Tony Ross (1978)
   

Tony Ross (né à Londres en 1938). Publicitaire, professeur, il devient à partir de 1973 auteur-illustrateur de livres pour enfants. On lui doit une vingtaine de titres, dont plusieurs adaptations de contes traditionnels. Le Petit Chaperon rouge (dont il a réalisé le texte et l'illustration) paraît en 1978. Cette version fut publiée en 1980 chez Gallimard (Folio-Benjamin), dans une traduction de Marie-Raymond Farré.

La version est celle des frères Grimm, modernisée par un loup qui connaît le conte alors que le petit chaperon cultive la naïveté de la découverte. Tout commence par la couleur rouge, d'abord associée à des bottes, puis à une cape à chaperon confectionnée pour la petite fille par sa grand-mère, et enfin un vélo offert par ses parents : ainsi se réécrit la biographie de celle qui reste le Petit Chaperon rouge. Un dimanche d'été, la fillette part rendre visite à sa grand-mère : cabas contenant "des tartes croustillantes, des chocolats fondants et une bouteille de bière" et recommandations d'usage. Mais le petit chaperon prend son temps, rencontre sans le reconnaître un loup qui, en revanche, sait fort bien qui elle est. Il l'encourage à la flânerie et en profite pour accomplir son méfait : progrès oblige, la sonnette se substitue à la formule magique et la grand-mère est furieuse d'être dérangée pendant son feuilleton télévisé. La suite est sans surprise, la grand-mère et sa petite-fille sont tour à tour dévorées - le loup est cependant conscient de l'invraisemblance de son déguisement : il éteint la lumière. Le carnage n'est pas sanglant : le père du chaperon, būcheron, inquiet pour sa fille, découvre le loup et libère fille et grand-mère en secouant l'animal après l'avoir assommé. Les victimes se vengent en le bombardant de projectiles et le loup, humilié, quitte le pays et devient végétarien : "Depuis, il cultive son jardin."

 

 

 

Mais en chemin, la petite fille sautillait et sifflotait sans se presser. Soudain, elle aperēut un énorme chien qui dormait profondément sous un arbre. L'énorme chien était en vérité un loup, mais le Petit Chaperon rouge n'en savait rien. Pour s'amuser, elle se mit à lui chatouiller le nez avec une brindille. Le loup ouvrit un petit œil en vrille.
"Quelle chance! songea le loup qui était mort de faim, le Petit Chaperon rouge !"
"Où vas-tu, ma belle enfant ? dit-il à haute voix.
- Chez mère-grand, au cœur de la forêt, répondit le Petit Chaperon rouge. - Et qu'y a-t-il, dans ton cabas ? demanda le loup.
- Des tartes croustillantes, des chocolats fondants et une bouteille de bière.
- Quel lourd fardeau pour tes maigres épaules! reprit le perfide animal. Repose-toi donc un moment."
Le soleil brillait... et la proposition du loup était bien tentante. Le Petit Chaperon rouge s'assit sur un tronc d'arbre et se mit à tresser des guirlandes de pâquerettes. Le loup s'éclipsa en un clin d'œil. Il courut, courut, jusqu'au cœur de la forêt.
"D'abord, je croque mère-grand, songeait-il, puis le Petit Chaperon rouge et je termine par les tartes et les chocolats fondants."
Le loup sonna à la porte de la chaumière. La grand-mère venait juste de s'installer devant la télévision pour regarder son feuilleton préféré.
"Qui est là ?" marmonna-t-elle, furieuse d'être dérangée.
Le loup fourra son museau dans la boîte aux lettres et murmura d'une petite voix de souris :
"C'est moi, le Petit Chaperon rouge !"
Le visage de mère-grand s'illumina.
"Entre donc, mon enfant ! " s'écria-t-elle.
Le loup se précipita sur la vieille dame et n'en fit qu'une bouchée. Une petite bouchée car grand-mère n'était pas bien grosse. Puis le loup grimpa dans la chambre, au premier étage.
Il enfonēa un bonnet de dentelles sur ses oreilles, enfila une chemise de nuit rose et se glissa au lit.
En apercevant son reflet dans le miroir, il se dit en riant qu'il ne ressemblait guère à une grand-mère...
Alors, il éteignit la lumière et attendit le Petit Chaperon rouge.

Extrait du Petit Chaperon rouge par Tony Ross.
Gallimard, Folio-Benjamin, 1980.