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Une
planche d'Epinal : un découpage structurel du conte
L'image seule : une volonté didactique
Des images et un texte
entrecroisés
Une planche de découpage : un véritable "jeu de Meccano"
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Depuis le début du
XVIIe siècle, des ouvrages de couleur bleue sont imprimés à
Troyes par Nicolas Oudot, imprimeur-libraire. Ils sont diffusés par l'intermédiaire
des colporteurs, marchands-merciers et vont appartenir à ce que l'on va
appeler plus tard la "Bibliothèque bleue".
Vendus très bon marché (moins de 5 sols la douzaine, alors qu'un livre
ordinaire coûte entre 10 et 20 sols l'exemplaire), ils sont largement
diffusés jusque dans les campagnes où ils servent de livres d'apprentissage
de la lecture. La Bibliothèque bleue n'étant pas soumise au dépôt légal
institué en 1537, on n'en connaît malheureusement ni les titres ni le
lectorat. La part de l'image y est peu développée du fait de son coût
élevé : sur les 332 titres de l'inventaire Oudot, étudiés par Roger Chartier
("Livres bleus et lecture populaire", dans L'Histoire de l'édition
française), 20% possèdent une seule illustration et 20% en ont plusieurs.
Mais celles-ci sont très grossières, la gravure sur bois ne permettant
pas une très grande finesse d'exécution. Les traits sont mal encrés, le
papier de mauvaise qualité et les couleurs passées, la plupart du temps
réservées à la seule couverture ainsi qu'à quelques vignettes et dessins.
Un bouleversement se produit au XVIIIe siècle d'abord en Angleterre
où, comme en France, on trouvait déjà des abécédaires illustrés. Une véritable
littérature pour enfants à portée didactique prend naissance avec Les
Aventures de Robin des Bois, et surtout Jack, le tueur de Géants
: les images sont nombreuses et sont chargées d'une portée didactique
bien marquée.
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Une
planche d'Epinal : un découpage structurel du conte
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L'imagerie populaire
ne prend véritablement son essor en France qu'à la fin du XVIIIe
siècle et surtout au début du XIXe avec la production des images
d'Epinal par Jean-Charles puis Nicolas Pellerin entre 1780 et 1840.
Les feuilles sont gravées sur bois de fil, cela signifie que le bois est
débité selon le fil de l'arbre, travaillé au canif ou à la gouge (gravure
large). Les images sont disposées en séries à l'intérieur de planches
à compartiments et légendées par un court texte qui explicite l'image
non sans être souvent redondant. Au milieu du XIXe siècle,
de nombreuses planches s'inspirent des contes de fées traditionnels, en
replaçant parfois le héros dans des situations nouvelles, en récupérant
simplement son nom, ou en reprenant l'histoire originale comme c'est le
cas ici avec le conte de Perrault. Ces planches témoignent également des
derniers feux de la gravure sur bois détrônée à partir de 1852 par la
lithographie. Déjà, dès la fin du XVIIIe siècle, l'anglais
Thomas Bewick avait amélioré la qualité de la gravure sur bois en travaillant
contre le grain par la technique du "bois de bout" : le bois est débité
perpendiculairement au fil et travaillé au burin, ce qui permet d'affiner
la gravure et surtout de rendre possible l'impression simultanée du texte
et de l'image sur une même page en autorisant des tirages à plusieurs
dizaines de milliers d'exemplaires.
L'illustration double ici la mémoire narrative d'une mémoire visuelle
: pendant longtemps, le texte est disposé autour d'une image centrale,
sans cesse reprise, montrant les protagonistes regroupés et tendus dans
un même instant dramatique, donnant à voir l'essayage de la pantoufle
par Cendrillon ou la scène de métamorphose de la citrouille en carrosse,
ou des lézards en laquais.
Les planches d'Epinal vont déployer cette image unique et segmenter le
texte en courtes unités ; elles font du texte illustré un iconotexte et
produisent un récit en images sous forme de 15 vignettes qui proposent
une représentation, une mise en images qui est aussi une ré- interprétation
quasi théâtrale du texte de Perrault.
Réalisée à un moment où la manufacture Pellerin s'oriente définitivement
vers la production industrielle, cette planche témoigne également des
derniers feux de la gravure sur bois, détrônée petit à petit par la lithographie.
Réécrire
le conte
L'adaptateur réduit
le texte de Perrault en déplaçant l'attention vers la seconde partie du
récit, autour de la scène du bal, alors que la première, concernant les
malheurs de la pauvre Cendrillon est écourtée.
La langue est actualisée : "A Minuit, Cendrillon s'enfuit mais dans sa
précipitation, elle perdit une pantoufle". L'auteur efface tout double-sens
et polysémies.
Le texte de Perrault est donc réduit et appauvri. Mais le texte n'est
pas ici sa propre fin. Il est là pour l'image et la planche s'émancipe
du parrainage textuel.
Dessiner
une planche
Le dessinateur comprend
les spécificités de l'espace tabulaire. Il sait en exploiter les contraintes
: la planche à compartiments n'est pas une simple suite de vignettes,
celles-ci sont regroupées par trois ou quatre en une série de bandes successives,
à la manière des strips de la bande dessinée.
Une appréhension globale de la planche est nécessaire et autorise des
rapprochements verticaux ou obliques.
Le récit découpé en cinq actes :
– exposition : la triste condition de Cendrillon
– médiation : la marraine fée intervient
– transgression : elle offre à Cendrillon les moyens de faire bonne figure
au bal du prince
– affrontement : la scène de bal et perte de la chaussure
– dénouement : l'essayage de la pantoufle et le happy end La théâtralisation
du conte institue le lecteur en spectateur : l'adaptateur nous propose
une représentation au sens iconographique et scénique.
Monter
une pièce
La planche fonctionne
comme un petit théâtre de papier avec des acteurs qui évoluent dans un
décor, avec un corps, des costumes, des accessoires, qui permettent de
les reconnaître, ainsi la couleur bleue de la robe de Cendrillon qui est
rappelée par le bleu du costume du prince, dont le visage évoque celui
du père qui n'est présent que dans la première vignette.
Pistes
pédagogiques :
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A travers une planche d'Epinal, retrouver la structure narrative du
conte. Quels passages sont mis en relief ? Quels passages sont au contraire
occultés ?
–
Comparer le texte et l'image : quelle est sa fonction par rapport à
l'image ? Retrouve-t-on des éléments du conte de Perrault ?
–
Les personnages : comment sont-ils traités par le dessinateur ? Le personnage
de Cendrillon est-il conforme à la représentation traditionnelle ? Sinon
pourquoi ?
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L'image
seule : une volonté didactique
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Cette planche, tirée de l'imagerie populaire, privilégie la fonction d'avertissement
du conte en représentant sa fin brutale et en insistant sur la violence
de la scène avec la chaise en déséquilibre qui se renverse, et le loup
qui saisit le bras de l'enfant dans sa gueule.
Cette image est fidèle à la vignette de 1742 : on y trouve le même rideau
qui encadre la scène comme au théâtre, le Chaperon peu prudent s'est mis
au lit et se laisse dévorer par un loup qui n'a rien d'humain telle la
bête du Gévaudan. Le texte en dessous de l'image ne fait qu'accentuer
l'entreprise de distanciation :
– Mère-grand' que vous avez de grandes dents !
– C'est pour mieux te manger et en disant ces mots, le méchant Loup se
jeta sur le petit Chaperon rouge et le croqua.
L'auteur insiste donc sur le côté sauvage du loup qu'il qualifie de "méchant"
tout en introduisant une certaine distance avec le verbe "croquer".
Pistes
pédagogiques :
–
Sur cette image unique, décrypter la volonté de son auteur : quel message
fait-il passer ? Sur quoi insiste-t-il ?
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Des
images et un texte qui s'entrecroisent, à la manière des fils de
l'intrigue
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Réalisée à une époque
où l'Imprimerie Pellerin subit la rivalité de sa concurrente Pinot &
Sagaire,
cette planche témoigne de l'importante évolution que connaît l'imagerie
populaire avec l'adoption de la lithographie. Utilisée à partir des années
trente, elle supplante peu à peu la gravure sur bois, car cette technique
autorise des tirages en grand nombre.
La lithographie :
– Technique inventée par Senefelder en 1796 et importée en France par Engelmann
:
– on dessine avec un crayon gras sur une pierre,
– on attaque ensuite la pierre avec un acide,
– seules les parties grasses sont fixées,
– une pierre peut tirer à plusieurs milliers d'épreuves.
La chromolithographie
mise au point par Engelmann en 1836, permet à l'aide de trois pierres
( une par couleur primaire ) l'impression de toute la gamme chromatique,
et se trouve à la base de la trichromie et de la quadrichromie.
La lithographie permet par ailleurs d'obtenir un dessin plus fin, ce qui
entraîne une modification du style vers une manière plus académique. Cette
délicatesse du trait se retrouve parfaitement dans ce Petit Chaperon
Rouge qui présente un coloris frais et raffiné, où domine le rouge
du chaperon, de la jupe, des fleurs en guirlande ainsi que du rideau du
lit. A cette couleur semble répondre le bleu du rideau de scène qui semble
prêt à tomber à la fin du récit, et le jaune de la porte et du feuillage.
Le loup, d'un gris estompé paraît prêt à s'effacer, et ressemble à un
bon gros chien qui n'a plus rien de sauvage.
La composition de l'ensemble est originale puisqu'au lieu d'aligner les
vignettes et le texte en bandes parallèles, ceux-ci s'entrecroisent et
"s'anastomosent" à la manière des fils de l'intrigue, en une grande croix
de Saint-André.
Le récit se découpe en cinq moments :
– au centre, la rencontre du loup et de l'enfant
– en haut à gauche, les deux chemins
– en haut à droite, le loup arrive à la porte de la grand-mère
– en bas à gauche le Petit Chaperon Rouge arrive à son tour
– en bas à droite scène le Petit Chaperon Rouge et le loup au lit. Le
texte par contre se répartit de part et d'autre des images, sauf la phrase
centrale qui résume l'idée centrale du conte : "Le loup lui dit : "Mets
le pot et la galette sur la huche et viens te coucher avec moi". Le petit
Chaperon rouge se déshabille pour se coucher avec sa grand'mère".
Pistes
pédagogiques :
–
Retrouver les cinq moments clés du conte. Les qualifier en reprenant
la terminologie de Claude Brémond (situation initiale, transgression,
médiation, épreuve finale).
–
Quelle scène se trouve au centre de l'action ? Que signifie ce choix
par rapport au message du conte ?
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Une
planche de découpage : un véritable "jeu de Meccano"
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Cette lithographie
provient de la manufacture Pinot et Sagaire, fondée François-Charles Pinot
en 1860 et principale concurrente de la maison Pellerin, avant son rachat
par cette dernière en 1888. Cette planche de découpage pour enfant permet
de mettre en scène sept moments clés du conte comme l'indique la notice
explicative :
– le petit Chaperon rouge va chez sa grand'mère
– le petit Chaperon rouge rencontre le loup
– le loup chez la grand'mère
– le loup dans le lit de la grand'mère
– le petit Chaperon rouge chez sa grand'mère
– le Petit Chaperon Rouge au lit avec le loup
– le loup mange le Petit Chaperon Rouge
Ici le texte du conte est réduit à néant ; ce qui compte, c'est la structure
du récit, sur lequel l'enfant va pouvoir broder, et on assiste à une véritable
spécialisation enfantine de ce type de construction, qui n'est pas du
tout destinée aux adultes : on fait appel à l'initiative de l'enfant et
à sa créativité. L'activité de découpage tient une place importante liée
au rôle accru de l'image dans l'éducation.
Le conte de Perrault y est décomposé en une "myriade" de motifs : personnages,
épisodes et objets clés du récit animent la surface du papier avec le
Petit chaperon Rouge, le loup, la mère et la grand-mère, le petit pot
de beurre, le panier et le lit.
La mise en page de ces motifs dont certains sont dotés de deux têtes comme
les cartes à jouer, est commandée par leur forme, et il appartient à l'enfant
d'en restituer le déroulement conformément à leurs fonctions dans le récit.
Pistes
pédagogiques :
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Classer les différents éléments du conte : les objets médiateurs, les
personnages auxiliaires du héros, le mandateur (celui qui envoie l'héroïne),
l'opposant.
–
Le conte populaire traditionnel fait intervenir un animal qui a pour
rôle de mettre en garde la petite fille : montrer sur la planche quel
animal peut jouer ce rôle, alors qu'il est absent de la version Perrault.
–
Expliquer le terme de "comédie" appliqué à ce découpage. - Quels personnages
peuvent intervenir pour sauver le Petit Chaperon Rouge ? Inventer une
fin optimiste.
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