La référence à la Renaissance
L’importance de la référence à la Renaissance,
dispersée à travers l’œuvre lithographique
et moins évidente de prime abord, donne tout son sens à l’expression
de "Michel-Ange de la caricature". En feuilletant l’œuvre
lithographique de Daumier dans les années 1830, l’on
peut en effet relever des citations de gravures de la Renaissance,
et noter, à différentes époques, des réinterprétations
de la sculpture funéraire, qu’il doit probablement à la
vaste culture visuelle acquise auprès d’Alexandre Lenoir,
son initiateur artistique, qui avait été le fondateur
du musée des Monuments français et l’un des premiers
défenseurs de la Renaissance française. De plus, certaines
de ses caricatures font alors référence à Rabelais,
en particulier la célèbre planche de
Gargantua.
Enfin, dans les caricatures de la Seconde République,
et celles du cycle de Ratapoil, Daumier s’inspire du style
de la gravure de l’
École
de Fontainebleau : ainsi, en
1848, la silhouette maniériste de la République de
Belle
dame, voulez-vous bien accepter mon bras, – votre passion est
trop subite pour que je puisse y croire !. Pour
un caricaturiste tel que Daumier, la Renaissance se détache
en effet comme un moment fondateur, comme le montrent Baudelaire
et Champfleury, après Jaime. Cette idée, nullement
remise en cause depuis, a été par exemple défendue
par Werner Hofmann et Michel Melot : l’invention de la
caricature, "petit portrait chargé", selon la définition
de Carrache, présuppose une conception de l’individu
qui se fait jour au XVI
e siècle et
qui se manifeste fortement au XIX
e siècle
aussi ; la caricature est avant tout une modalité du
portrait qui accentue les particularités
physionomiques du modèle et joue avec une distorsion du canon
de proportions revalorisé depuis la Renaissance dans les académies.
Au beau idéal, s’oppose "la formule idéale
de la difformité, la caricature". Dürer juxtapose
toute une gamme de profils caricaturaux dans ses
Études
de têtes, un dessin à la plume de 1513 que
reproduit Champfleury dans son
Histoire de la caricature moderne,
exactement comme Daumier rassemble la panoplie des portraits-charges
des célébrités du juste-milieu dans
Le
Ventre législatif, planche de
L’Association
mensuelle publiée
en 1834 ; quant à Vinci, ses études de têtes,
diffusées par la reproduction, visent à caractériser
des physionomies marquées par le vieillissement, thème
que l’on retrouve chez Daumier depuis la période des
bustes-charges jusqu’aux dernières lithographies.