Une volonté pédagogique : les enjeux du frontispice

La première version de ces contes : des contes de "mies"
Des vignettes illustratives
Charles Perrault, un auteur de contes littéraires ?
   

 

Le frontispice illustre la thématique de l'ouvrage, alors que la censure religieuse et politique réduit la part de l'image dans le texte.
L'image se réfugie alors dans le frontispice "à cippe", dont le titre est gravé sur un piédestal, une colonne ou un rocher ou sur un frontispice à cartouche, dont les bandeaux à fleurons représentent de véritables tableaux à eux seuls.
A l'exception du frontispice, l'image est soumise au texte ; elle l'illustre en l'ornant d'images, dans les vignettes du titre ou en le rendant clair par des exemples, disséminés dans le texte. Enfin, les culs de lampe décorent le début et la fin des chapitres.

 

La première version de ces contes : des contes de "mies"
   
 

En 1953, la Pierpont Morgan Library fait l'acquisition d'une copie manuscrite des Contes en prose de Perrault, jusque là ignorée. Calligraphiée par une main anonyme, reliée en maroquin rouge aux armes de la nièce de Louis XIV, la Grande Mademoiselle, à qui elle fut offerte, cette copie porte le titre de Contes de ma Mère l'Oye et date de 1695.
Ornée d'un frontispice, d'un cartouche et de cinq vignettes gouachées aussi anonymes que le texte, ce manuscrit est antérieur de deux ans à l'édition originale, mais on relève une très forte influence de l'un sur l'autre.
Dans l'édition originale de 1697, Clouzier s'inspire fortement des dessins ornant la copie manuscrite de 1695 ; le recueil est illustré d'un frontispice qui conserve l'inscription "Contes de ma Mère l'Oye", disparue de la page de titre et de huit vignettes en tête de chaque conte gravées par Antoine Clouzier, d'après les dessins du manuscrit.
Trois nouvelles histoires sont rajoutées au manuscrit de 1695 : Cendrillon, Le Petit Poucet et Riquet à la houppe, ainsi que La Belle au Bois dormant, qui a fait l'objet d'une prépublication dans Le Mercure galant.

Le frontispice colorié dans l'exemplaire manuscrit et repris quasiment intégralement dans l'édition originale est riche de sens : un espace clos, délimité par une porte fermée, sur laquelle une inscription légende la scène en identifiant le personnage principal, "Contes de ma Mère l'Oye", qui reprend le titre d'origine. On peut y distinguer :
– un espace familier et familial, avec un chat qui se pelotonne au coin du feu
– une scène nocturne éclairée par le rougeoiement du feu et une bougie qui évoque les veillées rurales
– une conteuse, pouvant être identifiée comme une nourrice, file sa laine, un fuseau à la main et une quenouille sous le bras
– l'auditoire comprend trois jeunes gens dont les habits attestent la qualité (chapeau et vêtement bleu du jeune garηon, coiffure Fontanges de l'une des filles, manchon)
– l'auteur, anonyme, s'efface devant cette conteuse en action, qui est en train de filer sa laine, tout comme les fées, fileuses de destinées humaines, Parques ou Moires de l'Antiquité.

A l'origine, les contes de Perrault ne sont pourtant pas destinés aux enfants. Ils relèvent d'une tradition, celle du conte merveilleux populaire, réimportée d'Italie via Basile et Straparole et la Commedia dell'arte. Mais on voit ici très bien la volonté de leur auteur d'une écriture à destination d'un nouveau public, celui de l'enfance. C'est d'ailleurs ce que dévoile dans le manuscrit de 1695 une variante de la dédicace, qui affirme "la simplicité enfantine de ces récits".

Pistes pédagogiques :
– Relever sur ce frontispice l'ensemble des éléments qui rattachent le conte à l'oralité.
– Expliquer son titre. Pourquoi Perrault modifie-t-il ce titre dans la première édition en transformant Les Contes de ma Mère l'Oye en Histoires ou Contes du temps passé ?
– A quel public s'adresse-t-il ? A quelle classe ou ordre social ?
– On a souvent attribué Les Contes de ma Mère l'Oye au fils de Perrault, Pierre Perrault Darmancour. Inventer un dialogue entre le père et le fils réclamant la paternité des contes et se révoltant contre leur attribution erronée. Faites intervenir le personnage d'une conteuse (une "mie" ou nourrice) qui serait l'auteur réel de ces contes de fées.

Des vignettes illustratives
   
 

Publiée 45 ans après l'édition originale, cette nouvelle édition fait date par son illustration, gravée en taille douce par le hollandais Simon Fokke d'après des dessins de Jacques de Sève. Les huit vignettes en tête de chaque conte se démarquent de l'illustration traditionnelle par le sujet et par le style. Le Petit Chaperon rouge ouvre désormais le recueil. Il est illustré par une scène de dévoration d'une grande violence, alors que l'original représentait un "Petit" Chaperon Rouge très mature avec un loup à l'aspect bien animal.

La gravure en taille-douce :
– le graveur trace un sillon à l'aide d'un burin sur une plaque de cuivre polie puis on encre la plaque ;
– l'encre se dispose dans les creux et se dépose sur le papier au moment de l'impression ;
– la gravure ne permet que quelques centaines d'exemplaires.

Pistes pédagogiques :
– Comparer cette scène de dévoration avec d'autres plus contemporaines.
– Souligner le rôle des vignettes dans l'organisation du récit : précédant celui-ci, quelle est sa fonction ? Pourquoi le choix de la scène représentée est-il particulièrement important ?
– L'ordre des contes est-il significatif ? Pourquoi ?

 

Charles Perrault, un auteur de contes littéraires ?
   
 

Ce projet de frontispice n'a semble-t-il jamais été utilisé.
Il présente au centre le portrait de l'auteur d'après la célèbre gravure réalisée en 1694 par Edelink. L'auteur, anonyme, s'est amusé à modifier l'original en rajoutant dans les angles inférieurs du portrait quelques objets caractéristiques des contes : une baguette de fée, un petit pot (de beurre ? ), une galette, une pantoufle (de verre ? ), des bottes (de sept lieues ? ) et la célèbre quenouille.
Le pourtour du frontispice est occupé par douze vignettes, une pour chacun des onze contes et une vignette générale intitulée "contes de fées". La majeure partie d'entre elles reprend l'iconographie traditionnelle des vignettes précédant les récits.
Une seule fait entorse à la tradition, celle illustrant La Belle au Bois dormant : la scène la plus couramment représentée est celle du baiser du Prince réveillant la Belle. On voit ici la Belle en train de s'endormir la tête reposant sur les genoux de la vieille fileuse après s'être piquée avec la quenouille et, fait particulièrement insolite, la scène se déroule en pleine nature et non dans l'antre de la vieille.
On peut observer également une méprise : l'attribution à Perrault du conte de L'Adroite Princesse, qui est dϋ à Mademoiselle L'Héritier, ainsi qu'un oubli, celui des Trois Souhaits.

Pistes pédagogiques :
– Pourquoi représenter l'auteur Charles Perrault au centre du frontispice ? Comparer avec le manuscrit : que révèle cette présence ?
– Relever l'ensemble des objets présents sur le frontispice : à quels contes se réfèrent-ils ? Pourquoi peut-on parler d'objets "conducteurs privilégiés du Merveilleux" ? Ces objets sont-ils complices du héros ou au contraire maléfiques ? En quoi peut-on dire qu'ils accélèrent ou au contraire ralentissent le récit ? Analyser leur rôle dans le déroulement des épreuves auxquelles le héros est confronté.
– Quelle scène illustre chacune des onze vignettes ?
– Par quoi est illustrée celle du titre ?

Au XVIIIe siècle, l'illustration est en général peu présente dans les contes : beaucoup de contes ne sont pas du tout illustrés comme ceux de Madame de Murat ou de Madame d'Aulnoy, même si Comenius prône dès 1654 une certaine "pédagogie par l'image" dans son Orbis pictus.
"Les images sont la forme du savoir le plus intelligible que les enfants peuvent regarder". Mais il faut attendre le XIXe siècle pour que l'école renoue avec cette pédagogie en insérant des images dans le texte grâce notamment à la gravure "de bois de bout".