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Des drôleries plein les marges : Préparatifs de Médée pour rajeunir Éson

Raoul Lefèvre, Histoire de Jason
Des drôleries plein les marges : Préparatifs de Médée pour rajeunir Éson
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Avant d’être identifié comme Liévin Van Lathem par Antoine De Schryver, le miniaturiste de ce superbe manuscrit avait reçu le nom de Maître de la Conquête de la Toison d’or.
Ce codex est le plus raffiné des quatre copies du texte de Lefèvre parvenues jusqu’à nous. Datable de la seconde moitié du 15e siècle, il reste une des réalisations les plus originales et les plus importantes de Van Lathem. Étant donné l’intérêt de la cour de Bourgogne pour l’histoire ancienne et la mythologie, il n’est pas surprenant que Lefèvre ait dédié son texte, écrit aux environs de 1460, au duc Philippe. Celui-ci avait fondé l’ordre de la Toison d’or en 1430, incitant ses chevaliers à imiter l’exemple du héros grec Jason. Louis de Gruuthuse, propriétaire du manuscrit, avait lui-même été nommé chevalier en 1461. Le collier de l’ordre entoure ses armoiries. Une fois en possession de l’ouvrage, Louis XII, le roi de France, fit surpeindre les armes de Louis de Gruuthuse par les siennes. Dans l’explicit, il substitua son nom à celui du duc. La copie du texte est due à David Aubert, qui collabora également avec Van Lathem dans d’autres manuscrits réalisés pour Louis de Gruuthuse comme le Roman de Gillion de Trazegnies (Chatsworth, DC, ms. 7535).
L’histoire rappelle la légende grecque de Jason et des Argonautes, qui naviguèrent en mer Noire vers la Colchide pour s’emparer de la Toison d’or. La fille du roi de Colchide, l’ensorceleuse Médée, amoureuse de Jason, l’aida dans son entreprise. Dans la miniature, elle surprend Jason, célébrant ses noces avec Créüse, princesse de Corinthe. Médée, bafouée, arrive comme une furie, montée sur des dragons crachant des flammes, et tue à la fois Créüse et le fils de Jason. Van Lathem semble éprouver de la joie à l’évocation de cette scène dramatique mêlée de fantastique, dont les dragons colorés sont des acteurs singuliers.
Cependant, en dépit de l’attitude horrifiée des hôtes du banquet confrontés à l’apparition soudaine et incongrue de Médée, Van Lathem la dépeint plus en proie à une joie hystérique que menaçante. Elle paraît s’amuser.

Liés aux choses du corps, les sujets de nature sexuelle ou scatologique n’ont pas totalement disparu. Ce sont surtout les exhibitions anales qui gardent droit de cité. Des primates libidineux introduisent des soufflets dans le postérieur d’ours apeurés. D’autres se retournent de façon impudique pour s’offrir à la monte. Au même titre que l’agenouillement ou la jonction des mains, cette manière de se pencher sans défense renvoyait depuis le 13e siècle déjà à la notion évidente de soumission. Cette évocation paillarde tisse un lien immédiat et de façon à peine détournée avec l’homosexualité supposée des clercs, auxquels les singes ont longtemps été assimilés. Plaisanterie visuelle commune et largement répandue aux siècles précédents, la défécation demeure aussi une constante, ainsi qu’en témoigne par exemple ce singe capuchonné qui regarde hilare un jeune homme abaisser ses chausses pour se soulager dans l’exemplaire de l’Histoire de Jason de Raoul Lefèvre, enluminé vers 1470 pour le très pieux Louis de Gruuthuse. L’utilisation exacerbée de ce thème ne relève pas du blasphème. Au Moyen Âge, les excréments charriés au milieu des rues ne sont pas perçus comme sales ou scandaleux. Leur odeur est permanente dans les cités. Attitudes ambiguës, situations inconvenantes ou scabreuses, toutes ces obscénités bien présentes dans le langage culturel subsistent dans les manuscrits du comté de Flandre, mais se montrent désormais plus discrètes et se cachent derrière une abondance de comportements plus anodins.

La quête d’immortalité est aussi vieille que la littérature, de Gilgamesh à la pierre philosophale. Dans la légende, Médée manipule Éson pour le tuer en lui faisant croire qu’elle va le rajeunir. L’image, coupée en deux, qui donne à voir à la fois l’intérieur et l’extérieur, reflète la duplicité du personnage principal.
La fantasy est pleine de personnages, le plus souvent maléfiques, qui cherchent à rajeunir ou à obtenir l’immortalité. Voldemort maîtrise mieux la potion qu’Éson et sort en pleine forme du chaudron. Dans Indiana Jones et la dernière croisade, Donovan est moins chanceux : buvant la mauvaise coupe, il connaît le même destin qu’Éson.

© Bibliothèque nationale de France

  • Date
    Vers 1470
  • Lieu
    Anvers
  • Auteur(es)
    Liévin Van Lathem, enlumineur
  • Description technique
    Parchemin, 163 fol., 388 × 273 mm, 18 miniatures à mi-page
    Provenance : Louis de Gruuthuse
  • Provenance

    BnF, département des Manuscrits, Français 96, fol. 62v.

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm1242003280