Encyclopédie des arts du cirque

Arts du cirque

Sol (Marc Favreau), acteur, clown clochard

Théâtre du Ranelagh, direction Madona Bouglione
L’Année des Clowns, 1991
BnF, département des Arts du spectacle, 4-COL-180 (148)
© D.R. / Bibliothèque nationale de France
« Sol est-il bien de la famille ? Quoi de commun entre le clown de tradition avare de paroles, avant tout physique, musical, et ce lanceur de mots ? La virtuosité, le paroxysme. Sol est acrobate, mais acrobate du langage. Dès qu’il surgit de l’ombre, clochard à la Beckett, avec sa poubelle pour Fin de partie, sa silhouette d’excentrique hors du temps, c’est un univers de soliloques et d’interrogations majeures qui fait avec lui irruption dans les taches de lumière, le vertige des phrases qui envahit l’espace du cascadeur.
Or, canadien francophone, Sol – Marc Favreau pour l’état civil – a trouvé trop simple d’user du français ordinaire. Il a inventé sa langue, cassant les mots pour des accouplements de syllabes qui vont jusqu’à l’‟otorhinoféroceˮ et à l’‟éléphantastiqueˮ. Entre les joyeusetés de feu Georgius, les calembours de Bobby Lapointe et les dérives de Dubillard, on glisse dans un univers comico-inquiétant où les mots sautent comme des mines, sans espoir de retour au banal. C’est ce que Sol appelle ‟irrévocabulaireˮ. Toute résistance inutile, on se laisse emporter dans cette terra incognita foisonnante d’hybrides et de désopilants paronymes. Environné de ‟murmures mitoyensˮ, on ‟gratte les fonds de terroirˮ, sans se dissimuler qu’avec ‟un sac de licenciements et une cruelle on finit par tout gâcherˮ. Attention aux ‟anémones pernicieusesˮ. Nous voici dans un univers second, à la merci du locuteur, entraînés comme les rats par le joueur de flûte.
Cette incantation-fleuve va bien au-delà du jeu. Sol ne parle pas ‟pour parlerˮ. Il dit le désarroi du paumé de base aux prises avec la multitude, l’origine des espèces, l’inquiétude face aux espaces infinis, la peur de la maladie, la rivière-égout et la mer-poubelle, la tendresse aussi. Tout cela avec un lyrisme rugueux, dans la cocasserie des mots qui dansent devant un public constamment secoué par le rire. Jamais distributeur de messages, Sol préfère exorciser par l’humour : la situation est désespérée, mais pas sérieuse. »
 
Source : Le Figaro du 8 avril 1991, article « Sol-Soliloques pour rire », cité dans Trente ans de cirque en France (1968-1997). Chroniques de Jacques Richard, journaliste de Philippe Goudard et François Amy de la Bretèque, 2018.