moi, il ne m’est jamais donné, il faut que j’en fasse la conquête.
Mes espaces sont fragiles : le temps va les user, va les détruire : rien ne ressemblera plus à ce qui était, mes souvenirs me trahiront, l’oubli s’infiltrera dans ma mémoire, je regarderai sans les connaître quelques photos jaunies aux bords tout cassés. Il n’y aura plus écrit en lettres de porcelaine blanche collées en arc de cercle sur la glace du petit café de la rue Coquillière : "Ici, on consulte le Bottin" et "Casse-croûte à toute heure".
L’espace fond comme le sable coule entre les doigts. Le temps l’emporte et ne m’en laisse que des lambeaux informes :
Ecrire : essayer méticuleusement de retenir quelque chose, de faire survivre quelque chose : arracher quelques bribes précises au vide qui se creuse, laisser, quelque part, un sillon, une trace, une marque ou quelques signes."

L’espace (suite et fin)
Georges Pérec
Espèces d'espaces
,
Ed. Galilée


 
Vos lieux de référence

Choisissez cinq ou six lieux qui sont pour vous "des références, des points de départ, des sources".

Ecrire un court texte sur chacun de ces lieux.

La carte des lieux de mémoire

Dessinez la carte de vos lieux de mémoire.

Vous pouvez, à l’image de certaines cartes conservées à la Bibliothèque nationale de France, inscrire des éléments figuratifs sur un globe, sur la carte du Monde, la carte d’un pays ou celle d’une ville.

Vous pouvez également imaginer un parcours dans le temps, un peu comme la carte du tendre de vos lieux de mémoire.

Vous pouvez aussi choisir la technique du collage.

 
Voyage sur les traces d’un inconnu

Choisissez parmi les cartes dessinées par d’autres, une carte qui vous plaît.

Vous allez voyager à travers ses lieux de mémoire et écrire le carnet de voyage sur les traces de cet inconnu.

Nomades

   

Le nomade et le sédentaire

"Alternative nostalgique (et fausse) :

Ou bien s’enraciner, retrouver, ou façonner ses racines, arracher à l’espace le lieu qui sera vôtre, bâtir, planter, s’approprier, millimètre par millimètre, son « chez-soi » : être tout entier dans son village, se savoir cévenol, se faire poitevin.
Ou bien n’avoir que ses vêtements sur le dos, ne rien garder, vivre à l’hôtel et en changer souvent, et changer de ville, et changer de pays ; parler, lire indifféremment quatre ou cinq langues ; ne se sentir chez soi nulle part, mais bien presque partout."

Georges Pérec
Espèces d'espaces

Ed. Galilée.

Le portrait

Faites le portrait d’un nomade ou d’un sédentaire :
- il y a plusieurs centaines d’années,
- aujourd’hui.

Dialogue

Un incorrigible voyageur cherche à convaincre un sédentaire irréductible des vertus du mouvement.
- Improvisez la scène,
- écrivez le dialogue.


 
Journal intime, journal de bord

Vous trouverez au grenier le journal intime de votre grand-mère. Dans les trois premiers jours de ce journal, vous découvrez que votre grand-mère, au choix :

- était une grande voyageuse ;
- n’avait jamais quitté son village, mais ne cessait de voyager dans l’imaginaire ;
- vivait depuis toujours dans une rue qui constituait un microcosme haut en couleurs ;
- paralysée à la fin de sa vie, n’observait plus le monde que de sa fenêtre.

Ecrire les trois premières journées de ce journal.

Le carnet d’adresses

A côté du journal, se trouvait un carnet d’adresses.
Retranscrivez une des pages de ce carnet.

 
Voyage sur les traces d’un inconnu

Choisissez parmi les cartes dessinées par d’autres, une carte qui vous plaît.

Vous allez voyager à travers ses lieux de mémoire et écrire le carnet de voyage sur les traces de cet inconnu.

Voyages :

 

La carte du voyageur

Téléchargez le dossier textes de voyages ;

Complétez cette documentation avec des textes que vous trouverez à la bibliothèque ou au centre de documentation ;

Plongez-vous dans la littérature :

L’Odyssée raconte le long voyage d’Ulysse.
Les Voyages extraordinaires de Jules Verne vous transportent au fond des océans avec Vingt mille lieux sous la mer, autour de la lune dans De la terre à la lune, et Autour de la lune, au cœur de la terre avec Voyage au Centre de la terre, dans les airs avec Cinq semaines en ballon, et à travers tous les continents dans le Tour du monde en 80 jours.
Découvrez aussi des écrivains plus contemporains comme Bruce Chatwin, édité chez Grasset.
Offrez-vous la très belle anthologie intitulée Paroles de voyageurs. Ces Paroles rassemblées par Christian Bobin sont éditées chez Albin Michel.


 
Relisez Simbad le marin dans les Mille et une Nuits et les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift…

A l’aide de ces documents, essayez de construire la carte rendant compte du profil psychologique du voyageur.

Pour cela, essayez d’identifier :

les éléments poussant le voyageur à partir :
- désir d’inconnu, curiosité,
- contraintes extérieures,
- fuite,
- peurs…

     
  les traits de caractère du voyageur :
- positifs : curiosité, courage, ingéniosité…
- négatifs : instabilité, inconstance…

les épreuves du voyage, les pièges à éviter ;

les comportements du voyageur, les attitudes à adopter pour progresser ;

  l’attitude du voyageur au retour :
- difficultés,
- souvenirs,
- envie de repartir.

A partir de ce relevé, distinguez ce qui relève :
- de l’environnement extérieur ;
- des comportements et attitudes ;
- des traits de caractère.

Organisez cet ensemble de constatations en une carte où les traits de caractère permettront à des comportements de se tracer un chemin dans un environnement.

Géographie :  

La géographie dont vous êtes l'auteur


Le monde

"Le monde est grand
Des avions le sillonnent en tous sens, en tout temps.

Voyager.
On pourrait s’imposer de suivre une latitude donnée (Jules Verne, Les Enfants du Capitaine Grant), ou parcourir les Etats Unis d’Amérique en respectant l’ordre alphabétique (Jules Verne, Le Testament d’un Excentrique) ou en liant le passage d’un Etat à un autre à l’existence de deux villes homonymes (Michel Butor, Mobile).

Etonnement et déception des voyages. Illusion d’avoir vaincu la distance, d’avoir effacé le temps. Etre loin.

Voir en vrai quelque chose qui fut longtemps une image dans un vieux dictionnaire : un geyser, une chute d’eau, la baie de Naples, l’endroit où se tenait Gavrilo Princip quand il tira sur l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche et la duchesse Sophie de Hohenberg, à l’angle de la rue François-Joseph et du quai Appel, à Sarajevo, juste en face du débit de boissons des Frères Simic, le 28 juin 1914, à onze heures et quart.

Ou bien, plutôt, voir, très loin de son lieu supposé d’origine, un objet parfaitement laid, par exemple une boîte en coquillages portant « Souvenir de Dinard » dans un chalet de la Forêt-Noire, ou parfaitement commun, tel un cintre marqué « Hôtel Saint-Vincent, Commercy » dans un bed and breakfast d’Inverness, ou parfaitement improbable, comme le Répertoire archéologique du Département du Tarn, rédigé par M. H. Crozes, Paris, 1865, in-4, 123 p., dans le salon d’une pension de famille à Regensbug (plus connue en France sous le nom de Ratisbonne).


 
Voir ce que l’on a toujours rêvé de voir. Mais qu’a-t-on toujours rêvé de voir ? Les grandes Pyramides ? Le Portrait de Melanchthon par Cranach ? La tombe de Marx ? Celle de Freud ? Boukhara et Samarkhande ? Le chapeau que porte Katherine Hepburn dans Sylvia Scarlet ? (Un jour, me rendant de Forbach à Metz, j’ai fait un détour pour aller voir, à Saint-Jean-Rohrbach, le lieu de naissance du général Eblé.)

Ou bien, plutôt, découvrir ce que l’on n’a jamais vu, ce qu’on n’attendait pas, ce qu’on n’imaginait pas. Mais comment donner des exemples : ce n’est pas ce qui a été, au fil des temps, recensé dans l’éventail des surprises ou de merveilles de ce monde ; ce n’est ni le grandiose, ni l’impressionnant ; ce n’est même pas forcément l’étranger : ce serait plutôt, au contraire, le familier retrouvé, l’espace fraternel…


 
Que peut-on connaître du monde ? De notre naissance à notre mort, quelle quantité d’espace notre regard peut-il espérer balayer ? Combien de centimètres carrés de la planète Terre nos semelles auront-elles touché ?
Parcourir le monde, le sillonner en tous sens, ce ne sera jamais qu’en connaître quelques ares, quelques arpents : minuscules incursions dans des vestiges désincarnés, frissons d’aventure, quêtes improbables figées dans un brouillard doucereux dont quelques détails nous resteront en mémoire : au-delà de ces gares et de ces routes, et des pistes scintillantes des aéroports, et de ces bandes étroites de terrains qu’un train de nuit lancé à grande vitesse illumine un court instant, au-delà des panoramas trop longtemps attendus et trop tard découverts, et des entassements de pierres et des entassements d’œuvres d’art, ce seront peut-être trois enfants courant sur une route toute blanche, ou bien une petite maison à la sortie d’Avignon, avec une porte de bois à claire-voie jadis peinte en vert, la découpe en silhouettes des arbres au sommet d’une colline des environs de Sarrebrück, quatre obèses hilares à la terrasse d’un café dans les faubourgs de Naples, la grand rue de Brionne, dans l’Eure deux jours avant Noël, vers six heures du soir, la fraîcheur d’une galerie couverte dans le souk de Sfax, un minuscule barrage en travers d’un loch écossais, une route en lacets près de Corvol-l’Orgueilleux… Et avec eux, irréductible, immédiat et tangible, le sentiment de la concrétude du monde : quelque chose de clair, de plus proche de nous : le monde, non plus comme un parcours sans cesse à refaire.
Non pas comme une course sans fin, un défi sans cesse à révéler, non pas comme le seul prétexte d’une accumulation désespérante, ni comme illusion d’une conquête, mais comme retrouvaille d’un sens, perception d’une écriture terrestre, d’une géographie dont nous avons oublié que nous sommes les auteurs "

Le Monde
Georges Pérec
Espèces d'espaces

Ed. Galilée


 
Les cartes de votre géographie personnelle

Pour illustrer ce texte, dessinez :

- la carte de vos plus minuscules découvertes ;
- la carte du tout ce que vous rêvez de voir ;
- la carte de parcours à travers les villes qui commencent par la même lettre ;

L’interview

- Choisissez une personnalité de votre ville, un écrivain, un voyageur, quelqu’un dont vous avez envie de connaître la géographie personnelle. Pensez à deux ou trois personnes, car la première peut refuser l’interview, ne pas avoir le temps, ne pas être là ;
- Construisez un guide d’entretien ;
- Contactez la personne et définir avec elle les modalités d’entretien (en direct, par correspondance, le texte sera-t-il édité dans un journal du lycée, sur le site Web ?… Comment ferez-vous valider le texte).
- Réalisez l’interview ;
- Retravaillez le texte en vue d’une publication.


Frontière :
 

La frontière

 Frontières

"Les pays sont séparés les uns des autres par des frontières. Passer une frontière est toujours quelque chose d’un peu émouvant : une limite imaginaire, matérialisée par une barrière de bois qui d’ailleurs n’est jamais vraiment sur la ligne qu’elle est censée représenter, mais quelques dizaines ou quelques centaines de mètres en deçà ou au-delà, suffit pour tout changer, et jusqu’au paysage même : c’est le même air, c’est la même terre, mais la route n’est plus tout à fait la même, la graphie des panneaux routiers change, les boulangeries ne ressemblent plus tout à fait à ce que nous appelions, un instant avant, boulangerie, les pains n’ont plus la même forme, ce ne sont plus les mêmes emballages de cigarettes qui traînent par terre…"

Georges Pérec
Espèces d'espaces

Ed. Galilée

Dessinez une carte de frontière. Choisissez la frontière entre deux pays, deux comportements, deux philosophies, deux générations… le yin et le yang.


Voyage intérieur :
 

Le voyage intérieur

La vie voyage

"Aucune marche
Aucune navigation
N’égalent celles de la vie
S’actionnant dans tes vaisseaux
Se centrant dans l’îlot du cœur
Se déplaçant d’âge en âge

Aucune exploration
Aucune écologie
Ne se comparent aux circuits du sang
Aux allusions du corps
Aux éruptions de l’âme

Aucune ascension
Aucun sommet
Ne dominent l’instant
Ou t’octroyant forme
La vie te prêta vie
Les versants du monde
Et les ressources du jour

Aucun pays
Aucun périple
Ne rivalisent avec ce bref parcours :
Voyage très simple
De la vie
Devenue Toi."

André Chedid
Poèmes pour un texte,
1970-1991
Flammarion, 1991

Pour illustrer ce texte, imaginez une carte d’un voyage intérieur s’inscrivant dans une partie du corps : la main, le pied, le cerveau, le ventre… ou le corps tout entier.

Carte du cerveau  

d’un bernard-l’hermite planétair
e

"Se vider, se dénuder et une fois vide et nu s’emplir de saveurs
et de savoirs nouveaux.
Se sentir proche des Lointains et consanguins des Différents.
Se sentir chez soi dans la coquille des autres.
Comme un bernard-l’hermite. Mais un bernard-l’hermite planétaire."

Jacques Lacarrière

Dessinez la carte du cerveau de ce bernard-l’hermite planétaire.