Jean Le Tavernier, maître de la grisaille flamande
Installé à Audenarde, ville située sur l'Escaut entre Gand et Tournai, Jean Le Tavernier (actif entre 1434 et 1460) est passé maître dans l'art de la grisaille que Philippe le Bon apprécie tout particulièrement. En 1458, le duc lui commande l'exécution des miniatures illustrant les
Conquêtes et chroniques de Charlemagne, une compilation par David Aubert. C'est dans ce manuscrit que Le Tavernier porte la technique à la perfection : il réalise en moins de deux ans quelque 75 miniatures pour les deux volumes que compte le manuscrit.
Pour ses peintures, Jean Le Tavernier a sélectionné des matières particulièrement rares. L’élément de base est le noir de carbone, étalé en couches extrêmement fines sur le parchemin, sur lequel il dessine ensuite ses personnages dans une encre proche de celle du copiste – un mélange de fer, de cuivre et de zinc –, ce qui confère une très grande unité d'ensemble entre texte et images. Pour obtenir un effet de semi-grisaille, Jean Le Tavernier ajoute trois composantes à sa palette : l’or, le vermillon (minéral) et un rouge organique (cochenille, garance ?). Le Tavernier n'utilise l’or à la coquille que dans le second volume des
Conquêtes. Le travail délicat du métal apparaît dans le rendu des joyaux, des tentures à motifs héraldiques, des pinacles et de l’équipement des cavaliers et de leurs montures. Quelques détails remarquables complètent les présentations en semi-grisaille : le vermillon et le rouge organique mélangé au blanc de plomb pour rendre l’incarnat. Textiles et escaliers du palais sont rehaussés d’ombres d’un rouge mat, lui aussi d’origine organique. Le Tavernier utilise une palette bien plus sobre que celles de ses contemporains qui, comme Willem Vrelant et son atelier, exécutent aussi des semi-grisailles. Ils ajoutent occasionnellement au gris-blanc des traits bleus, violets ou bruns. Pour ses miniatures, Jean Le Tavernier n’utilise jamais qu’une couleur forte et toujours en dehors des scènes : un encadrement d’azurite (couleur minérale contenant du cuivre) et la feuille d’or appliquée sur
gesso en complément.
A la suite de Jean Le Tavernier, d'autres artistes décorent en noir et blanc les manuscrits destinés à la cour de Bourgogne. Mais la mode change vers la fin du XV
e siècle. L'utilisation du blanc, du noir et du gris est rejeté, d'abord vers les marges, bientôt hors du livre. Cette conception particulière de la grisaille, où le sujet est traité en peinture mais pas en trompe-l'œil, trouve un fervent adapte en Jérôme Bosch qui réalise des scènes entières, parfois même des paysages, à l'aide du seul camaïeu.
Source bibliographique :
Miniatures en grisaille. Catalogue par Pierre Cockshaw. Bruxelles, Bibliothèque royale, 1986.