Henri Pourrat (1948)
   

Henri Pourrat (1887-1959). Ecrivain français, né et mort à Ambert. Sa santé fragile l'amène à s'intéresser au passé de sa province, aux histoires de veillées et aux sources authentiques de la culture populaire. Il a évoqué son Auvergne natale dans ses poèmes, dans ses romans (Gaspard des Montagnes, 1922-1931, inspiré d'un conte célèbre Le Conte des yeux blancs, ou de la main coupée) et dans sa série Le Trésor des contes parue de 1948 à 1962. Auteur de quelque soixante-dix ouvrages,
il reçoit le prix Goncourt en 1941 pour Vent de mars.

Cette version met en scène un chaperon rouge que sa grand-mère trouve "gente à donner envie de la croquer" ; elles vivent ensemble "au mitan" d'un grand bois […] qui était aussi noir par endroits que le ventre du loup".
Sur le chemin du retour, après avoir ramassé du bois mort, elles arrivent à un carrefour : la fillette choisit le sentier des pierrettes et sa grand-mère, lourdement chargée, celui plus court des épinettes. Le chaperon flâne, s'endort, cueille mûres et noisettes avant de déclarer à une "bête pelue" : " Me faut aller, si je traînais, je pourrais rencontrer le loup, et la mère-grand m'a bien dit que je ne m'amuse surtout pas à lui tenir conversation."
La mort de la grand-mère est sanglante puisque, comme dans la version nivernaise, sa chair et son sang sont conservés par le loup et innocemment dévorés par la fillette - en dépit des mises en garde du chat  -, juste avant qu'elle-même ne devienne victime. L'une et l'autre sont sauvées par le parrain du chaperon, un bûcheron, qui ouvre le ventre du loup et les libère : en sortant, la mère-grand est décrite comme "clignant des yeux, secouant les oreilles".

 

 

 

La porte s'ouvre. Entre le Chaperon rouge, sautant comme un perdreau.
– Mets ton fagot au coin du feu, ma petite fille. Puis viens te coucher près de moi, tu me réchaufferas. Toi aussi, tu tombes de sommeil.
– Mère-grand, que je mange et que je boive ! J'ai si faim, j'ai si soif !
– Prends le salé qui est dans le bichet, ma petite fille, et le vin dans l'autre bichet !
Voilà le Chaperon rouge s'affairant et soupant, mais bien surprise d'entendre le chat, d'un tabouret au coin du feu, en miaulant l'avertir :
Tu manges la chair
De ta grand-mère,
Tu bois le sang
De ta mère-grand !
– Ho, mais, entendez-vous ce que dit le minet : que je mange la chair de ma grand-mère, que je bois le sang de ma mère-grand.
– Il n'a rien dit, ma petite fille; ce sont les oreilles qui te sifflent ! Viens vite coucher près de moi, tu me réchaufferas. Tout en montant au lit, le petit Chaperon rouge tremble : "La peur me tient : je crois que la fièvre va me prendre !"
– Oh, mère-grand, comme vous avez bourrues vos pauvres jambes, plus bourrues que les sapins du bois de Malavieille.
– C'est de vieillesse, ma petite fille, c'est de traînesse : j'ai tant couru les bois que je suis devenue bois !
– Oh, mère-grand, que vous avez de grands bras !
– C'est pour mieux t'embrasser, ma petite !
– Oh, mère-grand, comme vous avez de grandes oreilles !
– Ma petite, c'est pour mieux t'écouter.
– Oh, mère-grand, comme vous avez de grandes dents !
– Ma petite, c'est pour mieux te manger !
Et hop, d'un seul coup de gueule, le loup la gobe comme le loriot gobe la cerise.

Extrait du Petit Chaperon rouge par Henri Pourrat.
Tiré du Trésor des contes, Gallimard 1948-1962.