Erich Fromm
    Psychanalyste américain d'origine allemande, Erich Fromm (1900-1980) prône une adaptation de la psychanalyse à la dynamique sociale à partir d'une lecture humaniste de Marx. Le conte du Petit Chaperon rouge illustre très bien le point de vue freudien et jette en même temps une claire lumière sur le thème du conflit des principes masculin et féminin que nous trouvons dans la trilogie oedipienne et dans le mythe de la Création. Ce texte est extrait de Le langage oublié (Payot, 1951).
   
 

[ Citation du texte de Perrault prolongé de la fin du texte des frères Grimm. ]

C'est sans grande difficulté que l'on comprendra la majeure partie du symbolisme de ce conte. Le petit chaperon de velours rouge est le symbole de la menstruation ; la petite fille dont on nous conte les aventures, devenue une femme, doit maintenant faire face aux problèmes du sexe. – Ne point s'écarter du chemin, pour ne pas tomber et briser le pot de beurre, qu'est-ce d'autre qu'une mise en garde contre le danger du sexe et la perte de la virginité ? – L'appétit sexuel du loup est éveillé à la vue de la fillette ; il essaie de la séduire en l'invitant à regarder alentour et à écouter le chant suave des oiseaux. Le petit Chaperon rouge ouvre sur le monde des yeux tout neufs, et, suivant les invites du loup, s'enfonce au plus profond du bois. Elle veut pourtant se disculper, et sa conduite s'achève en un acte de rationalisation bien caractéristique : pourquoi aurait-elle tort, alors qu'elle se convainc que sa grand-mère serait heureuse des fleurs que, pour elle, elle cueillerait ?
Mais cette déviation du droit chemin de Vertu est sévèrement punie. Le Loup, s'étant déguisé en grand-mère, dévore l'innocent petit Chaperon rouge. Son appétit apaisé, il s'endort.
Jusqu'ici, le conte semble receler un thème unique, simple, moralisant: le danger de la tentation sexuelle. Mais il faut aller plus loin. Quel est le rôle de l'homme et comment le sexe est-il représenté ?
Le mâle est décrit comme l'animal cruel et rusé, l'acte sexuel est représenté comme l'acte cannibalesque par lequel le mâle dévore la femelle. Mais tel n'est point le point de vue de la femme qui aime l'homme et jouit du sexe. Ne serait-ce point là l'expression de l'antagonisme foncier qui oppose l'homme et l'essence même de la sexualité ? D'ailleurs la haine et le préjugé de la femme contre l'homme sont plus clairement soulignés encore à la fin de l'histoire. Ici, comme dans le mythe babylonien, il nous faut nous souvenir que la supériorité de la femme consiste en sa capacité de porter des enfants. Comment, dès lors, le loup se rend-il ridicule ? En montrant qu'il a essayé de jouer le rôle d'une femme féconde, qui, en elle, possède des germes de vie. Le petit Chaperon rouge emplit de pierres le ventre de l'animal – de pierres, symbole de la stérilité – le loup s'effondre et meurt. Selon la loi primitive du talion, son acte est puni, et puni selon son crime : il est tué par les pierres, symbole de la stérilité, qui raillent son usurpation du caractère de fécondité de la femme.
Ce conte, dont les trois protagonistes incarnent trois générations, dans la lignée féminine – le chasseur, à la fin, est la figure conventionnelle du père, qui n'a pas de poids réel – fait jaillir en pleine lumière le conflit des deux sexes : c'est l'histoire du triomphe de la femme haïssant l'homme, trouvant son accomplissement dans sa victoire, qui, tout à l'inverse du mythe d'Oedipe, fait sortir l'homme victorieux de la bataille.

Extrait de Le langage oublié. Payot, 1951.