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La menace,
fondement du conte
Le conte de fées met en scène un
héros enfant ou adolescent soumis à des épreuves, qui sont les
véritables nœuds de l’intrigue. Elles participent de la définition du
genre et lui donnent tout son sens, comme l’a souligné Bruno Bettelheim
(Psychanalyse des contes de fées,1976) : "Pour qu’il y
ait conte de fée, il faut qu’il y ait menace — une menace dirigée
contre l’existence physique du héros, ou contre son existence
morale." Que serait, en effet, Le Petit Chaperon rouge sans la
menace du loup, Le Petit Poucet sans celle de l’ogre ou Peau-d’Âne
sans le risque de l’inceste ?
Une lecture littérale des contes de fées peut effrayer dans la mesure
où elle donne aux épreuves une gravité disproportionnée par rapport à
l’âge des protagonistes. Mais ces épreuves sont davantage à lire à
la lumière des interprétations psychanalytiques, qu’elles portent sur
le matériel de l’inconscient d’un Freud (L’intervention dans les
rêves du matériel des contes de fées, 1913) ou d’un Bettelheim ou
sur les archétypes psychologiques mis en valeur par Jung et Marie-Louise
von Franz (L’Interprétation des contes de fées,1978). Elles
peuvent être complétées par l’approche structuraliste de Vladimir
Propp (Les Racines historiques du conte merveilleux, 1946) qui en
décrit les variantes et les combinaisons.
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L’épreuve
initiale : la séparation
La plupart des contes de fées
commencent par la séparation, qui revêt mille facettes se combinant
entre elles. Elle est représentée par la mort d’un parent (celle de la
mère de Cendrillon, du père de Blanche-Neige) ou, plus fréquemment, par
le départ de l’enfant, soit parce que celui-ci est abandonné par ses
parents ou par un tiers (Le Petit Poucet, Hänsel et Gretel,
Blanche-Neige), soit parce qu’il fuit une situation impossible (Peau-d’Âne).
Il arrive également qu’il parte à la découverte du monde, à la
recherche d’un bien précieux (Les Trois Plumes, Grimm), d’un
sentiment inconnu, comme celui de la peur (Histoire d’un qui s’en
alla pour apprendre le tremblement, Grimm), ou d’une personne (Le
fidèle Jean, Grimm). Quelle que soit sa nature, la séparation
équivaut, selon Bettelheim, à la "nécessité de devenir
soi-même", tandis que Marie-Louise von Franz voit dans le voyage l’image
d’une "descente dans l’inconscient".
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Appauvrissement et
humiliations
Cette épreuve initiale s’accompagne
souvent, à un moment de l’histoire, d’un appauvrissement ou d’humiliations,
qui accentuent encore la nostalgie du paradis perdu. Le thème de Cendrillon
l’exploite pleinement, tandis que Peau-d’Âne devient la fille de
ferme raillée par ses congénères. Dans La Belle et la Bête, le
père de la Belle perd tout son bien lors du naufrage de ses navires et se
voit contraint de vivre à la campagne où la plus jeune de ses filles est
reléguée aux bas travaux. "La Belle se levait à quatre heures du
matin et se dépêchait de nettoyer la maison et d’apprêter à dîner
pour la famille. Elle eut d’abord beaucoup de peine car elle n’était
pas accoutumée à travailler comme une servante."
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La
tentation
Arrive le moment de la tentation,
qui fait basculer l’histoire dans le drame ou provoque la séparation.
Blanche-Neige ne doit ouvrir la porte à personne mais accepte la pomme de
la vieille femme sorcière, le père de la Belle cueille une rose sur un
domaine qui n’est pas le sien, la mère de la Chatte blanche succombe
à l’appât des fruits des fées, la femme de Barbe-Bleue et le
fidèle Jean ouvrent la porte d’une chambre qui leur est interdite. Le
résultat ne se fait pas attendre. L’une tombe dans un profond sommeil,
les deux suivants sont condamnés à livrer leur fille respectivement aux
mains d’un monstre ou de fées, la curieuse est menacée de mort tandis
que le fidèle Jean tombe sous le charme du tableau représentant une
princesse dont il va rechercher l’original vivant.
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La
peur la mort et la recherche de l’amour
En filigrane sont ainsi révélés
les deux moteurs de l’action des héros : la peur de la mort et la
recherche de l’amour. L’amour n’est jamais atteint qu’après de
multiples épreuves. La différence sociale est un premier obstacle. C’est
elle qui interdit à Fatal de se déclarer à la princesse, fille de roi,
alors qu’il ne se croit que fils de fermier (Fatal et Fortuné,
Grimm). Mais l’obstacle majeur est bien souvent d’ordre physique. La
laideur de Riquet à la houppe rebute son obligée, la Bête ne peut
obtenir la main de la Belle, malgré ses déclarations quotidiennes, de
même que la Chatte blanche ne reçoit rien du prince qu’elle aide. Mais
la pire épreuve reste celle de la mort. Elle est annoncée par les
amputations ou mutilations que subit le héros, tel le tailleur des Deux
compagnons de route, de Grimm, dont les yeux sont crevés par le
cordonnier, en échange de deux morceaux de pain qu’il lui réclame pour
éviter la famine. Elle est plus cruelle encore lorsque la vie de l’enfant-adolescent
est mise en danger, à l’instar du petit Poucet et de ses frères sous
le couteau de l’ogre, ou de Blanche-Neige sous celui du chasseur. Elle
est parfois au cœur du récit : L’Histoire d’un qui s’en
alla pour apprendre le tremblement, de Grimm, met en scène un jeune
homme qui, pour apprendre la peur, doit passer trois nuits dans un
château dont personne n’est ressorti vivant. La première nuit, il est
attaqué par une horde de chats et de chiens noirs avec des colliers
rouges, couleurs de la mort et de l’enfer. La deuxième nuit, plusieurs
hommes tombent par morceaux de la cheminée, avec neuf tibias et deux
têtes de mort avec lesquels ils jouent aux quilles. La troisième nuit,
enfin, six hommes apportent un cadavre froid dans un cercueil et un esprit
à longue barbe blanche tente de tuer le héros.
Cependant, il est rare que le conte de fées finisse sur la mort du
personnage principal. Le Petit Chaperon rouge, dans la version de
Perrault, est à cet égard une exception, car "la mort du héros [y]
symbolise son échec […]. Elle exprime de façon symbolique qu’il n’est
pas encore assez mûr pour triompher de l’épreuve qu’il a affrontée
inconsidérément et prématurément". C’est évidemment là l’expérience
de la relation sexuelle, qu’aborde ouvertement la morale de la fin du
conte.
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Le
bonheur et l’amour en récompense
La plupart des contes finissent
toujours par récompenser le héros. Les enfants abandonnés retrouvent la
maison familiale où ils rentrent chargés des richesses qui leur
éviteront à jamais des mésaventures. L’appauvrissement de la Belle, l’humiliation
de Cendrillon ou de Peau d’Âne ne sont que passagers. Ultime
récompense, les héros trouvent le bonheur dans l’amour. "Non, ma
chère Bête, vous ne mourrez point, vous vivrez pour devenir mon époux […].
A peine la Belle eut-elle prononcée ces paroles qu’elle vit le
château brillant de lumière, les feux d’artifices, la musique, tout
lui annonçait une fête mais toutes ces beautés n’arrêtèrent point
sa vue : elle se retourna vers sa chère Bête dont le danger la
faisait frémir. Quelle fut sa surprise ! la Bête avait disparu, et
elle ne vit plus à ses pieds qu’un prince plus beau que l’amour qui
la remerciait d’avoir fini son enchantement." Elle avait découvert
le secret. Fatal, quant à lui, apprend qu’il est fils de roi et peut
prétendre épouser la princesse.
L’essentiel tient dans le fait que les épreuves sont toujours
surmontées. Bruno Bettelheim : "Tel est exactement le message
que les contes de fées, de mille manières différentes, délivrent à l’enfant :
que la lutte contre les graves difficultés de la vie est inévitable et
fait partie intrinsèque de l’existence humaine, mais que si, au lieu de
se dérober, on affronte fermement les épreuves attendues et souvent
injustes, on vient à bout de tous les obstacles et on finit par remporter
la victoire."
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Epreuves
différenciées selon le sexe du héros
Attendues, les épreuves le sont
aussi en fonction du sexe du personnage principal. Comment ne pas
remarquer, en effet, que certaines épreuves sont destinées aux femmes et
d’autres aux hommes ? Les travaux ménagers s’appliquent aux
filles comme Cendrillon ou Peau d’Âne et prennent parfois une tournure
positive. C’est ainsi que le conte de La Belle et la Bête
ajoute, après avoir décrit la déchéance de la Belle :
"[…] mais au bout de deux mois elle devint plus forte et la fatigue
lui donna une santé parfaite." Autre épreuve, la réclusion —
dans les contes de Raiponce, de L’Oiseau bleu, de La
Chatte blanche, ou de Blanche-Neige sous une forme atténuée
—, est également l’apanage des femmes. Elle intervient au moment de
la maturité sexuelle, comme pour marquer un passage.
A l’inverse, le voyage est une marque de l’apprentissage de la
virilité. De nombreux contes présentent un jeune garçon qui va
parcourir le monde, à la conquête d’une femme, du trône, ou tout
simplement pour apprendre la vie. Très souvent, il doit combattre un
géant ou un dragon pour conquérir sa Belle, comme Avenant terrassant
Galifon pour obtenir la main de la Belle aux cheveux d’or. On peut alors
se demander avec Jack Zipes si le but du conte de fées, à travers les
épreuves qu’il décrit, n’est pas d’abord de socialiser les
enfants ; le conte pourrait traduire, selon lui, une évolution
sociale de type patriarcal, achevée avant sa mise par écrit :
"Progressivement, les contes traditionnels oraux, originairement
empreints de mythologie matriarcale, circulèrent au Moyen Âge et furent
transformés de diverses manières : la marraine devint une
sorcière, une fée démoniaque ou une marâtre, la jeune princesse
déterminée et active devint un jeune homme ; des lignées maternelles de
naissance, ou par mariage, firent place à des lignées paternelles ; la
nature des symboles basés sur des rites matriarcaux fut amoindrie et
banalisée."
Mais, comme le note Marie-Louise von Franz, le jeune homme déterminé et
actif fait parfois place à l’anti-héros, et nie l’épreuve. "Le
héros réussit purement et simplement par paresse : il se contente
de s’asseoir sur un poêle et de se gratter et le résultat lui tombe
tout fait dans les bras : compensation évidente d’une attitude
collective qui met trop fortement l’accent sur l’efficacité".
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