Les républicains se réclamaient d’un romantisme réaliste désormais historique, dont Victor Hugo était l’emblème.
Les Misérables furent publiés en feuilleton dans
Le Boulevard à côté des poèmes de Jules Vallès, des chroniques de Théodore de Banville et des lithographies fortement composées et plus savamment dessinées que jamais, de Daumier. C’est dans
Le Boulevard, le 23 février 1862, que parut le premier texte biographique consacré à Daumier considéré comme artiste, par Champfleury. Mais
Le Boulevard, dont l’opposition était pourtant feutrée, ne résista pas à la censure. Lorsque Napoléon III, face à la montée de l’opposition républicaine, lâcha du lest en 1863 (ce qui se traduisit dans le monde de l’art par l’autorisation du Salon des refusés et dans la presse par la parution de
La Vie parisienne, journal de Marcellin qui jouit d’un succès durable),
Le Charivari réembaucha Daumier. Ce retour fut l’occasion d’un banquet en son honneur et d’un article publicitaire qui salue "ce dessinateur qui a le rare talent de faire, même de ses caricatures, de véritables œuvres d’art".

L'entrée dans l'histoire de l'Art
L’attitude des collectionneurs envers la lithographie commençait de s’infléchir, à cette époque où le romantisme était remis à l’honneur. La vente Parguez, en avril 1861, et celle du colonel de la Combe, qui lui succéda en 1863, en mettant sur le marché des lithographies d’artistes célèbres comme Géricault, Delacroix, Vernet, Bonington ou Charlet, avaient eu du succès. Dans sa préface à la première, Philippe Burty, qui devait devenir le critique de
La République, le journal de Gambetta, fit l’éloge de la lithographie d’art et prédit : "Il n’est point douteux que dans un avenir prochain, les belles lithographies atteignent des prix excessifs." Le succès de la vente Parguez encouragea l’éditeur Cadart à lancer en 1862 des lithographies de peintres modernes comme Manet et Fantin-Latour, mais il n’obtint pas le succès qu’avaient connu ses albums de la Société des aquafortistes. Il était trop tôt pour y lancer des artistes modernes. L’œuvre lithographique de Daumier resta encore dans les cartons de quelques amis. Il fallut attendre que le marché libre de l’art réclamé par les impressionnistes et d’autres peintres, s’ouvre avec la proclamation de la République, en 1871, pour voir les artistes renouer avec la lithographie.
Les procédés photomécaniques, d’ailleurs, se perfectionnaient. Le Concours du duc de Luynes avait récompensé, en 1862, les merveilleuses photolithographies de Poitevin, laissant la lithographie sur pierre devenir un art original. Dans
La Vie parisienne, un article qui fait le parallèle entre Gavarni et Daumier n’hésite pas entre les deux : "Aussi, bien qu’il n’ait point la couleur solide et le large dessin de Daumier, [Gavarni] est-il sera-t-il pour la postérité un bien plus grand personnage." Mais Champfleury, continuant dans ce même journal sa campagne en faveur de Daumier, se livre au même exercice à l’avantage de ce dernier. Le jugement de l’histoire, à ce moment, est suspendu. La parution la même année, 1865, des deux premières histoires de la caricature marque le tournant par lequel l’histoire de l’art accueille les caricaturistes.
La première est due à l’Anglais Thomas Wright, traduite et publiée en français dès 1866. Champfleury publie
La Caricature moderne, premier volume d’une série qui remontera jusqu’à l’Antiquité. Le ton des deux ouvrages est différent : le livre de Thomas Wright est celui d’un érudit, celui de Champfleury celui d’un militant, plaidant la cause de l’art populaire. Celle de Daumier n’était pas gagnée, mais elle était au moins défendue. Elle le fut, encore une fois, dans l’article sur "La caricature", que Jules Vallès publia dans
Le Figaro du 23 novembre 1865.